Le lanceur alerte a découvert en 2016 de nombreux documents compromettants, dévoilant le cœur du système de corruption qui gangrène le Congo. Aujourd’hui réfugié en France, Jean-Jacques Lumumba milite pour la création d’une institution de lutte contre la corruption et d’un parquet financier.
Ce n’est pas son illustre patronyme qui a rendu célèbre Jean-Jacques Lumumba. Le petit-neveux du héros de l’indépendance congolaise, Patrice Lumumba, est devenu le plus médiatique lanceur d’alerte congolais. Le banquier a dénoncé des malversations au sein de la BGFI, une banque dirigée par un proche de l’ancien président Joseph Kabila. Son poste très stratégique de directeur des engagements lui a fait découvrir un système de corruption généralisé.
Afrikarabia : Que se passe-t-il en 2016 à la BGFI ?
Jean-Jacques Lumumba : Je découvre plusieurs types d’opérations liées à des proches du président Kabila. La Commission électorale (CENI) avait contracté un crédit (25 millions de dollars, ndlr) qui ne correspondait pas aux procédures internes et à la réglementation de la Banque centrale. Toutes ces opérations partaient de mon directeur général qui influençait l’octroi de crédits. Il se trouve que mon directeur est également le frère adoptif de Joseph Kabila (Francis Selemani Mtwale, ndlr). On découvre plusieurs irrégularités : non respect des procédures, détournement et blanchiment d’argent… Mon péché a été de rappeler à mon directeur que ces opérations étaient « peu orthodoxes » et ne respectaient pas les procédures et la réglementation bancaire.
Afrikarabia : A la suite de ces révélations, vous subissez des pressions et vous démissionnez ?
Jean-Jacques Lumumba : J’ai d’abord subi des pressions en interne, à la banque. Ces pressions m’ont fait tombé malade, jusqu’à mon arrivée en France mi-2016 où j’ai demandé l’asile.
Afrikarabia : Avec cette affaire, vous touchez du doigt la corruption liée au système politique congolais ?
Jean-Jacques Lumumba : La corruption politique prend pour assise le système financier congolais. Les proches du président Kabila et sa famille se servent du système financier pour blanchir de l’argent et détourner des capitaux.
Afrikarabia : La RDC occupe la 161e place sur les 180 pays dans le rapport de Transparency International sur la perception de la corruption dans le monde. Mais la corruption est endémique au Congo et se retrouve dans tous les secteurs économiques du pays ?
Jean-Jacques Lumumba : La corruption gangrène toute l’économie nationale. Il n’y a aucun secteur qui n’est pas touché. On ne peut pas dire que seuls les hommes politiques sont corrompus. C’est un mal généralisé… comme le paludisme !
Afrikarabia : Concernant le système politique, diriez-vous que c’est la corruption qui a permis à Joseph Kabila de se maintenir au pouvoir pendant plus de 18 ans ?
Jean-Jacques Lumumba : Joseph Kabila a utilisé la corruption et la répression des services de sécurité pour s’accrocher au pouvoir. Pendant tout son règne, il a acheté la conscience des hommes politiques congolais pour les manipuler. Mais Joseph Kabila a aussi profité de la corruption pour s’enrichir lui-même.
Afrikarabia : Avec la corruption, une grande partie des recettes de l’Etat ne vont pas dans les caisses du Trésor public. Qu’en est-il de ce qu’on appelle « les avances en fiscalité » ?
Jean-Jacques Lumumba : Les avances en fiscalité représentent l’effort que demande l’Etat aux entreprises pour pouvoir renflouer ses caisses lorsqu’il a besoin de liquidités, avant que cet argent ne soit exigé par les services des impôts. Ce procédé n’est pas illégal.
Afrikarabia : Sait-on à quoi servent ces avances ?
Jean-Jacques Lumumba : C’est là le problème. Il y a clairement une certaine opacité de ces avances et un problème de traçabilité, en amont comme en aval. En amont, on doit savoir pourquoi l’entreprise en question est astreinte à payer cette avance, et en aval, la destination de cet argent. Enfin, dans les moyens de collecte des avances, il faut une vraie traçabilité, sinon, il peut y avoir des fuites de capitaux. On doit pouvoir lever toute équivoque de détournement de fonds.
Afrikarabia : Le nouveau président Félix Tshisekedi a fait de la lutte contre la corruption une de ses priorités. Par quoi doit-il commencer ?
Jean-Jacques Lumumba : Lutter contre la corruption est à la fois simple et complexe. C’est simple parce qu’il s’agit juste de la bonne volonté des politiques. On ne lutte contre la corruption qu’en étant intransigeant vis à vis des puissants. On ne lutte pas contre la corruption en commençant par les plus faibles. L’exemple doit venir d’en haut. On connait les plus gros corrompus de la République, en politique comme dans le secteur économique. On doit donc commencer par eux. Ensuite, il ne faut pas faire reposer la lutte contre la corruption sur une personne, c’est tout un système qu’il faut combattre.
Afrikarabia : Que doit faire Félix Tshisekedi ?
Jean-Jacques Lumumba : Le président doit imposer les règles et créer une institution qui sera chargée de lutter contre la corruption. A cette institution, il faudra y adosser un parquet financier. Une justice spécifique pour les corrompus, mais aussi pour les corrupteurs. Il faut également créer une police spécialisée qui travaillera avec le parquet financier pour avoir des moyens de répression. Et tout cela en toute indépendance évidemment. L’essentiel est d’imposer les bonnes pratiques à tous les niveaux. Au sein des entreprises publiques, des entreprises privées, mais aussi auprès des collecteurs d’impôts qui peuvent être tentés par la corruption. Cette institution de lutte contre la corruption, pour être crédible, doit pouvoir coopérer avec des ONG internationales. Il est aussi indispensable de créer une loi pour protéger les lanceurs d’alerte. Un simple conseiller de lutte contre la corruption ne sera pas suffisant.
Afrikarabia : Il faut aller plus loin dans la bancarisation de l’économie congolaise ?
Jean-Jacques Lumumba : Pour le moment, la bancarisation n’est q’un simple mot. Quand on parle de bancarisation, il faut informatiser tout le système financier. Tout doit être tracé aux centimes près ! La circulation de l’argent liquide doit diminuer fortement au Congo. Le système financier doit être enfin propre et crédible.
Afrikarabia : Le président Tshisekedi possède des marges de manoeuvres très étroites. Il n’a pas de majorité à l’Assemblée nationale et au Sénat. Peut-il mettre en place cette lutte contre la corruption ?
Jean-Jacques Lumumba : La corruption n’est pas l’affaire d’un homme, mais de tous les Congolais. Mais c’est au président Tshisekedi d’impulser ce changement. Si lui ne le fait pas, personne ne le fera pour l’instant. On connait bien les personnes qui composent le FCC. Et il y beaucoup de corrompus dans cette coalition, même si il n’y a pas que des mauvaises personnes au sein du FCC. Malheureusement, la tête du FCC est pourrie. Félix Tshisekedi doit réussir dans la lutte contre la corruption. Il a besoin de ces ressources pour appliquer sa politique, et il a aussi besoin de crédibilité. Même sans majorité à l’Assemblée, il lui suffit de la volonté pour réussir. Sinon, son mandat sera pire que ceux de Joseph Kabila.
Propos recueillis par Christophe Rigaud – Afrikarabia
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