La victoire écrasante de Félix Tshisekedi, avec plus de 73% des voix, masque les nombreux défis qui attendent le président congolais pour son second mandat. Sécurité, économie, politique sont les principaux chantiers de Félix Tshisekedi… où tout reste à faire.
Félix Tshisekedi a dû savourer sa cérémonie d’investiture, samedi, dans un stade des Martyrs plein à craquer et devant une vingtaine de chefs d’Etat et de gouvernement. Cette reconnaissance internationale était une première pour un président congolais dont les prestations de serment étaient le plus souvent boudées pour ses pairs africains et ses partenaires internationaux. Malgré la contestation de l’opposition qui dénonce toujours un « simulacre d’élection » et un « coup d’Etat électoral », Félix Tshisekedi a pu compter sur la présence de principaux chefs d’Etat de la région, à l’exception du président rwandais, et tenter de redonner ainsi une touche de légitimité à son second mandat.
Ramener la paix à l’Est
Une fois passée l’euphorie de sa victoire écrasante à la présidentielle, avec 73,4% des voix, et sa mainmise sur plus de 90% de l’Assemblée nationale, Félix Tshisekedi aura du pain sur la planche. Le président-candidat s’était présenté aux élections avec un bilan des plus maigres, et un seul satisfecit, répété à l’envie : la mise en place de la gratuité de l’enseignement primaire et de l’accès à la maternité. Félix Tshisekedi devra tout d’abord s’attaquer au plus gros échec de son premier mandat : ramener la paix à l’Est. On se souvient qu’en 2019, le tout nouveau président avait fait de sa lutte contre l’insécurité, sa principale promesse de mandat. Il avait même promis « de sacrifier [s]a vie pour que la paix revienne ». Au bout de 5 ans, le conflit à l’Est du Congo a redoublé de violence, la rébellion du M23 a resurgi au Nord-Kivu, les ADF se sont ralliés à l’Etat islamique et le nombre des réfugiés internes a atteint le chiffre record de 7 millions.
Cinq années d’échec sécuritaire
Pour juguler une situation sécuritaire en dérapage permanent, Félix Tshisekedi avait lancé plusieurs initiatives, toutes couronnées par un échec cuisant. Le chef de l’Etat s’était d’abord tourné vers l’Ouganda et le Burundi, puis avait tenté de négocier à Nairobi, avant de faire appel à la force régionale de l’Afrique de l’Est, ou de mobiliser des groupes armés anti-M23, baptisés « Wazalendo », pour combattre la rébellion soutenue par la Rwanda. Ces stratégies avaient toute échoué. Félix Tshisekedi, qui a promis pour son second mandat de mettre fin au M23, se trouve donc dans l’obligation de réussir. Pour cela, le président mise sur l’arrivée de nouvelles troupes régionales : celles de l’Afrique australe (SADC), que Kinshasa espère plus offensives que la force est-africaine. Le hic, c’est que le mandat de la mission de la SADC reste des plus flous, et donc sans garanties de combattre réellement sur le terrain le M23.
Tshisekedi compte sur ses drones et la SADC
Les premiers soldats de la SADC se sont positionnés autour de Goma et de Sake, la porte d’entrée vers la capitale provinciale du Nord-Kivu. Le but semble être principalement d’empêcher les rebelles d’entrer dans Goma. Pour lutter contre le M23, Félix Tshisekedi dispose depuis peu d’une nouvelle arme : des drones d’attaque chinois. Le 17 janvier, un drone de combat de l’armée congolaise a tué deux commandants du M23, derrière la ligne de front, dans la zone de Kitshanga, dans le Masisi. Cette attaque signe un premier tournant dans le conflit entre l’armée congolaise et la rébellion. Félix Tshisekedi espère pouvoir affaiblir le M23 et avancer sur le terrain grâce à son armée et à ses supplétifs, mais aussi avec les deux sociétés militaires privés engagées par Kinshasa.
Le cas Nangaa
Sur le front sécuritaire, Félix Tshisekedi devra également gérer les autres conflits communautaires, dans le Maï-Ndombe, la Tshopo, ou l’ex-Katanga. Autre épine dans le pied de Kinshasa : la nouvelle alliance politico-militaire nouée par le M23 avec Corneille Nangaa, l’ancien président de la Commission électorale (CENI), sous le nom d’Alliance Fleuve Congo (AFC). Cette plateforme est censée servir de vitrine politique au M23 en cas de négociations avec le gouvernement congolais. Car en cas d’échec de sa stratégie offensive, le président Tshisekedi sera dans l’obligation d’ouvrir des discussions avec les rebelles, ce que le président refuse pour l’instant. Mais cela n’exonérera pas Kinshasa de devoir, à court ou moyen de terme, de renouer avec le vrai donneur d’ordre du M23, le Rwanda.
Le défi du développement
Le second chantier, et non des moindres, de Félix Tshisekedi, sera celui de l’économie et du social. On se souvient qu’en 2019, Félix Tshisekedi s’était engagé à faire de son pays « l’Allemagne de l’Afrique », à développer l’économie et à créer des emplois. Mais l’inflation grimpe (21%), la croissance plafonne (7%) et le franc congolais continue de se déprécier. Stabiliser la monnaie et relancer l’économie seront donc une priorité, avec notamment la construction d’infrastructures, conditions sine qua non au développement. L’économie est encore largement dominée par le secteur informel et l’argent manque cruellement dans les caisses de l’Etat. Certes, le budget a été porté à 16 milliards de dollars, mais c’est une goutte d’eau pour ce pays de 100 millions d’habitants, grand comme l’Europe occidentale. Les Congolais vivent encore largement en dessous du seuil de pauvreté et le train de vie de l’Etat accapare encore la majorité du budget.
Combattre « les voleurs »
Pour lutter contre la pauvreté et mieux redistribuer les recettes de l’Etat, il faudra combattre « le mal congolais » qu’est la corruption. Des initiatives ont été prises avec l’Agence de lutte contre la corruption (APLC) ou la remise en ordre de bataille de l’Inspection générale des finances (IGF) et de la Cour des comptes. Mais, si des procès retentissants pour détournements de fonds publics ont bien eu lieu, les inculpés ont tous retrouvé la liberté ou ont été blanchis. Il faudra donc « dépolitiser » une lutte contre la corruption trop « sélective » pour qu’elle soit efficace. Pendant la cérémonie d’investiture de Félix Tshisekedi ce week-end, le pasteur Roland Dalo a fustigé au micro devant les caciques du pouvoir et le président lui-même « les voleurs et ceux qui s’enrichissent » en ne voyant que « leurs intérêts ». Le message est bien passé, mais, pour l’instant, la lutte contre la corruption reste un voeux pieux et continue de gangrener la société congolaise à tous les étages.
Un hyperprésident aux pieds d’argile
Le dernier chantier de Félix Tshisekedi est politique et se déroulera surtout en coulisse. Le chef de l’Etat devra clarifier sa coalition, qui sera certes ultra-dominatrice dans les deux chambres, mais qui reste un agrégat composite de petits partis qu’il faudra tous récompenser. Félix Tshisekedi devra également trouver la juste place pour ses alliés de poids que restent Vital Kamerhe et Jean-Pierre Bemba, même si le MLC de ce dernier est en net recul aux législatives. D’autant que le patron de l’UNC et celui du MLC n’ont sans doute pas renoncé à briguer le fauteuil présidentiel. Tshisekedi devra canaliser les ambitions de ces deux poids lourds s’il veut mener son second mandat à bon port. La composition du futur gouvernement devra être un subtil dosage entre une nouvelle génération d’hommes et de femmes politiques que va vouloir pousser Félix Tshisekedi et l’ancienne génération toujours en embuscade. Le président a beaucoup de monde à remercier et il y aura également beaucoup de déçus qui seront autant d’épines dans le pied du président.
Une seconde chance de mieux faire ?
Le second mandat ne sera donc pas un long fleuve tranquille. Le problème de la légitimité de Félix Tshisekedi reste posé. Au tour de passe-passe avec Joseph Kabila pour se partager le pouvoir en 2018, vient s’ajouter le score stratosphérique et quasi-soviétique du dernier scrutin qui interroge tout autant. Il planera toujours un parfum de fraude sur le vote du 20 décembre. Les machines à voter retrouvées chez des particuliers, l’absence de chiffres sur les bureaux de vote réellement ouverts, la prolongation du scrutin pendant six jours… font dire à l’Eglise catholique que « ces élections ont été caractérisées, en général, par la fraude, et la corruption à grande échelle ». Et contrairement à ce que clame le camp présidentiel, les Congolais ne se sont pas vraiment rués aux urnes le 20 décembre : seuls 43% des électeurs ont pu déposer un bulletin dans l’urne, signant ainsi le plus faible taux de participation depuis 2006. Avec ce second mandat, Félix Tshisekedi s’est donc offert une seconde chance de mieux faire à la tête du Congo. Sera-t-il à la hauteur ? Au vu du scrutin chaotique du 20 décembre, on peut dire que c’est plutôt mal parti.
Christophe Rigaud – Afrikarabia
Bonjour,
Le président kényan était present.
Cordialement,
Carla
Merci, c’est corrigé
C’est le cas de le dire, une seconde chance s’offre à Tshisekedi pour mieux faire mais sera-t-il à la hauteur de la saisir après 5 ans d’un bilan maigre qui laisse de multiples et complexes complexes chantiers en jachère ? Tout ou presque tout, dans tous les cas, beaucoup reste encore à faire : sécurité, économie et social, bonne gouvernance et probité publique, politique après un scrutin chaotique avec des résultats d’une insolente domination pas toujours facile à gérer, etc, etc…
En vérité ces maux sont connus, ils ne demandent qu’une lucidité et un courage à toute épreuve, c’est dire la capacité du Chef de respecter le serment à son investiture de faire autrement que par le passé.
Attendons la suite où ses premiers actes, formation du gouvernement et des bureaux du parlement, nécessaire restructuration de l’appareil judiciaire…nous renseigneront s’il a emprunté le bon chemin en attendant ses efforts pour assainir et optimiser le secteur de la sécurité et défense.
A bon entendeur…
PS
Un changement significatif de méthodes et des hommes – beaucoup de « voleurs » à pouvoir expulser et une lutte déterminée contre le péché endémique de la corruption à commencer par lui-même, son entourage et ses fidèles collaborateurs devenus des complices. Il faut que l’IGF d’Alingete cesse d’être un alibi qu’on agite pour se donner bonne conscience mais dont les enquêtes échouent devant une Justice corrompue et aux ordres.
Ailleurs c’est la dénonciation de l’agression du Rwanda qui doit se matérialiser en actions fermes palpables au lieu de rester verbale…