La possible disparition de 15 millions de dollars des caisses de l’Etat provoque le trouble à Kinshasa, alors que le directeur de cabinet de la présidence nie tout détournement. Un épisode qui illustre la cohabitation toxique qui règne au sein de la coalition au pouvoir.
Depuis plusieurs semaines, les soupçons de détournement de 15 millions de dollars des caisses de l’Etat empoisonnent le climat politique congolais. Il faut dire que le sujet est d’autant plus sensible que le nouveau président Félix Tshisekedi a fait de la lutte contre la corruption son principal marqueur politique. L’affaire porte sur une somme de 100 millions de dollars versée par l’Etat aux entreprises pétrolières « pour compenser leur manque à gagner ». Sur ces 100 millions, 15% de « décote » devaient revenir au Trésor public congolais. Mais le 17 juillet dernier, un rapport de l’Inspection générale des finances (IGF) se penche sur la transaction et affirme que l’Etat n’a jamais vu la couleur des 15 millions de dollars, qui ont été versés sur un autre compte bancaire, contrevenant ainsi « aux dispositions légales et règlementaires régissant les finances publiques », affirme l’IGF.
Kamerhe s’en mêle
Suite à ce rapport, qui fuite sur les réseaux sociaux, comme l’essentiel des documents officiels depuis l’élection controversée de Félix Tshisekedi, les regards se tournent inévitablement sur l’omniprésent directeur de cabinet de la présidence, Vital Kamerhe. Car le 24 août, le très puissant directeur de cabinet, demande par une lettre, qui se retrouve aussi sur les réseaux sociaux (décidément !), l’arrêt de l’enquête menée par l’Inspection générale des finances sur la gestion de l’État depuis l’investiture de Félix Tshisekedi. Deux inspecteurs de l’IGF sont également auditionnés par le bureau du conseiller spécial en matière de sécurité de la présidence, François Beya. Visiblement, le contrôle de l’Inspection générale des finances dérange au plus niveau.
« Où sont passés les 15 millions ? »
Depuis le début de l’affaire, Vital Kamerhe, comme la présidence sont restés silencieux, alimentant la machine à rumeurs qui ne manque pas de s’emballer, notamment sur les réseaux sociaux, où tout le monde se demande « où sont passés les 15 millions ? » Il faudra attendre ce dimanche pour que le directeur de cabinet de la présidence décide de briser le silence et de se confier à Jeune Afrique. Pour Vital Kamerhe, l’affaire est simple : « il n’y a pas eu détournement (…), cet argent n’a pas disparu et le ministre de l’économie qui a autorité sur le comité de suivi des prix pétrolier pourra vous l’expliquer ». Le hic, c’est que le ministre des finances, tout juste nommé, n’a toujours rien dit et que Vital Kamerhe ne sait donc visiblement pas où se trouve cet argent. Seul aveu gênant du directeur de cabinet : il a bien demandé la suspension de l’audit et écrit en ce sens au ministère des finances, ce qui prouve que le courrier qui a fuité sur internet n’était pas un faux. Un aveu qui met en doute la sérénité de la présidence dans cette affaire.
7 mois sans gouvernement
Comment en est-on arrivé-là ? « L’affaire des 15 millions » résume à elle seule les 8 premiers mois de mandat de la présidence Tshisekedi, dont 7 passés sans gouvernement. Pendant ce long temps de tractations à l’infini pour tenter de composer une liste gouvernementale qui convienne à la fois à l’UDPS, à l’UNC et aux dizaines de partis composant le FCC, la présidence a dû enclencher dans la précipitation ses premières mesures d’urgence, sans passer directement par les ministères concernés. Des décisions et des décaissements d’argent ont été prises de manière peu orthodoxes, bousculant les administrations. C’est en tout cas le message que souhaite faire passer la présidence. Mais pour croire cette petite musique que tente de faire passer la présidence, il faudrait mener une enquête sérieuse et indépendante pour faire la lumière sur les 15 millions. Pour cela, pourquoi ne pas avoir laisser travailler l’IGF, visiblement capable de tracer la somme, qui aurait ensuite été retirée en plusieurs fois par des cadres du ministère de l’économie ?
Une cohabitation toxique
Mais ce que démontre surtout « l’affaire des 15 millions », c’est la lutte de pouvoir qui est en train de se jouer au sein de la nouvelle majorité CACH/FCC. Depuis les élections de décembre 2018, on retrouve aux manettes de la République démocratique du Congo de farouches ennemis, condamnés à cohabiter, alors que tout les sépare. Après la victoire surprise de Tshisekedi, les relations se tendent notamment lors du partage du pouvoir entre les deux alliés de circonstance. Les cadres de l’UDPS souffrent mal de se voir cornaquer par le très puissant Vital Kamerhe à la présidence. Le patron de l’UNC fait tout, décide de tout et a désormais l’oreille de Félix Tshisekedi. A l’UDPS, beaucoup voudrait bien l’éloigner du président et gouverner sans partage. Vital Kamerhe est également en milieu hostile avec les cadres du FCC pro-Kabila. L’ancien président congolais n’a jamais pardonné à Kamerhe, son ancien bras droit, de l’avoir trahi en partant dans l’opposition. Entre l’UDPS et le FCC, Vital Kamerhe a désormais beaucoup d’ennemis dans son entourage, surtout lorsque l’on sait que le patron de l’UNC prépare déjà la présidentielle de 2023. Avec autant d’hostilités, pas étonnant que la moindre lettre ou ordre de mission du directeur de cabinet de Félix Tshisekedi se retrouve quelques heures après sur les réseaux sociaux.
Pas d’affaire ?
« L’affaire des 15 millions » montre également les limites de cette coalition/cohabitation, où chacun surveillent tout le monde pour tenter de le faire trébucher ou de lui mettre des bâtons dans les roues. La guerre ouverte entre UDPS, UNC, CACH et FCC pourrait s’avérer explosive. Ce que révèle enfin cette affaire, c’est l’extrême fragilité de l’alliance qui unie Félix Tshisekedi et Vital Kamerhe. Le président ne peut laisser tomber son directeur de cabinet sans le payer très cher en terme d’image, mais aussi politiquement. La coalition CACH ne peut clairement pas se passer de l’UNC, au risque de déséquilibrer son fragile rapport de force avec le FCC de Joseph Kabila, toujours en embuscade. D’un autre côté, Félix Tshisekedi doit montrer l’exemple en matière d’éthique et de lutte contre la corruption s’il veut conserver une certaine crédibilité. Il faut donc que la lumière soit rapidement faite. Ce dimanche, le président Tshisekedi avait l’occasion de s’exprimer devant les Congolais à 20h sur les ondes de la télévision nationale. En guise d’explications, les téléspectateurs ont eu droit à un clip vidéo du président, vantant ses espoirs pour un avenir meilleur, avec musique et images au ralenti, comme si la campagne électorale n’était pas terminée depuis 8 mois… et surtout comme si il n’y avait d’ « affaire des 15 millions ».
Christophe RIGAUD – Afrikarabia
Ce pays a un problème très sérieux, un pouvoir acquis sans le consentement de la population, na jamais donné des bon fruits.
Merci Monsieur RIGAUD pour cet article suffisamment analytique.
Le président Tshisekedi s’est invité ce dimanche à la RTNC de façon quasiment impromptue sans prévenir mais pas sans s’y être préparé depuis un moment, pour prêcher la pertinence de sa vision – le changement – et l’efficacité de ses actions – les 100 premiers jours et la suite depuis plus de 7 mois qu’il est à ce poste. Et c’est vrai il ne s’est étendu ni sur la lutte contre Ebola et l’insécurité à l’Est ni non plus sur cette affaire des 15millions pourtant dans toutes les bouches.Est-ce dire qu’il est à l’aise sur les sujets qu’il croit avoir bien labourés et peine sur d’autres secteurs de la vie nationale autant préoccupants mais qui lui donnent plus des soucis comme ces 15 millions disparus des caisses de l’État où la Présidence est soupçonnée notamment via Kamerhe ? Autre chose, son message était sous forme de vidéo-clip comme ceux produits lors des campagnes électorales mais les élections sont passées et le vainqueur officiel c’est bel et bien lui, Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo. Ça ne tournerait pas si bien à la Cité de l’OUA et alentours pour que la présidence engage une « communication de crise » ou alors se remette à une campagne intempestive pour nous convaincre d’autorité que jusque-là il gère en fait très bien la République quoi que ses adversaires politiques le lui dénient notamment devant fuites,marchés gré à gré fort suspects des détournements des deniers publics venus de son Cabinet. Combien malvenus pour un nouveau PR en croisade justement contre ces anti-valeurs ?
Cohabitation toxique (dixit C Rigaud) au sein de la coalition au pouvoir et pourquoi pas aussi interne à la Présidence ou pas, personne n’ignore plus en effet les accros entre partenaires FCC et CACH et la présence des clans entre pro-Tshisekedi et pro-Kamerhe au sein de la Présidence. Quant à l’affaire des 15 millions elle-même, les dénégations directes de Kamerhe – son nom pas cité, il n’existerait pas de détournement -, ou parallèles de Tshisekedi – sa diatribe indiscriminée contre l’IGF pour le monde des affaires – ne convainquent pas d’autant que des investigateurs avisés comme Me Kapiamba soutiennent avoir des preuves de sa réalité et des responsables incriminés dans cette affaire. Que celle-ci révèle une guerre entre UDPS, UNC, CACH et FCC et la fragilité de l’alliance entre Tshisekedi et Kamerhe, l’essentiel pour nous est de savoir où sont donc partis ces millions et si tout sera fait pour les retrouver ?
Et disons à notre nouveau PR qu’il est passé le temps de la campagne électorale contenue dans son vidéo-clip de dimanche depuis 8 mois et que nous voulons le voir à l’action à travers maintenant le gouvernement en place même s’il contient beaucoup des membres du FCC. Sinon les Congolais ne sont pas si dupes pour ne pas voir devant eux le contre-feu organisé lorsqu’en même temps que le Président s’exprimait à la télé sortait cette interview au contenu contestable de son Vice-Président sans compter l’annulation à la dernière minute le même jour d’une déclaration de l’IGF prévue quelques jours auparavant. A noter
aussi que Kamerhe a commencé par nier son courrier interdisant les enquêtes de l’IGF pour finir par le justifier abondamment dans sa dernière interview à JA. Où sommes-nous, que signifie cette succession de parjures traître ?
« Communication de crise » ou « gestion de bonne guerre », le moins qu’on puisse dire est que cette défense à 7 mois de son mandat tombe ce jour parce qu’il voit électeurs et analystes déstabilisés par un certain flou autour de la Présidence qu’il faut dissiper. Et en même temps personnellement et paradoxalement j’arrive à mieux m’accommoder des insuffisances classiques de Tshisekedi, de son insistante bonhomie et ses bons sentiments. Plutôt qu’en augurer comme au début son échec indubitable, je me surprends à croire que c’est cette naïveté, contrairement par exemple à l’arrogance d’un Mobutu, qui me pousse à voir dans ses promesses « électoralistes ou opportunistes » un commerce possible avec la fonction et le pays pouvant être payant. Je me dis qu’il y’a possibilité qu’elles induisent de gouverner autrement ce pays et produisent à la longue des résultats, quitte au passage à réussir à reléguer progressivement l’influence nocive de son prédécesseur avec lequel il s’était obligé de signer un partenariat.
Pourvu que mon espérance récente ne ressemble pas à une résignation de guerre lasse dictée par l’absence de mieux. Qu’importe, je m’engage encore à ccorder ainsi « sa chance » à Tshisekedi, « surveille » sa gestion et attends la suite…