Journalistes, opposants, manifestants… l’ONG Human Rigths Watch (RDC) s’inquiète de la restriction des droits en République démocratique du Congo (RDC), notamment depuis l’établissement de l’état d’urgence sanitaire, prétexte pour « limiter les manifestations politiques ».
Il ne fait pas bon être critique envers le nouveau pouvoir à Kinshasa en 2020. Si une certaine décrispation politique s’était opérée avec l’arrivée à la présidence de Félix Tshisekedi en 2019, les mauvaises habitudes semblent reprendre leurs droits. Selon l’ONG Human Rights Watch (HRW), « des dizaines de personnes ayant critiqué les politiques du gouvernement, y compris sur les réseaux sociaux, ont fait l’objet d’intimidations et de menaces, de passages à tabac, d’arrestations et, dans certains cas, de poursuites judiciaires ». Ce qui fait dire à Thomas Fessy, chercheur principal pour la RDC chez Human Rights Watch, que « les avancées en matière de droits humains observées pendant la première année de mandat du président Tshisekedi semblent rapidement se dissiper ».
Un musèlement des libertés « contraire à l’état de droit »
Human Rights Watch a documenté au moins 39 cas de menaces et de harcèlement liés à la liberté d’expression et à la liberté de la presse dans la moitié des 26 provinces du pays. Dans 17 de ces cas, des personnes ont été arrêtées ; deux d’entre elles sont toujours derrière les barreaux. Au moins 11 personnes ont été arrêtées pour des chefs d’accusation d’« outrage à l’autorité », ceci incluant des gouverneurs de province, des députés et, dans un cas, le président. Sur les 19 journalistes ayant fait l’objet de harcèlement, 8 ont été arrêtés.
Même son de cloche pour le Bureau conjoint des Nations Unies aux droits de l’homme en RDC, qui a soulevé des inquiétudes quant à « la tendance à la hausse des intimidations, arrestations et détentions arbitraires des Défenseurs des droits de l’homme, journalistes et membres de partis politiques » dans certaines provinces. En cause notamment, l’état d’urgence sanitaire décrété en RDC à la suite de la pandémie de Covid-19. « L’urgence sanitaire ne peut servir de prétexte au musèlement des libertés démocratiques, contraire à l’état de droit ».
Détenu depuis mars pour « outrage au gouverneur »
Dans son rapport, Human Rights Watch rapporte plusieurs cas de menaces, de harcèlement et d’arrestations arbitraires depuis le début de l’année 2020. Heri Kalemaza, avocat de 33 ans et porte-parole du Parti congolais pour le Progrès (PCP) dans la province du Sud-Kivu, est détenu depuis le 4 mars pour outrage au gouverneur de la province. « J’ai commencé par recevoir des messages d’intimidation sur WhatsApp venant des cellules de communication et d’investigation du gouvernorat, me disant de ne plus aller dans les émissions et d’arrêter de critiquer la gouvernance de la province », a raconté Heri Kalemaza à Human Rights Watch. Il a été arrêté plus tard alors qu’il entrait dans un studio de radio. « Selon le procureur général, la condition pour moi de mettre fin à cette affaire était d’écrire une lettre au gouverneur pour lui demander pardon, mais j’ai refusé parce que le faire serait une façon de m’incriminer. » Heri Kalemaza est jugé à la prison centrale de Bukavu.
À Kinshasa, Henri Magie, le vice-président de la ligue des jeunes du Parti du Peuple pour la Reconstruction et la Démocratie (PPRD) de l’ancien président Joseph Kabila, a été arrêté le 16 mai pour « outrage » au président Tshisekedi. « Un beau jour, je suis arrêté par deux jeeps de la police avec des éléments lourdement armés pour une personne qui a simplement dit quelque chose à la télévision, et ils m’ont arrêté comme un braqueur de banque », a-t-il expliqué. « J’ai été jugé sans être entendu par le parquet. » Le 9 juillet, un tribunal l’a condamné à 18 mois de prison pour avoir, entre autres, suggéré lors d’une interview dans les médias que Tshisekedi n’avait pas gagné les élections de 2018.
« On ne s’amuse pas avec le gouverneur »
Dans la province de Mongala, depuis mai, les autorités ont ordonné la fermeture temporaire d’au moins quatre stations de radio, ont révoqué les accréditations de six journalistes et suspendu plusieurs programmes de nature politique.
Le 9 mai, Christine Tshibuyi, journaliste basée à Kinshasa et travaillant pour le média en ligne Actualité.cd, a reçu des appels téléphoniques de menaces après qu’elle a publié un article sur des attaques visant des journalistes dans la ville de Mbuji-Mayi. « On ne s’amuse pas avec le gouverneur [du Kasaï-Oriental], on connait la résidence de tes parents », lui a-t-on dit au téléphone. Elle a raconté que le même jour, un véhicule 4×4 du type couramment utilisé par la Garde républicaine a foncé dans l’avant de sa voiture, la forçant à percuter un mur. « Un monsieur qui se faisait appeler Excellence est arrivé avec quatre Gardes républicains […] il me giflait et je saignais », a-t-elle expliqué à Human Rights Watch. Elle a ajouté qu’elle a rapporté les faits de l’incident, mais les autorités n’ont pas mené d’enquête.
Des manifestations réprimées
Depuis mars, lorsque le gouvernement a interdit les rassemblements publics de plus de 20 personnes en vertu de l’état d’urgence décrété pour endiguer la propagation du Covid-19, les forces de sécurité ont fait usage d’une force excessive et létale pour briser les manifestations et disperser les foules. Le 9 juillet, alors que des manifestations importantes avaient lieu dans plusieurs villes contre la validation hâtive par l’Assemblée nationale d’un nouveau président à la tête de la commission électorale, la police a tué au moins un manifestant à Kinshasa et deux manifestants dans la ville de Lubumbashi, dans le sud-est du pays. Des dizaines d’autres ont été blessés.
À Kinshasa, des manifestants ont frappé et lapidé à mort un agent de police tandis qu’un autre agent a été grièvement blessé. Des groupes de manifestants ont aussi détruit des biens publics et privés. Les manifestations dans d’autres villes ont été largement pacifiques. Les autorités devraient enquêter sans tarder sur l’utilisation de la force létale lors des manifestations de Kinshasa et Lubumbashi, a déclaré Human Rights Watch.
« Des atteintes à la démocratie »
Le ministre des Droits humains de la RDC, André Lite, a expliqué à Human Rights Watch par téléphone en réponse à ses conclusions qu’il « condamnait ces abus ». « Comme le président l’a demandé instamment, il revient aux cours et tribunaux de se montrer intransigeants dans le respect des droits fondamentaux », a-t-il précisé. Concernant les tribunaux qui ont condamné des personnes ayant exercé leurs droits essentiels, André Lite a indiqué : « Nous proposerons la grâce présidentielle pour les victimes de jugement inique afin de vider leur casier judiciaire et nous transmettrons ces abus au Conseil supérieur de la magistrature afin de sanctionner les magistrats le cas échéant. »
Pour Thomas Fessy de Human Rights Watch, « le président Félix Tshisekedi devrait reconnaître que les attaques contre les journalistes et les détracteurs pacifiques sont une atteinte à la démocratie (…) À moins que Tshisekedi ne cesse de recourir aux outils de répression de son prédécesseur, ses engagements de respect des droits humains ne seront rien d’autre que de vaines promesses. »
Christophe RIGAUD – Afrikarabia
Les vieilles habitudes ont la peau dure, malgré, les efforts du Président Fatsh, d’instaurer un Etat de droit. Je peux affirmer avec force que le Président Fatshi n ‘est pas un dictateur et ne le sera jamais. Il faut comprendre que ce dernier a hérité le système répressif-sanguinaire du PPRD-FCC, le pouvoir des intouchables, la loi du plus fort, la jungle.. Vous avez aussi remarqué que les abus viennent principalement des autorités et des Gouverneurs de province, membres du PPRD- FCC. Lors de la marche du PPRD-FCC de la semaine passée, on a remarqué la présence des tortionnaires et criminels connus du grand public comme le redoutable Kalev Mutond, Shadary, Makila, Tshibala, Ruberwa, Tambwe Mwamba, Ngoy Kasanji……Toutefois, je soutiens la vigilance des organismes de droits de l’homme qui font un travail remarquable
Selon HRW, « les avancées en matière de droits humains observées pendant la première année de mandat du président Tshisekedi semblent rapidement se dissiper… Des dizaines de personnes ayant critiqué les politiques du gouvernement, y compris sur les réseaux sociaux, ont fait l’objet d’intimidations et de menaces, de passages à tabac, d’arrestations et, dans certains cas, de poursuites judiciaires… ». « Tshisekedi devrait faire marche arrière et mettre un terme à cette répression croissante de la liberté d’expression et de réunion pacifique… »
C’est le travail d’une Ong des droits de l’homme comme HRW de comptabiliser les victimes des droits de l’homme. Quels que soient ses possibles partis-pris idéologiques et même si nous n’avons pas la même perception de la situation du pays, faisons-lui donc confiance.
La question serait de savoir si Tshisekedi veut bien et peut faire face aux différentes causes de cette dérive. N’est-il pas dans une phase qui l’oblige à être dur à la limite du légal pour se créer son pouvoir ?