A moins de deux semaines d’une présidentielle que le pouvoir espère bien remporter, le président Joseph Kabila compte sur son “dauphin” pour rester aux commandes.
Une bien étrange campagne électorale pour un bien étrange candidat. Emmanuel Ramazani Shadary, candidat de la majorité présidentielle désigné pour succéder à Joseph Kabila, a entamé un grand tour du Congo à quelques semaines des élections générales du 23 décembre. Après avoir rempli le stade Tata Raphaël de Kinshasa, l’accueil du candidat a été plus timide dans les Kasaï, fief de l’UDPS et dans l’ex-Katanga, encore sous l’influence de l’opposant Moïse Katumbi. Poids plume de la Kabilie et peu connu des Congolais, Emmanuel Ramazani Shadary a créé la surprise jusque dans les rangs dans la majorité.
Recréer un nouvel espace politique
Les poids lourds du camp présidentiel, comme Aubin Minaku (président de l’Assemblée nationale), Augustin Matata Ponyo (ancien Premier ministre) ou Henri Mova (Ministre de l’Intérieur) pensaient tenir la corde, mais Joseph Kabila, en fin stratège, en a décidé tout autrement. En renonçant à passer en force pour briguer un nouveau mandat, interdit par la Constitution, Joseph Kabila se devait de recomposer un nouvel espace politique et institutionnel à sa main. Avant de désigner Emmanuel Ramazani Shadary comme “dauphin”, le président congolais a d’abord verrouillé son propre statut, ainsi que l’ensemble de l’appareil d’Etat pour continuer à le piloter à distance, même après avoir quitté le pouvoir.
Une loi donnant aux anciens chefs d’Etats l’immunité face à des poursuites, un service de sécurité et un poste de sénateur à vie, a été votée par les deux chambres cet été. Deux nouveaux juges proches du pouvoir ont été nommés à la Cour constitutionnelle, dont Norbert Nkulu, et l’armée congolaise a été récemment remaniée, récompensant les sécurocrates les plus fidèles du pouvoir comme John Numbi. Restait à trouver le “dauphin” idéal pour pérenniser son pouvoir.
Un “dauphin” malléable
La première priorité de Joseph Kabila a d’abord été d’affaiblir les caciques du PPRD, susceptibles de s’accaparer les rênes de l’Etat une fois Kabila dehors. L’arrivée de nouveaux présidents africains, très critiques envers leur prédécesseurs, à la tête de l’Angola, du Zimbabwe ou de l’Afrique du Sud, a quelque peu refroidi Joseph Kabila. En choisissant un “dauphin” plutôt faible, débiteur de l’actuel président et donc malléable à souhait, Joseph Kabila pense s’assurer un successeur “loyal” à la tête de la RDC. Sans base électorale forte et sans moyen financier, Emmanuel Ramazani Shadary était donc le candidat idéal. Et pour s’assurer du contrôle “à distance” du candidat Shadary, Joseph Kabila l’a flanqué de son propre directeur de cabinet, Néhémie Mwilanya, pour coordonner la campagne électorale sur le terrain.
Une fois élu, ce qui ne fait guère de doute, Emmanuel Ramazani Shadary sera chargé d’une double mission. Il devra tout d’abord sécuriser financièrement le “système Kabila”, dont la famille et les proches sont aux commandes de plus de 80 sociétés. Un empire à plusieurs millions de dollars qui explique, en partie, la volonté de Joseph Kabila de s’accrocher au pouvoir. Certains pensent également que l’actuel président congolais pourrait être tenté de revenir au pouvoir assez rapidement. Après l’élection d’Emmanuel Ramazani Shadary, le mode de scrutin pourrait être modifié afin de désigner le futur président par un vote des grands électeurs. Joseph Kabila, sénateur à vie, pourrait donc être de nouveau candidat à la présidence sans passer par le suffrage universel.
Vers une future cohabitation ?
En attendant de savoir par quel tour de passe-passe Joseph Kabila reviendra au pouvoir après la parenthèse Shadary, reste à savoir comment va gouverner le nouveau président dont l’élection sera très probablement contestée. Après un scrutin qui sera vraisemblablement entaché de nombreuses irrégularités à cause de l’utilisation de la machine à voter et d’un fichier électoral corrompus, le “dauphin” de Joseph Kabila pourrait s’inspirer de son mentor pour s’extirper d’une énième crise politique. La recette est éculée : il suffira au nouveau président congolais de débaucher un opposant pour le bombarder Premier ministre et faire ainsi baisser la tension. Et les noms ne manquent pas. Le futur locataire de la Primature sera sans doute le candidat qui arrivera second à la présidentielle, derrière Emmanuel Ramazani Shadary… Félix Tshisekedi ou Martin Fayulu ?
Christophe RIGAUD – Afrikarabia