Censé remobiliser les troupes au sein de la majorité présidentielle, le gouvernement d’union nationale promis par Félix Tshisekedi pourrait se transformer en simple remaniement et partage de postes.

Bientôt quatre semaines que les consultations politiques en vue de former un gouvernement d’union nationale se sont achevées… Et toujours rien à l’horizon. Le 24 mars dernier, le conseiller spécial du chef de l’État en matière de sécurité, Désiré-Casimir Kolongele Eberande, avait lancé les premières rencontres. L’objectif affiché par le président Félix Tshisekedi était de parvenir à un consensus permettant la formation d’un gouvernement inclusif, capable de répondre aux défis politiques, économiques et surtout sécuritaires du pays. « Restons unis pour faire face à l’ennemi » était le mot d’ordre scandé par Félix Tshisekedi. Affaibli par les défaites à répétition de son armée face au M23, qui occupe désormais les deux plus grandes villes du Nord et du Sud-Kivu, le président congolais souhaitait surtout resserrer les rangs au sein de sa majorité en ces temps troublés.
« Le président Tshisekedi fait partie du problème »
Entre le 24 mars et le 9 avril, se sont tenues des consultations politiques avec la coalition présidentielle au parlement et la société civile. Comme attendus, les leaders de l’opposition, Martin Fayulu, Moïse Katumbi, Delly Sesanga et Joseph Kabila, ont boycotté l’initiative présidentielle. Pour Hervé Diakiese, le porte-parole du parti Ensemble de Moïse Katumbi, « le président Tshisekedi fait partie du problème. Quand la maison brûle, on ne fait pas l’unité autour du pyromane, mais autour du pompier ». Même son de cloche dans le camp Fayulu ou Sesanga, où on ne semble pas disposés à sauver le soldat Tshisekedi. Au sein du parti kabiliste, la sénatrice Francine Muyumba avait estimé sur son compte X que « le gouvernement d’union nationale [était] une disposition de plus qui ne pourra résoudre les problèmes créés par le régime en place, qui a cherché à s’approprier tous les pouvoirs à tout prix ». Les ténors de l’opposition plaident plutôt pour l’initiative des Églises (CENCO et ECC) qui prônent un « pacte pour la paix », un dialogue politique interne, dont ne veut pas Félix Tshisekedi.
Le PPRD hors-jeu
Depuis, le PPRD de Joseph Kabila a été suspendu et une levée de l’immunité parlementaire de l’ancien président a été demandée au Sénat. Les autorités congolaises souhaitent le poursuivre pour sa collusion supposée avec les rebelles du M23. Déclarés hors-jeu, les kabilistes sont désormais poussés à la radicalité. Une configuration qui pourrait ne pas déplaire à l’ex-chef de l’Etat qui semble justement vouloir se reconstruire une nouvelle image, et pourquoi pas un nouveau parti, débarrassé de la mauvaise réputation du PPRD. Dans cette même logique, la suspension du PPRD permet à Félix Tshisekedi d’envoyer un avertissement aux anciens kabilistes qui composent aujourd’hui 70% de la majorité présidentielle, et qui auraient pu être tentés de jouer trouble-jeu.
Soigner une Union sacrée fragile
Mais entre-temps, l’activité diplomatique s’est accélérée autour du conflit qui oppose la RDC au M23 et au Rwanda. Félix Tshisekedi et Paul Kagame se sont rencontrés à Doha, tout comme le M23 et les autorités congolaises. Les États-Unis ont également réussi à faire signer à Kinshasa et Kigali une déclaration de principes, prémices à de potentielles négociations de paix. Enfin une bonne nouvelle pour Félix Tshisekedi. La nécessité d’un gouvernement d’union nationale, est-elle toujours indispensable ? Kinshasa n’a-t-il pas intérêt à temporiser en attendant les fruits du processus de paix américano-qatari qui pourrait redonner de l’air et faire taire les critiques autour de Félix Tshisekedi ? Sans l’opposition, pourra-t-on encore appeler cela un gouvernement d’union nationale ? Et pour quoi faire ? En fait, Félix Tshisekedi doit soigner sa coalition pléthorique, dont la fiabilité paraît bien fragile, surtout en temps de guerre.
Des ministres sur la sellette
Le possible gouvernement d’union nationale, qui pourrait se transformer en simple remaniement, devrait surtout permettre au chef de l’Etat de faire le ménage au sein de son exécutif et rééquilibrer les poids politiques. Certains ministres sont sur la sellette comme celui de la Défense. D’autres pourraient apparaître trop radicaux si un accord de paix venait à être signé avec le Rwanda. On pense au tonitruant ministre de la Justice, Constant Mutamba. Certains s’estiment mal payés au sein du gouvernement comme Modeste Bahati, ou même Jean-Pierre Bemba, omniprésent sur le conflit à l’Est, alors qu’il a été débarqué du ministère de la Défense pour les Transports. Quelle place pour Vital Kamerhe dont le soutien à Félix Tshisekedi ne tient qu’à un fil ? Et enfin, quid de la très transparente Première ministre Judith Suminwa, qui s’inscrit dans la droite ligne de son prédecesseur Sama Lukonde, et qui pèse peu politiquement.
Il est urgent d’attendre
Les consultations pour la formation d’un gouvernement d’union nationale ont donc essentiellement tourné autour du partage des postes au sein de l’Union sacrée présidentielle. Seuls quelques personnalités, hors majorité, comme l’ancien Premier ministre Adolphe Muzito, ou Moïse Moni Della se sont déclarées ouvertes pour participer à un éventuel gouvernement d’ouverture. Jeannot Lompempe, un illustre inconnu du FCC (la plateforme multi-partis de Joseph Kabila) s’était également déclaré disponible avant d’être désavoué par le mouvement qui a dénoncé « un imposteur ne pouvant représenter le FCC ». Alors que la roue tourne pour Félix Tshisekedi avec l’espoir d’une paix prochaine sous l’égide américaine et qatarie, il est urgent d’attendre avant de mettre en place un nouveau gouvernement. L’initiative, lancée alors que le M23 s’emparait des principales villes de l’Est, peut encore attendre, même si Félix Tshisekedi sait que dans ces circonstances incertaines, son bail reste toujours précaire.
Christophe Rigaud – Afrikarabia