L’échec de la signature des « arrangements particuliers » sur la mise en oeuvre de l’accord politique entre le pouvoir et l’opposition, risque de nouveau de faire plonger le pays dans une zone d’incertitude des plus dangereuses.
Presque un mois après la signature de l’accord politique entre le pouvoir et l’opposition, sa mise en place n’a toujours pas débuté Kinshasa. Et pour cause, de nombreux points de désaccord persistent encore entre majorité et opposition. La signature des « arrangements particuliers » n’a pas pu avoir lieu. Au coeur des désaccords : la désignation du Premier ministre et du nouveau gouvernement, le rôle des évêques de la Cenco pendant la transition et le calendrier de mise en place de l’accord. Pourtant, la pression des évêques qui jouent les bons offices dans la médiation, était maximale ce week-end : l’accord devait être signé « au plus tard samedi soir ».
Primature : le président Kabila veut avoir le choix
Mais comme souvent à Kinshasa, rien ne s’est passé comme prévu.Si la médiation a poussé les participants dans leurs derniers retranchements, quatre points de blocage achoppaient toujours ce week-end au centre interdiocésain de Kinshasa. Le plus délicat concerne la nomination du nouveau Premier ministre issu de l’accord du 31 décembre. Selon le texte signé par les deux parties prenantes, le Premier ministre est « présenté par le Rassemblement de l’opposition et nommé par le Président de la République ». Et le nom de Félix Tshisekedi a rapidement fait consensus au sein de la plateforme d’opposition. Mais depuis la signature de l’accord de la Saint-Sylvestre, la majorité a changé son fusil d’épaule et demande maintenant à l’opposition de soumettre une liste de 5 noms de « premiers-ministrables » afin que Joseph Kabila puisse « faire son choix ». Une exigence « contraire à l’accord » selon l’opposition… et donc inacceptable.
L’opposition veut les ministères-clés
La répartition des portefeuilles ministériels fait également l’objet de forts désaccords. Le nombre de postes de ministres a d’ailleurs été rehaussé de 46 à 53… histoire de « servir » toutes les tendances. Reste à attribuer les maroquins, et là encore… ça bloque. Au centre des dissensions : la répartition des ministères-clés comme la Défense, l’Intérieur, la Justice, les Affaires étrangères ou encore les mines. L’opposition ne souhaiterait notamment obtenir l’Intérieur et la Justice, deux ministères stratégiques pour l’organisation des élections et l’arrêt du harcèlement judiciaire contre les opposants politiques. Mais la majorité veille au grain.
La Cenco sollicitée pour accompagner l’accord
Le rôle des évêques de la Cenco, qui continuent d’avoir la confiance des acteurs politiques et de la population, pendant la transition, pose également question. La majorité présidentielle voudrait que les évêques cessent la médiation dès la signature des « arrangements particuliers », tandis que l’opposition souhaite voir les prélats accompagner le processus jusqu‘à la mise en œuvre de l’accord. Là encore, les positions divergent. Mauvais signal : les évêques qui voulaient s’entretenir de la question avec le président Joseph Kabila, n’ont pas été reçus par le chef de l’Etat, qui préfère une nouvelle fois « temporiser ». Dernier point d’achoppement : le chronogramme de l’accord. La majorité voudrait que le nouveau gouvernement n’entre en fonction qu’après la cession parlementaire de mars. Un délai beaucoup trop long pour l’opposition, qui voudrait prendre les commandes de la transition au plus vite pour avoir une chance d’organiser la présidentielle fin décembre 2017 (ce qui constitue déjà un tour de force).
Passage en force ?
La stratégie de l’enlisement orchestrée par le pouvoir fait craindre le scénario du pire. Car, en cas de blocage de longue durée et d’échec de la négociation, majorité et opposition risquent d’être tentées par le passage en force. Le pouvoir pourrait faire appelle à la tenue d’un référendum pour « laisser le choix au peuple » et imposer une transition taillée sur mesure pour le camp présidentiel, ou pire, en demandant de modifier la Constitution pour permettre à Joseph Kabila de se représenter. L’opposition n’aurait d’autre choix que d’en faire appel à la rue pour régler la crise politique. Une option à haut risque, alors que les dernières manifestations ont été lourdement réprimées par les services de sécurité, provoquant à chaque fois la mort d’une cinquantaine d’opposants. La stratégie du pourrissement, chère à Joseph Kabila, est donc bien en route à Kinshasa. Laissant penser que le président congolais s’est servi du dialogue de la Cenco uniquement pour « passer le cap du 19 décembre », date officielle de la fin de son dernier mandat, et faire baisser la pression internationale. Seule bonne nouvelle : la Cenco semble ne pas vouloir baisser les bras. Les évêques donnent « une semaine » aux deux parties pour (enfin) se mettre d’accord.
Christophe RIGAUD – Afrikarabia