Le flou savamment entretenu par la Commission électorale sur la transmission électronique des résultats par les machines à voter nourrit toujours la méfiance et la défiance de l’opposition.
Objet de toutes les critiques, les machines à voter font de nouveau parler d’elles. Un récent reportage de TV5 Monde révèle les ambiguïtés autour de la transmission des résultats des élections générales, prévues le 30 décembre prochain et déjà reportées par trois fois. A la fois imprimante de bulletin de vote et outil de comptage, la polémique se concentre sur la transmission électronique des données, alors que le vote électronique est interdit par la loi électorale congolaise.
Pendant de long mois, le président de Commission électorale (CENI) a soutenu que le seul le comptage manuel ferait foi, mais le reportage de TV5 Monde jette le trouble avec l’interview d’un rapporteur adjoint de la Commission qui confirme la transmission électronique des résultats avant que l’entretien ne soit interrompu par un conseil du président de la CENI. A la reprise de l’interview, le rapporteur modifie ses explications et parle de « compilation manuelle des résultats ».
Transmission électronique confirmée
Ce que redoute l’opposition, c’est la possibilité pour les autorités congolaises de modifier électroniquement les résultats avant leur publication. Après la diffusion du reportage, Corneille Nangaa, le patron de la CENI s’est exprimé sur TV5 Monde pour confirmer à mi-mot la transmission électronique : « La transmission sera là, mais les résultats qui seront annoncés ce sont les résultats qui viennent des bulletins de vote (papier – NDLR). Et qu’on ne lie pas la question de la transmission à celle de la machine à voter. Même sans machine à voter, on avait transmis les résultats en 2006 et en 2011 par la voix des centres locaux de compilation, c’est la même procédure qui continue ».
Toujours selon Corneille Nangaa, les machines resteront déconnectées pendant le vote et ne seront reconnectées que pour les transmissions des données. Mais le hic, c’est que l’on n’a toujours pas la réponse à une question importante qui est la clé de la sincérité du scrutin : pourra-t-on avoir dans chaque bureau de vote la possibilité pour les représentants des candidats et les observateurs électoraux de vérifier le comptage des voix ? La machine à voter, qui n’a pas pu être auditée de manière indépendante, se trouve donc hors de tout contrôle, et facilement piratable, selon plusieurs experts électoraux.
Des résultats en seulement 48 heures
Si les résultats sortiront du comptage manuel, selon Corneille Nangaa, il faut savoir que la CENI souhaite annoncer les résultats en seulement deux jours. Comment cette prouesse est-elle possible sans l’utilisation du comptage électronique ? A la présidentielle de 2011, il a fallu six jours pour obtenir les premiers résultats. Le nom du vainqueur risque donc d’être annoncé, non pas grâce au comptage manuel, mais électronique. L’opposition, si elle est perdante, se retrouvera devant le fait accompli.
L’opposant Martin Fayulu estime que la CENI, « instrumentalisée par le pouvoir », cherche « manifestement à organiser des élections chaotiques ». Le chef de file de Lamuka et sept autres candidats à la présidentielle exigent une réunion d’urgence avec le patron de la CENI et demandent aux opérateurs télécoms de désactiver les cartes SIM des machines à voter et à mettre à la disposition du public tous les numéros des cartes vendus à la CENI. Selon le coordonnateur du Front Commun pour le Congo (FCC), la plateforme du pouvoir, Néhémie Mwilanya, « la nouvelle polémique autour de l’envoi des résultats manuel ou électronique est une diversion de l’opposition qui n’est pas prête à aller au scrutin ».
Inquiétudes régionales
Alors que l’on s’achemine vers une élection, sans aucun doute, contestée, avec un risque de conflit post-électoral aigu, les pays de la région s’inquiètent du dernier report de sept jours du scrutin annoncé par la CENI et de la polémique autour de la machine à voter. Joseph Kabila avait réussi à faire baisser la pression et à rassurant ses pairs africains en annonçant son refus de briguer un nouveau mandat et en confirmant la date du 23 décembre pour la tenue du scrutin.
Mais avec ce troisième report, l’incendie d’un entrepôt de la CENI, et les retards de déploiement du matériel et des agents électoraux, les pays d’Afrique australe (SADC) et des Grands lacs (CIRGL) estiment désormais que le pouvoir de Kinshasa redevient un facteur important d’instabilité. Une réunion d’urgence de ces deux institutions régionales est convoquée à Brazzaville mercredi 26 décembre, soit quatre jours avant le scrutin. Avec la crise post-électorale en vue, 7.000 Congolais ont déjà fui vers Brazzaville en moins d’une semaine. Un bien mauvais signal.
Christophe RIGAUD – Afrikarabia