La corruption endémique qui règne en République démocratique du Congo (RDC) a fait perdre 639.000 dollars à l’ONG Mercy Corps en 2018. Une enquête de The New Humanitarian révèle que la fraude à l’aide humanitaire toucherait de nombreuses ONG, pour un montant de plus de 6 millions de dollars.
L’émotion est grande en novembre 2018, lorsque l’ONG Mercy Corps découvre qu’un de ses employés a accepté une forte somme d’argent de quatre entrepreneurs congolais. Cet acte de corruption avéré oblige alors l’ONG à lancer une enquête interne et constate une fraude à l’aide humanitaire de plus grande ampleur, dans laquelle Mercy Corps aurait perdu 639.000 dollars. L’affaire est révélée au grand jour le 11 juin dernier sur le site The New Humanitarian, grâce à une enquête minutieuse de neuf mois menée par Philip Kleinfeld. Le journaliste découvre, selon un haut responsable de Mercy Corps, que d’autres agences humanitaires qui faisaient partie du même programme d’aide aux personnes déplacées, auraient perdu jusqu’à 6 millions de dollars en deux ans.
« Certains achetaient de nouvelles voitures, des iPhones »
Les scandales de pots-de-vin impliquant des humanitaires ne sont malheureusement pas nouveaux en zone de conflit. Mais l’enquête de The New Humanitarian porte un éclairage particulièrement cru sur la corruption qui gangrène les ONG au Congo. Selon Philip Kleinfeld, « certains utilisaient l’argent supplémentaire pour acheter de nouvelles voitures, des lunettes Armani et des iPhones, selon plusieurs de leurs collègues. L’un d’eux a même commencé à construire un hôtel ».
« Des failles du système de contrôle »
L’affaire Mercy Corps révèle la corruption récurrente dans l’Est de la République démocratique du Congo (RDC), où la forte présence d’humanitaire depuis 25 ans voit graviter autour des ONG de nombreux opportunistes aux business juteux. « Nous ne l’avons pas vu venir », a déclaré Whitney Elmer, directrice de pays du groupe d’aide au Congo à The New Humanitarian. « Pas à cette échelle ». Le détournement de plus de 600.000 dollars montre également les failles du système de contrôle des fonds alloués aux ONG. « Peu d’efforts étaient déployés pour vérifier qui était enregistré comme déplacé et où allaient finalement des millions de dollars d’aide » explique le journaliste Philip Kleinfeld.
Trois fraudeurs ont rejoint d’autres ONG
Dans son enquête interne, les entrepreneurs véreux ont donné à Mercy Corps le nom de neuf autres agences d’aide humanitaire qui auraient été victimes de fraudes. Après la découverte de ce vaste sytème de corruption, les ONG ont relevé de nombreux dysfonctionnements : nombre exagéré de déplacés, collusion entre les humanitaires et les locaux, distribution d’aide à des bénéficiaires non éligibles… Les « fraudeurs présumés ont tous été licenciés et leur contrat résilié par Mercy Corps » explique Philip Kleinfeld. Mais trois fraudeurs ont déclaré au journaliste avoir déjà rejoint d’autres ONG internationales.
Retrouver la confiance
Ces révélations ont été un vrai choc pour les nombreuses organisations humanitaires qui travaillent dans l’Est du Congo. Le coordonateur humanitaire de l’ONU en République démocratique du Congo, David McLachlan-Karr, a déclaré « prendre ces allégations très au sérieux ». Il affirme avoir pris, dès 2018, la mesure du problème. « Nous reconnaissons que notre action ne peut se poursuivre que si les plus hauts niveaux de confiance existent entre les bénéficiaires, le gouvernement hôte, les agences humanitaires et nos donateurs. »
5 millions de déplacés
David McLachlan-Karr affirme que des mesures ont été prises lorsque les fraudes ont été découvertes, notamment en renforçant les contrôles et les audits. Une « task force anti-fraude » a été mise en place, sous la direction de l’équipe humanitaire pays. « Une revue opérationnelle, entreprise par des consultants externes à l’ensemble des opérations humanitaires et du système de distribution d’aide en RDC, a été commandée. » Le coordonateur de l’ONU se dit « déterminé à faire tout notre possible pour maintenir cette confiance en luttant contre la fraude, la corruption et les abus à tous les niveau ». Selon le Haut Commissariat aux Réfugiés de l’ONU (HCR), cinq millions de personnes sont actuellement déplacées en République démocratique du Congo, ce qui en fait l’une des crises humanitaires les plus anciennes et les plus importantes au monde.
Christophe RIGAUD – Afrikarabia
Pas de surprise, c est un secret de polichinelle