Entamé le 1er septembre, le dialogue national censé régler la crise politique au Congo bloque sur le boycott des principaux leaders et la légitimité du forum.
Le dialogue politique est bien mal engagé à Kinshasa. Convoqué par le président Joseph Kabila il y a plus de 9 mois et ouvert le 1er septembre, le dialogue doit permettre de fixer les contours des prochaines élections générales, retardées par le manque de moyens financiers et la révision du fichier électoral. Car depuis plusieurs mois, l’opposition accuse le président congolais de retarder volontairement l’organisation du scrutin afin de se maintenir au pouvoir, au-delà des limites de son mandat, qui prend fin le 19 décembre 2016.
Un dialogue et des préalables
Une petite semaine après son lancement, le dialogue est toujours au point mort. En cause, le caractère non-inclusif du forum. Les trois principaux leaders d’opposition, Etienne Tshisekedi pour l’UDPS et le Rassemblement, Eve Bazaïba pour le MLC et Moïse Katumbi pour le G7 et l’AR boycottent le forum. Ces opposants posent plusieurs préalables pour leur participation : le remplacement du facilitateur Edem Kodjo, jugé trop proche du pouvoir, la libération des prisonniers politiques et l’arrêt des poursuites judiciaires contre Moïse Katumbi. L’absence de ces opposants entame toute représentativité au dialogue, censé trouver un consensus sur un nouveau calendrier électoral et la manière dont sera géré « l’après 19 décembre », date de la fin du mandat de Joseph Kabila.
Vous avez dit inclusif ?
Seule l’UNC de Vital Kamerhe et quelques personnalités de l’opposition comme Samy Badibanga, José Makila ou Bruno Mavungu, portent la voix de l’opposition au dialogue. La Lucha, le mouvement composé de jeunes militants citoyens, a refusé de participer au dialogue afin de rester « une sentinelle de la démocratie (…) sans compromission ». Plus ambiguë, l’Opposition républicaine de Léon Kengo a annoncé vouloir quitter un dialogue « pas assez inclusif », mais son président était quand même présent ce lundi avec son étiquette de président du Sénat. Mardi, les délégués de l’Opposition républicaine étaient pourtant dans la salle.
« Dissidents et débauchages »
La représentativité des délégués invités au dialogue continue de faire débat. Une coalition de 33 ONG congolaises dénoncent la présence de « dissidents » de partis d’opposition, résultat de « débauchages » ou de « dédoublements de partis ». Comme c’est notamment le cas pour 6 députés du MLC et de l’ancien secrétaire général de l’UDPS, Bruno Mavungu, qui s’est empressé de créer son propre parti quelques jours avant l’ouverture du dialogue. Au sein de l’UNC, le plus important parti d’opposition présent au dialogue, trois hauts cadres dont le secrétaire général et son adjoint ont quitté le navire du dialogue avant d’être débarqués du parti, faisant planer le doute sur le réel soutien en interne dont dispose leur président, Vital Kamerhe, pour participer au dialogue.
« Pas de dialogue sans Tshisekedi et Katumbi »
La légitimité du dialogue repose uniquement sur la présence de Vital Kamerhe, seule caution d’opposition de poids au sein du forum. Le président de l’UNC avait d’ailleurs demandé une suspension du dialogue de 48 heures pour laisser le temps à Etienne Tshisekedi et à la Majorité présidentielle de s’accorder, pour permettre au Rassemblement et au G7 d’y participer. L’église catholique, toujours très influente sur la vie politique congolaise, était plus claire ce week-end : pas de dialogue sans Tshisekedi et Katumbi. Mais pour l’heure, le Rassemblement campe toujours sur ses positions et refuse de cautionner le dialogue.
Impasse ?
Craignant un bloquage complet du forum, Edem Kodjo a décidé ce lundi d’élargir le panel des délégués. De 200 participants, le dialogue s’étoffe de 80 délégués supplémentaires, répartis entre Majorité, opposition, société civile et « personnalités ». Une augmentation du nombre de participants qui cache mal l’absence de Tshisekedi et Katumbi et le manque de représentativité du forum. A la peine, le dialogue politique, se cherche donc un second souffle. Et les portes de sorties sont étroites. La Majorité présidentielle a pour mission de négocier une transition en maintenant Joseph Kabila dans son fauteuil, alors que l’opposition demande à Joseph Kabila de quitter son poste au soir du 19 décembre afin d’installer une transition négociée pour préparer les prochaines élections.
Katumbi dans la balance
Une solution pourrait venir du G7, constitué d’anciens frondeurs de la majorité soutenant Moise Katumbi. L’ancien gouverneur du Katanga est en effet dans une mauvaise passe. Bloqué à l’étranger et sous le coup d’une condamnation qui l’enverrait directement en prison s’il remettait les pieds en RDC, l’homme d’affaires souhaite revenir le plus vite possible au Congo. Dans la balance d’un possible deal entre le G7 et la Majorité : la présence du G7 au dialogue (qui rendrait le forum plus « inclusif ») contre l’arrêt des poursuites judiciaires à son encontre. Seul problème : le pouvoir paraît peu enclin à faire revenir sur son sol un adversaire politique embarrassant.
Vers un gouvernement sans poids ni légitimité ?
Avec une majorité qui souhaite maintenir Joseph Kabila au pouvoir et une opposition qui désire le voir quitter son fauteuil le 20 décembre, comme le prévoit la Constitution, le dialogue apparaît des plus bloqués à Kinshasa. Pour la majorité, deux solutions s’offrent à elle : trouver un accord sur le maintien de Joseph Kabila et s’entendre sur le nom d’un Premier ministre de transition (hypothèse mal engagée pour le moment), ou bien s’enfermer dans le statu quo en essayant de rejeter l’échec du dialogue sur l’opposition (option plus probable). Un statu quo qui permettrait de « bricoler » une sortie de crise qui maintiendrait le chef de l’Etat à son poste, flanqué d’un gouvernement de transition, sans poids ni légitimité, puisque sans consensus… Un scénario « idéal » pour prolonger son mandat et avoir le temps de changer la Constitution pour se représenter. Mais un scénario risqué au vu la situation politique extrêmement tendue en RDC.
Christophe RIGAUD – Afrikarabia