En faisant entrer Jean-Pierre Bemba et Vital Kamerhe au gouvernement, Félix Tshisekedi s’assure le soutien de deux personnalités puissantes dans leurs provinces à l’approche des élections, mais envoie un mauvais signal concernant la lutte contre l’impunité et la corruption.
Le départ de ministres proches de Moïse Katumbi du gouvernement nécessitait un réaménagement de l’exécutif congolais et la nomination de nouveaux ministres. Depuis 3 mois, le projet était dans l’air. Mais plutôt qu’un simple remaniement technique ou un jeu de chaise musicale, Félix Tshisekedi a préféré frapper un grand coup, avec un remaniement plus large, très stratégique et très politique à l’approche de la présidentielle. Trois surprises composent le nouveau gouvernement Sama Lukonde, qui reste à son poste : la nomination de Jean-Pierre Bemba au ministère de la Défense, celle de Vital Kamerhe à l’Economie et enfin celle d’Antipas Mbusa Nyamwisi à l’Intégration régionale. Trois figures emblématiques de la politique congolaise, longtemps restés en réserve, font donc leur entrée au gouvernement.
Un homme à poigne pour les FARDC
Jean-Pierre Bemba sera en charge de la Défense, alors que l’armée congolaise peine à restaurer la sécurité à l’Est et que le M23 contrôle toujours de vastes territoires au Nord-Kivu. L’ancien seigneur de guerre du MLC, qui avant de se muer en parti politique était un groupe armé, prend donc les commandes d’une armée fantôme, qui n’est plus que l’image d’elle-même. Mal commandée, mal équipée et rongée par la corruption, l’armée doit profondément se réformer. Félix Tshisekedi, qui a échoué à ramener la paix à l’Est après la mise en place de l’état de siège, cherche donc un homme fort pour remettre de l’ordre dans les FARDC.
Un geste vers l’Ouganda
Du temps où Jean-Pierre Bemba était à la tête de sa milice, il avait pour parrain l’Ouganda voisin. Ce qui tombe plutôt bien pour Félix Tshisekedi, qui compte sur Kampala pour lutter contre les ADF, un groupe armé affilié à l’Etat islamique, qui sévit en Ituri. En faisant entrer Bemba au gouvernement, le chef de l’Etat espère donc relancer la collaboration sécuritaire avec l’Ouganda. La nomination de Mbusa Nyamwisi, nommé à l’Intégration régionale, acte également cette volonté de repositionnement de Kinshasa envers son puissant voisin. Félix Tshisekedi avait déjà appelé Kampala à la rescousse pour combattre les ADF, mais sans résultat. Pire, le dernier rapport de l’ONU soupçonnait l’Ouganda d’avoir laissé entrer les rebelles du M23 prendre le contrôle de la ville frontière de Bunagana. Les ex-chefs de guerre, Bemba et Mbusa Nyamwisi (un des fondateurs de la rébellion du RCD) auront donc la délicate mission d’améliorer la coopération ougando-congolaise.
Bemba : la mauvaise réputation
Rappeler deux ex-seigneurs de guerre pour régler l’insécurité endémique qui règne à l’Est du Congo est une veille recette qui n’a jamais restauré la paix dans cette région. D’autant que c’est un étrange signal qu’envoie Kinshasa aux défenseurs des droits humains concernant les nombreux crimes commis dans cette zone en toute impunité depuis bientôt 30 ans. L’ancien chef de guerre, Jean-Pierre Bemba, n’a jamais vraiment eu bonne réputation. Ses propres troupes ont souvent été laissées en déshérence et se sont livrées à de nombreuses exactions au début des années 2000. Jean-Pierre Bemba avait d’ailleurs été condamné à 18 ans de prison par la Cour pénale internationale (CPI) pour des crimes commis par ses miliciens en République centrafricaine, avant d’être acquitté en appel en 2018. On se souvient aussi de la tristement célèbre opération « effacer le tableau », menée par les troupes du MLC et du RCD-N en 2002 en Ituri. Une opération marquée par de nombreuses atrocités contre les civils.
Des nouveaux ministres puissants dans leur province
Le nouveau ministre de l’Intégration régionale, Mbusa Nyamwisi n’a guère meilleure réputation. L’Armée populaire congolaise (APC), la branche militaire du RCD est accusée, en 2000, d’avoir tué 1.500 personnes, principalement de l’ethnie Hema, dans la région de Bunia (Ituri). Sa milice prélèvait également des taxes aux commerçants voulant traverser sa zone de contrôle, selon un rapport de l’ONU de 2002. Les bons rapports entretenus par Mbusa Nyamwisi avec le président ougandais, Yoweri Museveni, et sa forte implantation politique dans la zone de Beni et Bunia, font pourtant de cet ancien rebelle un nouvel allié de poids pour le président Tshisekedi à la veille des élections. Jean-Pierre Bemba, toujours très puissant en Equateur, assure lui aussi le soutien de sa province au président sortant. Et il en va naturellement de même pour Vital Kamerhe, le nouveau ministre de l’Economie, très bien implanté dans le Sud-Kivu.
Kamerhe, l’allié incertain
La nomination du patron de l’UNC à un poste gouvernemental n’est pas une surprise, même si celui-ci lorgnait sur la Primature plutôt qu’un simple poste de vice-Premier ministre. Mais après sa mésaventure judiciaire dans l’affaire de détournement de fonds du « programme des 100 jours« , puis sa condamnation à 20 ans de prison et son blanchiment de dernière minute, on se demandait si Vital Kamerhe était toujours un allié fiable du président Tshisekedi ? Plusieurs contentieux planent en effet entre les deux hommes. L’accord de coalition électorale avec Félix Tshisekedi, signé en 2018, prévoyait que Vital Kamerhe occuperait la Primature en cas de victoire du patron de l’UDPS. Mais le nouveau président ne le nommera qu’au poste de directeur de cabinet. Et puis il y a bien sûr le passage par la case prison, qui reste en travers de la gorge à Vital Kamerhe.
Du neuf avec du vieux
L’arrivée du patron de l’UNC à un poste gouvernemental-clé remet en selle l’ancien président de l’Assemblée nationale. Comme pour Jean-Pierre Bemba, la nomination de Vital Kamerhe dans le nouvel exécutif permet à Félix Tshisekedi de renforcer sa majorité présidentielle, forte de l’UDPS, mais aussi maintenant du MLC et de l’UNC. Le candidat-président s’assure ainsi le soutien de deux poids lourd de la politique tout en les neutralisant pour le scrutin à venir. Le chef de l’Etat en profite également pour contrer un possible front « anti-Tshisekedi » qui est en train de se nouer dans l’opposition autour de Martin Fayulu, Augustin Matata Ponyo et Denis Mukwege. Avec ce remaniement, Félix Tshisekedi a l’air de faire du neuf avec du vieux. Le nouvel exécutif congolais ressemble à un énième partage du pouvoir, qui pourrait être payant pour Tshisekedi en cas de report des élections pour négocier une transition politique. Si le chef de l’Etat apparaît plus fort politiquement, marginalisant un peu plus ses concurrents en affichant une large coalition, ce tour de passe-passe peine à cacher les entailles aux deux principes défendus par le président Tshisekedi depuis des mois : la lutte contre la corruption et la promotion de la justice transitionnelle pour combattre l’impunité. Deux bonnes intentions qui restent des voeux pieux avec les nominations de Jean-Pierre Bemba, Mbusa Nyamwisi et Vital Kamerhe.
Christophe Rigaud – Afrikarabia
En réalité ce remaniement a comme premier objectif non la lutte contre l’insécurité dans l’Est comme peut le faire croire l’entrée de Bemba à la Défense qui risque de ne pas mieux faire ni la vieille lutte contre la corruption avec Kamerhe symbole oh combien de l’échec contre l’impunité. Il a comme première mission de préparer les élections en affûtant trois poids lourds dans leurs bastions, les privant au passage de leurs ambitions politiques ; Bemba et Kamerhe briguaient même le poste de PM les voilà réduits à la fonction de vice-PM.
Bref, Tshisekedi a plutôt joué un grand coup vers sa réélection en « s’offrant » Bemba, Kamerhe et Mbusa, surtout qu’en même temps Mboso a remis au jour la fameuse loi Tshiani qui vise à émasculer les ambitions présidentielles de Katumbi ; où l’on voit que les réels problèmes du pays attendront. Tshisekedi réussira-t-il dans cette mission et le peuple Congolais le suivra-t-il ? Il semble s’en être donné beaucoup de chances ; attendons la suite…
Interessante analyse de la part de Mr Nsumbu.
Je suis d’accord avec votre analyse. Tout en ajoutant que le fait Bemba a été déféré devant le tribunal international; même s’il a été acquitté, n’inaugure rien de bon sur la plan réputation internationale. Son nom se trouve d’ailleurs dans la fameux rapport mapping! A dieu la justice longtemps réclamée.
En outre, faire entrer dans un gouvernement les anciens chefs rebelles – Bemba et Nyamwisi – alors que le parlement avait voté que plus jamais ceux qui ont participé dans des armés armés ne feront plus objet de réintégration, n’est pas un bon signal non plus.
Calcul politique oui, Leadership non.
Une armée mal équipée, mal commandé, là nous ne sommes d’accord avec, les efforts que le président a fournis ce dernier mois pour doter notre armée des armes des nouvelles technologies et autres. Non l’armée est bien formé, juste que nous étions infiltré monsieur
@Serge
Soyons scrupuleux dans nos analyses ! Vous dites : »Quand Emmanuel Macron remanie, c’est OK…Quand c’est Tshisekedi, ça fait problème. » Je ne crois pas avoir lu des reproches substantiels à cet évènement et surtout pas de la France. J’ai vu des analyses plutôt objectives de l’événement et ici l’article ne pointe que le mauvais signal donné sur la lutte contre la corruption en embauchant des gens qui ne sont pas au dessus de tout soupçon ; ce qui pour moi est bien compréhensible. A la veille des elections, Tshisekedi a frappé un grand coup en faisant appel à trois poids lourds qui pèsent dans leurs fiefs. La seule retombée à en attendre est qu’il réussisse à travers cette opération de mettre fin â l’insécurité dans l’Est et à améliorer sa gouvernance dans les différents secteurs de la vie nationale qui pour le moment patinent presque tous. Attendons simplement les resultats qu’on soit affidé de l’Udps ou pas…
Ils vont faire le coup de François Hollande à macron qui e partis les trois personnes ????
Il est tout de même étonnant qu’on dise que Tshisekedi a échoué sur le terrain sécuritaire en trois ans alors que ses prédécesseurs n’ont rien fait plus que lui en plusieurs décennies , encore que l’insécurité en RDC est entretenue par les occidentaux et leurs multinationales pour piller les richesses de la RDC.Aussi, les journalistes se font plus juristes que les juristes eux-mêmes.Quand quelqu’un a été acquitté en appel, c’est que les juges ont compris ce que les journalistes n’ont jamais compris. Les droits de l’homme dont on parle en Afrique ne sont pas mieux respectés en Europe car les européens ont pratiqué la traite des esclaves sans se soucier de l’humanité des africains.Un bourreau peut-il plaider la cause de sa victime ? Le remaniement est une affaire interne à la RDC.Quand Emmanuel Macron remanie, c’est OK…Quand c’est Tshisekedi, ça fait problème. Quelque part, la réforme des retraites en France c’est parfait n’est-ce pas ? Les gilets jaunes? Jérôme Cahusac ? Foutez nous la paix !