A 5 mois des élections générales, l’opposition congolaise apparaît plus divisée que jamais. Les principaux opposants au président Tshisekedi affichent des positionnements contradictoires, entre contestation populaire, boycott et attentisme.
« Chacun pour soi », tel semble être le mot d’ordre des opposants congolais alors que les élections présidentielle et législatives, théoriquement fixées en décembre, arrivent à grands pas. Plus le scrutin approche, plus l’hypothèse d’une alliance de l’opposition s’éloigne. Signe de l’incertitude qui plane sur la tenue des élections dans les délais, le faible nombre de candidats à la députation nationale, ce qui a obligé la Commission électorale (CENI) a repousser d’une semaine les inscriptions. Malgré ce report, deux poids lourds de la politique congolaise ont décidé de bouder les législatives en ne présentant aucun candidat : Martin Fayulu, l’ex-candidat malheureux de 2018 et l’ancien président Joseph Kabila.
Boycott de Kabila
Pour l’ex-chef de l’Etat, la stratégie de boycotter le scrutin de décembre est clairement affichée depuis plusieurs semaines. Joseph Kabila avait fustigé le président Félix Tshisekedi en juin, lors d’une de ses rares sorties devant ses soutiens, qualifiant son régime de « dictature » et estimant que les conditions n’étaient pas réunies pour « de bonnes élections ». Emmanuel Ramazani Shadary, le secrétaire général du PPRD, le parti kabiliste, avait dénoncé depuis de nombreux mois l’absence de son mouvement au sein de la CENI et « l’instrumentalisation » de la Cour constitutionnelle par le pouvoir. Résultat des courses, le PPRD a demandé à ses partisans de boycotter les opérations d’enrôlement des électeurs et n’a proposé aucun candidat à la députation. Quant au Raïs, dont on peine toujours à décrypter les intentions personnelles, il semble bien partie pour être absent du scrutin de 2023 et passer son tour en attendant des jours meilleurs.
Opération « délégitimation »
Au sein de la mouvance kabiliste, le boycott du scrutin a beaucoup divisé en interne, notamment chez les députés des sénateurs. Le long silence de Joseph Kabila avant de boycotter les élections avait déjà poussé certains caciques de son parti à mettre les voiles pour prêter allégeance à Félix Tshisekedi. A l’instar de l’ancien ministre de l’Intérieur, Evariste Boshab, de l’ex-ministre de la Justice, Célestin Tunda, de Léonard She Okitundu, d’Adolphe Lumanu, d’André-Alain Atundu ou du très médiatique Lambert Mende… Tous avaient décidé de rejoindre l’Union sacrée de Félix Tshisekedi. Parmi les derniers fidèles de Joseph Kabila, on ne s’émeut pas beaucoup de ses départs qui « font le ménage » dans le mouvement kabiliste et permettre « de préparer l’avenir avec de nouvelles têtes », nous confie un membre du PPRD. L’objectif du boycott des élections est « de délégitimer une réélection de Félix Tshisekedi » considérée comme acquise par le camp Kabila.
Fayulu, l’équilibriste
L’idée d’un boycott des élections a également effleuré l’opposant Martin Fayulu. Le 19 juin, le patron de l’Ecidé a déclaré qu’il ne présenterait pas, lui aussi, de candidats aux législatives. Sans prononcer le mot de boycott, le candidat de 2018 souhaite mettre la pression sur la Commission électorale. Il dénonce « un fichier électoral corrompu », dans lequel se trouverait, selon lui, « 10 millions d’électeurs fictifs ». Son mot d’ordre est clair : « Pas de fichier fiable, pas d’élection ! » Mais son positionnement sur sa participation au scrutin présidentiel l’est un peu moins. Sera-t-il candidat ou pas ? Sur TV5MONDE le 24 juillet, il a martelé qu’il ne boycottait pas les élections : « Il n’y a pas le mot boycott dans notre vocabulaire », sans en dire davantage sur son avenir personnel. Un numéro d’équilibriste qui rend perplexe certains de ses soutiens.
Appel à la rue
La stratégie de Martin Fayulu était, dans un premier temps, d’entraîner les autres partis d’opposition à refuser de participer au scrutin avec un fichier électoral qu’il juge frauduleux en ne déposant pas de candidatures aux législatives. Mais avec le refus de la CENI de réviser le fichier des électeurs comme le demandait l’opposition, les autres partis, Ensemble de Moïse Katumbi, LGD de Matata Ponyo et l’Envol de Delly Sesanga, ont finalement tous décidé de déposer leurs listes. Martin Fayulu se retrouve désormais bien seul dans la stratégie du boycott des législatives… seul, aux côtés de Joseph Kabila. Pour continuer à faire pression sur la CENI et le gouvernement, Martin Fayulu, n’a donc plus que l’outil de la mobilisation populaire pour faire bouger les lignes. Il multiplie les meetings et lance un appel à une grande marche le 12 août prochain à Kinshasa. Mais sans l’appui des autres partis d’opposition, cette stratégie de l’appel à la rue s’avère, pour le moment, peu payante.
Katumbi touché par deux fois
L’autre leader de l’opposition, Moïse Katumbi, traverse une bien mauvaise passe. Après l’arrestation de son bras droit, Salomon Kalonda, le 30 mai dernier et l’assassinat du porte-parole de son parti, Chérubin Okende, le 13 juillet, Ensemble pour la République apparaît plus affaibli que jamais. Les cadres du parti sont entièrement mobilisés pour obtenir la libération du conseiller principal de Moïse Katumbi et faire pression pour obtenir que toute la lumière soit faite sur le meurtre du député Okende. Pas vraiment la tête aux élections. Sur ces deux affaires, le parti de Katumbi dénonce « un acharnement politique » pour nuire à la candidature de l’ancien gouverneur du Katanga. Autant dire que la campagne électorale semble bien mal engagée pour le patron du TP Mazembe, qui est resté jusque-là très discret depuis l’annonce de sa candidature à la magistrature suprême en décembre 2022. Contrairement à Fayulu, le parti a bien présenté ses candidats aux législatives.
Matata et Sesanga : une candidature pour exister
Deux autres opposants sont en lice pour la présidentielle : l’ancien premier ministre Matata Ponyo et le leader d’Envol Delly Sesanga. Ils ont tous les deux déposé des listes de candidats pour les législatives. Mais leurs objectifs pour la présidentielle s’avèrent différents de Fayulu et Katumbi. Pour Augustin Matata Ponyo, toujours englué dans l’affaire de détournement de fonds du projet agricole de Bukanga-Lonzo, sa candidature lui fait office de protection contre des possibles déboires judiciaires… c’est du moins, ce qu’il espère. Continuer de peser sur l’échiquier politique semble indispensable pour la survie de l’ancien premier ministre dans le capharnaüm politique congolais. Pour Delly Sesanga, problèmes judiciaires mis à part, l’objectif de sa candidature est le même : s’imposer comme une personnalité politique incontournable, quitte à nouer une alliance avant le scrutin.
Mukwege l’arlésienne ?
Reste le dernier point d’interrogation de cette équation politique : la possible candidature de Denis Mukwege. De nombreux appels de personnalités de la société civile souhaitent voir le prix Nobel se lancer dans la course à la présidentielle. Fort de son aura de médecin gynécologue qui lutte contre les violences sexuelles à l’Est du Congo, Denis Mukwege ne s’est jamais prononcé sur ses intentions politiques. Pourtant, depuis plusieurs mois, le célèbre médecin multiplie les prises de positions sur la guerre à l’Est ou le processus électoral chaotique qu’il critique sévèrement. Si certains pensent que la candidature de Denis Mukwege est acquise et qu’il attend le bon timing pour se déclarer, d’autres s’interrogent sur son réel poids politique, sa capacité à rassembler, et le risque d’abîmer son image. Il n’empêche que dans la configuration politique actuelle, sa candidature ne ferait que rajouter un nom à la longue liste de candidats-présidents. Dans une élection à un tour, seule une union de l’opposition serait en capacité de peser face à Félix Tshisekedi.
Tshisekedi accélère
A 5 mois du scrutin, l’incertitude continue de planer sur la présidentielle de décembre. Le flou dans lequel navigue l’opposition tient également aux risques d’un possible glissement du calendrier électoral. Le manque de financement et la guerre à l’Est pourraient être la cause d’un report des élections. Le gouvernement a longtemps tiré la sonnette d’alarme sur le sujet. Mais depuis quelques mois, l’exécutif semble être disposé à aller aux élections à marche forcée. Des moyens financiers ont récemment été débloqués pour la Commission électorale et le conflit avec le M23 à l’Est du pays, s’est s’être mis sur pause, comme pour attendre la tenue du scrutin de décembre. Le camp présidentiel ne semble plus douter de la victoire du chef de l’Etat sortant. La fragmentation de l’opposition qui s’accélère conforte le pouvoir de ne pas retarder le scrutin afin d’entamer le plus rapidement possible le deuxième mandat de Félix Tshisekedi.
Christophe Rigaud – Afrikarabia
Une opposition divisée et peu à même de représenter une alternative et surtout un obstacle à Tshisekedi qui se représente, c’est le moins qu’on puisse dire. Entre Katumbi, Sesanga, Matata, Muzitu, des leaders qui ont décidé d’aller aux élections malgré leur réprobation des règles et fonctionnement du processus en cour ; ‘JK’ et Fayulu qui le boycottent, il y’aura au moins un après-élections qui sera l’occasion de l’évaluation de leurs stratégies : qui aura eu raison d’avoir choisi telle ou telle autre voie ?
Et pendant ce temps la contestation populaire prônée par un Fayulu aura-t-elle quelque fruit exploitable ? A noter qu’on entend encore des bruits sourds d’un dialogue.
Notons qu’au fil de brimades subies, Katumbi se retrouve comme le principal opposant à Tshisekedi tandis que jusque-là, pas de confirmation pour la candidature de Mukwege malgré de nombreux soutiens derrière lui.
A terrme, qui seront les candidats à la presidentielle et que seront leurs resultats respectifs ?
Passons pour constater que la coaptation des candidats à la députation a donné lieu à une sorte de maffia bigarrée où le pouvoir (via la Ceni bien sûr) a imposé ses principes, ses gros moyens et ses hommes ; où finalement beaucoup d’autres se sont précipités pour figurer pendant que ceux qui en manque de moyens financiers et logistiques ont abandonné. Au final seuls cinq partis et une trentaine de regroupements ont été retenus ; ce qui fait quand même près de 25000 candidats. Un engouement toujours renouvelé motivé par des appetits financiers à ces postes ; au Congo beaucoup trop ne rêvent que de politique; les conditions prohibitives ne sont peut-être pas de trop. N’empêche que si malheur aux démunis, gloire aux partis au pouvoir qui ont les moyens d’affronter ces limites.