Présidé par Hubert Védrine, l’Institut François-Mitterrand prend la défense – avec des pincettes – du chef mercenaire, mis en cause dans le génocide des Tutsi du Rwanda en 1994.
François Mitterrand qualifiait Paul Baril de « voyou ». Dès 1982, après l’affaire des « Irlandais de Vincennes » puis celle des « Ecoutes de l’Elysée », il avait exigé le retrait du badge d’accès au palais présidentiel de celui qui était alors commandant par intérim du GIGN. Surnommé par ses propres hommes « l’enfumeur », « le clown » ou encore « le cow-boy », le capitaine de gendarmerie n’a jamais caché que Mitterrand l’avait pris en aversion. Il le répète dans son autobiographie « Guerres secrètes à l’Elysée » (Ed. Albin Michel), parue en septembre 1996. De l’aveu même de Paul Baril, le chef de l’Etat déplorait que François de Groussouvre continue à le recevoir dans son logement de fonction Quai Branly. Un appartement situé sous celui abritant Mazarine, la fille naturelle de François Mitterrand, et sa mère Anne Pingeot.
Deux passeports, mille questions
Ces derniers mois, plusieurs journalistes ont pointé la présence de Paul Barril au Rwanda pendant le génocide et son « contrat d’assistance » avec le gouvernement génocidaire, pour la fourniture d’énormes quantités de munitions et de dizaines de mercenaires, malgré l’embargo décrété par l’ONU. Une présence probable au moment de l’attentat du 6 avril 1994 contre l’avion du président Habyarimana, qui a donné le signal du génocide. Interrogé par les juges d’instruction Fabienne Poux et Marc Trévidic, Paul Barril a fourni des extraits d’un passeport justifiant qu’il se trouvait aux Etats-Unis autour du 6 avril. Mais dans son livre « Guerre secrètes », il affirmait avoir été présent au Rwanda à cette période. Des avocats ont démontré qu’il possédait alors au moins deux passeports, ce qui lui permettait de jongler avec les dates, les visas et les tampons d’aéroports. Des perquisitions effectuées dans les différents domiciles en France du chef mercenaire ont mis à jour les liens étroits de Paul Baril avec le gouvernement génocidaire, ainsi qu’un exemplaire du « contrat d’assistance » dont l’intéressé affirme qu’il s’est arrêté aux intentions.
Une information judiciaire pour « complicité de génocide »
Le 26 mai 2013, une infirmation judiciaire a été ouverte contre Paul Baril pour « complicité de génocide ». Elle a été confiée au juge d’instruction Claude Choquet. Début 2014, ce dernier a reçu toutes les pièces de la procédure concernant Paul Barril accumulées par ses collègues du pôle antiterroriste, Fabienne Poux et Marc Trévidic, qui enquêtent « seulement » sur les auteurs de l’attentat du 6 avril 1994. Auditionné quatre fois, Paul Barril avait multiplié les déclarations contradictoires, comme s’il cherchait à justifier son sobriquet « l’enfumeur ». A notre connaissance, il n’a pas encore été entendu par le juge Choquet.
Hubert Védrine est-il lui aussi, à sa façon, un « enfumeur » ? Ces dernières années, celui qui occupait le poste de Secrétaire général de l’Elysée à la fin du second septennat de François Mitterrand est apparu comme le principal chantre de la thèse du « double génocide » au Rwanda en 1994. Une façon d’insinuer un massacre réciproque entre Hutu et Tutsi qui ne pourrait donc en rien s’apparenter à un génocide. En termes plus châtiés, il dit à peu près la même chose que Paul Barril.
Paris informé dès 1990 du risque de génocide des Tutsi
Devenu président de l’Institut François Mitterrand (IFM), Hubert Védrine a fait poster sur son site le 6 avril dernier une note de 35 pages intitulée « Le rôle de la France au Rwanda en 1990-1994 : des accusations infondées ». (accessible sur http://www.mitterrand.org/IMG/pdf/document_rwanda_experts.pdf)
La date ne devait rien au hasard : c’était jour pour jour les vingt ans de l’attentat du 6 avril 1994, où certains voient la main de Paul Barril. La trame de ce document est un résumé édulcorant les analyses de la Mission d’information parlementaire sur le Rwanda, conduite en 1998 sous la présidence de Paul Quilès, ancien ministre de la Défense. Et un déni absolu de ses conclusions. Les parlementaires français évoquaient « une coopération militaire trop engagée », dénonçaient « les vérifications d’identité [par des militaires français] aux points d’accès de la ville [de Kigali] », observaient que dès 1990 Paris était informé du risque de génocide, sans jamais en tirer de conséquences politiques, diplomatiques et opérationnelles. Certaines des missions des militaires français au Rwanda entre 1990 et 1993 « ont dépassé le cadre habituel des opérations d’aide et d’assistance à des forces armées étrangères », énoncèrent les députés. Etc. Si la « Mission Quilès » s’efforçait de minimiser l’implication de l’Elysée, elle ne parvenait pas à la nier. L’Institut François-Mitterrand et son président veulent cette fois exempter Paris toute responsabilité dans le génocide des Tutsi. D’où un texte sophistiqué, de mauvaise foi, devant servir de nouvelle base à l’argumentaire négationniste. On y retrouve tous les « éléments de langage » des désinformateurs, dans la lignée de Jacques Pilhan, le « sorcier de l’Elysée » ami d’Hubert Védrine[1], qui conseillait la communication de François Mitterrand et de Jacques Chirac, avec le succès que l’on sait.
Défendre la mémoire de Mitterand ou celle de Barril ?
Dans ce fatras d’arguments biaisés et de citations du « Rapport Quilès » sorties de leur contexte, a été glissé un élément nouveau, page 31 : une défense alambiquée du chef mercenaire Paul Barril :
« Quand au rôle exact joué au Rwanda par l’ex-capitaine de gendarmerie Paul Barril et sa société SECRETS, souvent évoqué par des articles fantaisistes, celui-ci reste à préciser. Il est de toute façon faux de présenter ce dernier comme « le gendarme de l’Elysée ». Paul Barril n’a jamais fait partie de la cellule de l’Elysée mais du GIGN. […] Paul Barril s’est ensuite reconverti dans une activité privée de conseil en sécurité. Quoi qu’il ait pu prétendre pour obtenir des marchés en Afrique, son action a été dès lors indépendante de la politique menée par les autorités françaises ».
La fondation dite “Institut François Mitterrand”, reconnue établissement d’utilité publique le 4 avril 1996, a-t-elle pour mission de dénigrer les journalistes qui s’efforcent de documenter le rôle de Paul Barril pendant le génocide ? Si oui, Hubert Védrine possède-t-il des informations démontrant que Paul Barril et François Mitterrand avaient partie liée au Rwanda, comme le subodore le journaliste d’investigation Jean-François Dupaquier dans un livre choc, « Politiques, militaires et mercenaires français au Rwanda, chronique d’une désinformation » (Ed. Karthala) ?
« Soldats perdus en Afrique »
L’Institut François Mitterrand”, selon ses statuts, « a pour but de contribuer à la connaissance de l’histoire politique et sociale de la France contemporaine, en se référant notamment au rôle national et international joué par François Mitterrand aux diverses étapes de sa carrière politique et de son engagement militant en faveur des valeurs républicaines, libertés individuelles et collectives, droits sociaux et humanitaires, solidarité entre les peuples et les nations. »[2]
On le voit, rien dans les statuts de l’IFM qui le prédispose à une solidarité quelconque avec des personnages aussi sulfureux que Paul Barril.
Récemment, le président de l’IFM avait tenu des propos moins amènes à l’égard des mercenaires français au Rwanda. Dans un article de la revue Politis (n° 1060) intitulé « Védrine s’explique », l’ancien secrétaire général à l’Elysée n’écartait pas en 2009 l’éventualité de la participation de « mercenaires français » à l’attentat du 6 avril 1994. Il concluait l’interview en faisant valoir qu’« il y a beaucoup de soldats perdus en Afrique » et que « cela ne prouve rien sur la politique des États ». On le voit, la nuance est de taille avec la note de l’IFM intitulée « Le rôle de la France au Rwanda en 1990-1994 : des accusations infondées ».
« Sauvagerie africaine »
Pourquoi ce virage « sur les chapeaux de roue » de Hubert Védrine ? Selon l’un de ses amis, le journaliste et diplomate Daniel Rondeau[3], « Védrine [est] l’homme au discours le plus contrôlé de la classe politique ». Son ami Daniel Rondeau ajoute : « Un bloc de placidité » [p. 520].
De ses grands mentors en politique, son père Jean Védrine, son père spirituel François Mitterrand et son père en manipulation médiatique Jacques Pilhan, Hubert Védrine a beaucoup appris. Voilà des hommes persuadés que leur supériorité intellectuelle leur ouvre un destin hors du commun et met les autres à leur service. Hubert Védrine a retenu de François Mitterrand et de son père qu’il faut cultiver des réseaux, des clans, en manifestant une fidélité sans faille à ses amis. Les leçons du « Napoléon du marketing » (la formule est du Nouvel Observateur) ont enraciné Hubert Védrine dans le mépris des masses et des mass-médias, et forgé son expertise en matière de désinformation. Il a également appris à ménager sa parole publique, à faire désirer ses propos. Créer du désir est le maître mot de Jacques Pilhan. Concernant le rôle de Paris au Rwanda entre 1990 et 1994, une fois l’émotion populaire passée, Hubert Védrine et ses affidés ont très astucieusement généré dans l’opinion publique le désir de ne pas savoir, de ne pas vouloir comprendre. De renvoyer tout questionnement citoyen à la « sauvagerie africaine » (sic), autrement dit aux poubelles de l’Histoire.
« La tragédie du Rwanda, ses origines, ses coupables »
Or ces derniers mois, le « bloc de placidité » semble fissuré. Hubert Védrine a perdu le contrôle de ses nerfs dans un récent colloque international. Comme le raconte la journaliste Colette Braeckman, « à l’initiative de la fondation américaine « United States Holocaust Memorial Museum » sis à Washington et l’ « Institut for Global Justice » installé à La Haye, s’est tenue aux Pays Bas une réunion exceptionnelle, qui pourrait, sur un plan international, être comparée aux tribunaux gaçaça du Rwanda, où victimes et génocidaires ont pu confronter leurs témoignages sous le regard de toute la communauté ». Hubert Védrine n’a pu s’empêcher de lancer une virulent attaque contre le journaliste Patrick de Saint-Exupéry, à la stupéfaction des hauts diplomates présents. Saint-Exupéry accuse notamment l’état-major de « Turquoise » d’avoir sciemment abandonné pendant trois jours aux tueurs les réfugiés tutsi de Bisesero : « Je crois qu’il se trompe totalement et que son acharnement haineux envers l’armée française ou François Mitterrand n’est pas rationnel… ». A lire sur : http://blog.lesoir.be/colette-braeckman/2014/06/19/le-congo-deja-saisi-par-la-fievre-electorale/.
Un député « védriniste » s’est publiquement indigné que Patrick de Saint-Exupéry n’ait pas été condamné par la justice française. Patricia Adam, présidente de la Commission de Défense à l’Assemblée et autre « védriniste » acharnée, n’a pas bronché. C’est Poutine-sur-Seine à l’Assemblée nationale…
Quelle est la cause de l’exaspération de Hubert Védrine ? Et celle de Paul Barril qui le pousse à multiplier les déclarations tonitruantes ces derniers temps ? Le crime de génocide, ou de complicité de génocide, est imprescriptible et les rendez-vous judiciaires approchent à grands pas. On s’attend à la mise en examen prochaine du chef mercenaire. Ce dernier a répliqué au mois de janvier en annonçant la parution imminente d’un brûlot : « Le capitaine Barril brise le silence, la tragédie du Rwanda, ses origines, ses coupables ». Barril n’aime pas le mot génocide, il préfère « tragédie ».
Paul Barril déconsidéré, ou « considéré »
Paul Barril répète sans se lasser que Paul Kagame est l’instigateur de l’attentat qui a coûté la vie, le 6 avril 1994, au président rwandais Juvénal Habyarimana, et à son homologue du Burundi, Cyprien Ntaryamira, déclenchant une « sauvagerie africaine » sans précédent : « Un crime de masse passé aux oubliettes de l’histoire. Les Hutu du Rwanda, terrorisés, pensaient que le même sort les attendait s’ils ne réagissaient pas. Ils ont tué avant qu’on ne les tue », déclare-t-il au Point. En se posant en victime : « Le juge antiterroriste Marc Trévidic, en charge de l’enquête sur l’attentat, m’a dans le collimateur ». Pour Christophe Ayad, rédacteur en chef au Monde, Paul Barril « multiplie les rodomontades » après que ses thèses attribuant l’attentat à Paul Kagame se soient effondrées. Aucun journaliste ne prend plus au sérieux les déclarations à l’emporte pièce du mercenaire. Il n’est plus « considéré » (le contraire de déconsidéré, en vieux français) que par l’Institut François-Mitterrand.
Hubert Védrine épargné par Paul Baril
Le livre « explosif » promis par les Editions Jean Picollec, « Le capitaine Barril brise le silence, la tragédie du Rwanda, ses origines, ses coupables », affiché ces derniers mois semaines sur les grands sites de vente en ligne n’a toujours pas vu le jour. A-t-il seulement connu un début de rédaction ? Rien n’apparaît moins sûr. Paul Barril est familier des « intox » et des menaces vis-à-vis des puissants, qui lui ont assuré depuis plus de vingt ans une extraordinaire impunité. En août 1994, un mois après le génocide, il se prétendait la cible d’un « contrat » venu de l’Elysée, tout comme son ami et avocat Jacques Verges[4]. Deux ans plus tard, son livre « Guerres secrètes » apparaissait comme un « flingage » tous azimuts au sommet de l’Etat pour impressionner et faire taire ceux qui critiquaient ses débordements. Sa cible prioritaire était Gilles Ménage, adversaire déclaré du mercenaire et de son mentor François de Grossouvre, cité à une soixantaine de reprises en des termes peu amènes. Curieusement, il épargnait Hubert Védrine, qui n’était même pas cité.
L’ouvrage « explosif » annoncé « Le capitaine Barril brise le silence » étant retourné aux oubliettes, reste à savoir ce que cette discrétion recouvre. Connaissant les méthodes d’intimidation de Barril, il est loisible d’imaginer que cet ouvrage fantôme constituait une menace de « mouiller » des personnages connaissant, comme Barril, la vérité sur l’attentat du 6 avril 1994. Pour le journaliste Jean-François Dupaquier interrogé par Afrikarabia, « il existe un faisceau d’indices concordants conduisant à penser que des militaires, des mercenaires et des politiques français sont impliqués, à des degrés qui restent à préciser, dans l’attentat qui a coûté la vie au président Habyarimana et aux trois Français de l’équipage. En France, un véritable secret d’Etat recouvre ce crime ».
La note de l’Institut François –Mitterrand s’interroge sur une accusation jamais aussi explicitement formulée : « La France aurait souhaité la disparition du président Habyarimana » et répond : « C’est un immense malheur que finalement, les extrémistes aient eu raison de la logique d’Arusha ». C’est aussi un « immense malheur » que Hitler ait voulu la disparition des Juifs, le gouvernement turc celle des Arméniens de Turquie. Il y a des questions qui sont moins bêtes que les réponses…
François MOLYNEUX
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[1] « Hubert Védrine, le conseiller diplomatique de François Mitterrand, futur secrétaire général de l’Elysée, est devenu au fil des ans un ami proche [de Jacques Pilhan]. Les deux hommes sont des animaux à sang froid qui se comprennent et s’admirent », écrit le journaliste François Bazin dans « Le Sorcier de l’Elysée »
[2] Institut François Mitterrand, 33 rue du Faubourg-Saint-Antoine 75011 Paris, tél. +33 1 44 54 53 93
Email ifm@mitterrand.org
[3] Daniel Rondeau, Vingt ans et plus, Journal1991-2012, Ed. Flammarion, Paris, 2014, p. 400.
[4] Cf Jean-François Dupaquier, Politiques, militaire et mercenaires français au Rwanda, chronique d’une désinformation, Ed. Karthala, Paris, 2014, pp. 393-415.