« Blessés à balles réelles, arrestations et détentions arbitraires, obstruction à la liberté d’expression et au droit de manifestation… » plusieurs ONG congolaises s’inquiètent de la récente « recrudescence des violations des droits de l’homme » à Kinshasa et Lubumbashi.
Assiste-t-on à un durcissement du régime de Joseph Kabila ? Certainement, à en croire l’avertissement de cinq ONG congolaises (1). Dans un récent rapport, elles dénoncent la répression musclée que vient de subir l’opposition à Kinshasa au cours de deux manifestations, ainsi que les partisans de Moïse Katumbi à Lubumbashi. Dimanche 11 janvier 2015, ce sont les militants de la plateforme « Sauvons la RDC », qui ont été violemment dispersés par la police de Kinshasa, sur le boulevard Triomphal, non loin du Palais du Peuple. Les ONG dénoncent des « tirs à balles réelles et des balles en caoutchouc » et ont dénombré huit blessés dont un cameraman de CKTV. Une trentaine des personnes ont également été arrêtées, « brutalisés et détenus dans plusieurs cachots avant d’être relâchés ».
Une dizaine de blessés et 51 arrestations d’opposants
Le lendemain, lundi 12 janvier 2015, ce sont les membres des principaux partis d’opposition congolaise (UDPS, UNC, MLC… ) qui ont décidé de se rassembler sur l’avenue de l’Enseignement à Kinshasa. L’objectif des manifestants était de se diriger vers Palais du Peuple, siège du Parlement, où les députés devaient examiner le nouveau projet de loi électorale. Tôt dans la matinée, un important dispositif de la police nationale a été déployé sur les grands artères menant au Palais du Peuple et sur l’avenue de l’Enseignement. Là encore, la police a rapidement tenté de disperser les manifestants en tirant « à balles réelles et avec des gaz, sans sommation préalable ». Une dizaine de personnes ont été blessées et admis aux soins intensifs de l’hôpital Mama Yemo, de l’hôpital Saint-Joseph et de plusieurs cliniques. Selon les ONG, « 51 personnes ont été arrêtées, dont 44 ont été acheminées à l’Agence Nationale des Renseignements (ANR) et 7 au camp Lufungula ». La plupart de ces opposants ont été relâchés, tard dans la nuit. Des défenseurs des droits de l’homme congolais qui observaient la manifestation, Timothée Mbuya et Amédée Bobotobi, ont été « maltraités » par les éléments de la police. « Les téléphones, documents et argent trouvés sur ces personnes ont été extorqués par les policiers » révèle également les ONG.
Au Katanga, les frondeurs trinquent
Dans la riche province minière du Katanga, les ONG congolaises notent une nette dégradation de la situation des droits de l’homme, depuis le retour du gouverneur Moïse Katumbi à Lubumbashi fin décembre 2014. A son arrivée dans la capitale provinciale, le gouverneur avait critiqué, à mots couverts, la volonté de Joseph Kabila de briguer un troisième mandat – voir notre article. Les opposants à la réforme constitutionnelle, souhaitée par la Majorité présidentielle pour maintenir Joseph Kabila au pouvoir, ont tous subi de fortes pressions et des intimidations. Le député Vano Kiboko, pourtant membre de la majorité, a été arrêté et détenu à la prison de Makala pour avoir soutenu Moïse Katumbi. Georges Mawine, ancien membre du parti présidentielle (PPRD), a été « enlevé, ligoté et jeté dans un canal à Lubumbashi », selon le rapport des ONG. Enfin, Jean-Claude Muyambo, président de Scode et ancien membre de la majorité, a reçu plusieurs menaces de mort pour s’être opposé à la révision constitutionnelle.
Représailles « anti-Katumbi »
La répression « anti-Katumbi » se poursuit même dans les rues de Lubumbashi, où les personnes habillées du T-shirt du Tout Puissant Mazembe, le club de foot de Moïse Katumbi, font l’objet « d’enlèvements et de mauvais traitement de la part de militaires de la garde républicaine » dénoncent les ONG. Le rapport cite plusieurs victimes de cette répression politique. Mbuta Madiakudiaku, un comédien de la ville a été enlevé et tabassé le 31 décembre 2014, comme sept autres personnes toujours hospitalisées. Ultimes représailles à l’encontre de Moïse Katumbi, des enquêtes financières ont été lancées sur le riche gouverneur et plusieurs responsables de services de l’Etat, « très générateurs de recettes, comme les Douanes » ont été suspendus par le Premier ministre Augustin Matata Ponyo.
Le régime se raidit
Le très vif débat sur la révision constitutionnelle, ainsi que sur la nouvelle loi électorale qui permettrait à Joseph Kabila de se maintenir au pouvoir au-délà de 2016, ont fortement crispé les autorités congolaises. Avec un point de fixation : Moïse Katumbi. Le gouverneur du Katanga devient la cible privilégié du régime. Issu de la famille politique du président, il désormais pourrait rallier les « déçus du kabilisme » et se présenter aux élections avec de forts soutiens. Joseph Kabila est en train voir son fief katangais, fort pourvoyeur de voix aux élections, lui échapper. A Kinshasa, l’opposition, régulièrement désunie, s’est enfin rassemblée dans la manifestation du 12 janvier 2015. Là encore, c’est un risque pour le président Kabila, qui a retenu la leçon de Ouagadougou, et ne veut pas se laisser déborder. Le raidissement jusqu’où ? Joseph Kabila tente l’épreuve de force au Parlement pour faire modifier la loi électorale, tentant de maîtriser la rue. Pour le moment, Kinshasa contient la contestation. Jusque quand ?
Christophe RIGAUD – Afrikarabia
(1) L’Association Congolaise pour la Justice (ACAJ), la Ligue Contre la Fraude, la Corruption (LICOF), JUSTICIA Asbl, la Nouvelle Société Civile Congolaise (NSCC) et la plateforme Concertation des ONG pour la Bonne gouvernance.