La crise politique et la forte répression sur les opposants au président Joseph Kabila inquiètent les principaux bailleurs internationaux de la RDC qui envisagent de sanctionner certains hauts responsables… mais sous condition.
Des sanctions internationales peuvent-elles faire plier les autorités congolaises enfermées dans une impasse électorale profonde et le harcèlement des opposants politiques ? Alors que la République démocratique du Congo (RDC) s’enfonce dans l’instabilité et le risque d’embrasement, la communauté internationale se mobilise pour accentuer sa pression sur Kinshasa. Les bailleurs du Congo s’inquiètent du probable report de l’élection présidentielle de novembre 2016 qui permettrait au président Joseph Kabila de se maintenir au pouvoir au-delà de son deuxième et dernier mandat. La Cour constitutionnelle a déjà validé ce scénario en autorisant le chef de l’Etat à rester à son poste jusqu’à la tenue du scrutin. La communauté internationale commence donc à agiter le chiffon rouge des sanctions ciblées.
« Redémarrer le processus électoral au plus vite »
Dans l’impasse politique, les autorités congolaises ont intensifié la répression sur les opposants : arrestations arbitraires, harcèlements, intimidations… Un « rétrécissement de l’espace démocratique » qui préoccupe vivement Washington, Londres, Paris, l’Union européenne (UE) et les Nations unies. Et une fois n’est pas coutume, tout le monde semble sur la même longueur d’onde. L’UE « appelle les autorités congolaises à redémarrer au plus vite le processus électoral en franchissant des étapes concrètes » et dénonce la répression qui « entrave les débat politique en RDC ». Londres et Washington mettent également l’accent sur la répression et notamment sur celle qui s’abat sur Moïse Katumbi.
« Ils devront en assumer les conséquences »
Mais pour la première fois, la communauté internationale évoque des sanctions ciblées à l’encontre de hauts responsables congolais. L’envoyé spéciale britannique pour la région des Grands Lacs précise que « les personnes responsables des actes de répression ou de violence porteront la responsabilité de leurs actions ou décisions ». Même son de cloche pour l’Union européenne, qui rappelle « la responsabilité individuelle de tous les acteurs, y compris celle des responsables des institutions chargées de la justice et de la sécurité, d’agir dans le strict respect de l’Etat de droit et des droits de l’Homme. Faute de quoi ils auraient à en assumer les conséquences ».
Des hauts responsables de la sécurité… et des ministres
A Washington, on précise que ce type de sanctions pourraient aller jusqu’au gel des avoirs et des interdictions de voyager pour certains responsables congolais. « C’est un risque qui pourrait faire réfléchir plusieurs dirigeants congolais, nous confie un observateur politique de Kinshasa, ces hauts responsables voyagent beaucoup en Europe, aux Etats unis. En les privant de voyages et d’argent, on touche aux deux grands plaisirs des dirigeants congolais ». Dans la ligne de mire des bailleurs internationaux : Célestin Kanyama, la patron de la police, Kalev Mutond, le chef des services de renseignements, André Kimbuta, le gouverneur de la capitale, mais aussi des ministres comme Alexis Thambwe Muamba ou Evariste Boshab. Mais aucune liste officielle n’a été rendue publique.
Trois sénateurs américains montent au créneau
En fin de semaine dernière, trois sénateurs américains, Richard Durbin, Edward Markey et Christopher Murphy, ont de nouveau enfoncé le clou en adoptant une résolution appelant le gouvernement congolais à respecter son mandat constitutionnel « en vue d’une transition démocratique à la fin de l’année ». Les trois sénateurs demandent eux aussi le gel des avoirs et l’interdiction de visa « jusqu‘à ce que le président Kabila s’engage publiquement à effectuer transition pacifique à la tête de l’État ». Mais les Etats unis et l’Europe iront-ils jusque là ? Beaucoup en doute.
Sanctionner les personnes « qui minent les processus démocratiques »
Le 5 mai dernier, le chercheur Jason Stearns, du Groupe d’Etude sur le Congo (GEC), relate une réunion du groupe de contact international sur la RDC qui se tenait à Stockholm et qui réunissait les principaux bailleurs du Congo : Etats-Unis, Royaume-Uni, Belgique, Allemagne, France, Union européenne, Suède, Afrique du Sud, Pays-Bas et Nations unies. Les possibles sanctions contre les hauts responsables congolais étaient au menu des discussions. Selon le chercheur, généralement très bien informé sur le Congo, « il serait assez facile pour les Américains d’imposer directement de telles sanctions ». En juillet 2014, le président Obama avait donner à son administration la possibilité de sanctions les personnes qui « minaient les processus démocratiques ». Mais au Etats unis, comme en Europe, les avis sont partagés sur la question.
Pas de sanction pour le « glissement »
Ce qu’il ressort de la réunion de Stockholm, c’est que le communauté internationale ne semblerait décidé à agir contre les dirigeants congolais qu’en cas de de violente répression contre les opposants ou durant des manifestations populaires. Une répression qui, comme en janvier 2015, avait fait au moins 42 personnes morts pendant les manifestations contre la loi électorale. Mais sans répression, la communauté internationale paraît plus frileuse à vouloir sanctionner les responsables politiques pour avoir retarder le processus électoral. Le simple « glissement » du calendrier électoral serait donc moins sanctionnable que la répression policière. Surtout depuis que la Cour constitutionnelle a donné un semblant de « légitimité » au report des élections en autorisant le président Joseph Kabila à se maintenir au pouvoir au-delà de la fin de son mandat.
Les autorités veulent éviter les dérapages
Sans répression, pas de sanctions ? C’est ce que semble dire la communauté internationale actuellement sur la situation en RDC. Le pouvoir ne s’y est d’ailleurs pas trompé en réprimant « a minima » la dernière mobilisation de l’opposition du 26 mai dernier (il y a tout de même eu 2 morts, des blessés et des arrestations). Afin d’éviter tout débordement et dérapage, les autorités avaient même décidé d’interdire la plupart des rassemblements de l’opposition. Pas de manifestation, pas de répression… et donc pas de sanction. Une chose est sûre : le simple report de l’élection présidentielle, même si elle est intentionnelle de la part du camp présidentiel pour maintenir Joseph Kabila, ne suffira pas (pour le moment) à déclencher des sanctions ciblées.
Christophe RIGAUD – Afrikarabia