L’installation de l’Assemblée nationale et la nomination du futur gouvernement sont au point mort depuis 5 mois en République démocratique du Congo (RDC). En cause, la lutte pour le partage des postes au sein d’une majorité présidentielle hétéroclite.
Assemblée nationale, gouvernement… Ça bloque ! Depuis la réélection du président Félix Tshisekedi en décembre 2023, les institutions peinent à se mettre en place. La composition du nouveau gouvernement, dont la Première ministre Judith Suminwa, a été nommée le 1er avril dernier, se fait toujours attendre. Même punition pour le bureau définitif de l’Assemblée nationale, dont les candidatures pourraient être déposées à partir de ce vendredi, trois mois après le début de la session inaugurale extraordinaire. Pour comprendre le retard à l’allumage au sein des institutions politiques congolaises et les raisons d’un pays qui tourne au ralenti, il faut revenir sur les conditions de la victoire écrasante de Félix Tshisekedi à la présidentielle et aux législatives.
Une majorité écrasante, mais fragile
Grâce à une imposante coalition présidentielle, sous le nom d’Union sacrée de la Nation, le président Tshisekedi a pu obtenu le score quasi-soviétique de 73% à la présidentielle malgré un scrutin chaotique, émaillé de nombreuses irrégularités et contesté par l’opposition. Le chef de l’Etat a également raflé plus de 90% des sièges à l’Assemblée nationale, toujours grâce à sa coalition présidentielle. Seulement voilà, la majorité pro-Tshisekedi est loin d’être homogène, et l’Union sacrée est composée d’un chapelet de partis politiques aux ambitions dévorantes. Hormis l’UDPS, le parti présidentiel, qui est le plus important en nombre de sièges (une centaine), l’UNC de Vital Kamerhe, l’AFDC de Modeste Bahati et le MLC de Jean-Pierre Bemba, le reste est élus se trouve morcelé en une multitude de micros partis avec lesquels il faudra bien partager le gâteau, au gouvernement et à la gouvernance de l’Assemblée nationale.
Kamerhe imposé au forceps
Les problèmes de leadership dans l’Union sacrée ont commencé par la désignation du candidat au perchoir de la chambre basse. Pour porter les couleurs de la majorité, la bataille s’est jouée entre Vital Kamerhe, deuxième force politique à l’Assemblée, Modeste Bahati, le président du Sénat et le président sortant, qui souhaitait s’accrocher à son poste, Christophe Mboso. L’UDPS, qui avait décroché la Primature, avec la nomination de Judith Suminwa comme Première ministre, avait passé son tour et souhaité privilégier un autre membre de l’Union sacrée. Une condition imposée par Félix Tshisekedi pour garder la cohésion de sa majorité. En délicatesse avec l’UDPS, Vital Kamerhe était pourtant le choix du président Tshisekedi qui souhaitait cajoler son allié historique et loyal de la présidentielle de 2018. Pour ne pas vouloir imposer « le choix du prince », Félix Tshisekedi a préféré passer par la case primaire, en organisant un scrutin entre les trois prétendants. Le patron de l’UNC a été désigné candidat unique de la majorité pour le perchoir le 23 avril dernier, même. Mais le score très serré de Vital Kamerhe et l’abstention de nombreux élus montraient déjà les limites dans sa capacité de fédérateur au sein de l’Union sacrée.
À l’Assemblée, papy fait de la résistance
Mais depuis, le président de l’Assemblée nationale, Christophe Mboso, 81 ans, est accusé de faire traîner les procédures. Il reporte par deux fois le dépôt des candidatures pour élire le bureau définitif, et les membres de l’Union sacrée peinent là encore à s’accorder pour les postes restants : ceux de premier et deuxième vice-président, de rapporteur, ou de questeur… Mercredi 8 mai, une centaine de députés ont lancé un ultimatum de 72 heures à Christophe Mboso pour organiser les élections du bureau définitif. Ils accusent le président de l’Assemblée de bloquer l’institution pour prolonger son mandat. De son côté, Christophe Mboso botte en touche et dénonce les atermoiements des partis membres de l’Union sacrée. Dans un communiqué, il « exhorte la majorité à finaliser dans les meilleurs délais les pourparlers » concernant la liste des candidats. Une sortie du doyen de l’Assemblée qui montre que, là encore, la cacophonie règne dans l’Union sacrée pour la bataille des postes. Sous pression, Christophe Mboso publie un nouveau calendrier ce mercredi, avec un dépôt des candidatures ce vendredi pour une élection fixée au 18 mai.
Tensions en vue pour le perchoir
Le retard dans l’installation du bureau définitif de l’Assemblée nationale impacte directement la nomination du gouvernement de Judith Suminwa, qui se fait attendre depuis maintenant un mois. La nouvelle Première ministre doit en effet se présenter devant les députés qui votent la confiance au gouvernement. Mais là encore, les tractions en coulisse traîne en longueur pour se mettre d’accord sur la liste du nouvel exécutif. Judith Suminwa avait annoncé un gouvernement resserré de moins de 50 membres, contre 57 aujourd’hui. Le chiffre de 45 ministres et vice-ministres avait même été avancé. Mais pour ne pas faire de déçus dans la majorité, l’équation semble insoluble. Si le seuil de sept députés nationaux pour un ministre nommé a été relevé à dix députés, nombre d’observateurs tablent plutôt sur un gouvernement pléthorique, à l’image de la majorité présidentielle, composé de 50 à 60 maroquins. Car l’objectif premier de Félix Tshisekedi pour lancer enfin son second mandat et de pouvoir compter sur une majorité unie et stable. Un pari loin d’être gagné d’avance, d’autant que l’élection de Vital Kamerhe au perchoir, qui fait grincer des dents à l’UDPS, pourrait créer de nouvelles tensions au sein de l’Union sacrée.
Christophe Rigaud – Afrikarabia