Wavel Ramkalawan, leader de l’opposition, vient de remporter l’élection présidentielle dès le premier tour avec 54,9% des suffrages. Il met fin à un interminable régime dictatorial issu du coup d’Etat du 5 juin 1977. L’écrivain et journaliste Jean-François Dupaquier analyse ce tournant pour Afrikarabia.
AFRIKARABIA : On parle peu en France des Seychelles, cet Etat-archipel rattaché à l’Afrique. Pourquoi ?
Jean-François DUPAQUIER : On en parle surtout dans les agences de voyage comme d’un « paradis terrestre », d’un « Eden sur terre », etc. Les superlatifs ne manquent pas dans des luxueuses brochures. Cet archipel de seulement 100 000 habitants a cessé d’intéresser les grands médias depuis la fin de la Guerre froide lorsque les Etats-Unis et l’Union Soviétique ont renoncé à se disputer cet espace stratégique dans l’Océan indien. Ce qui a permis à une dictature inspirée de la Corée du Nord de se perpétuer, en évitant d’embêter les touristes qui convoitent des plages effectivement paradisiaques.
AFRIKARABIA : Le magazine « Cash investigation » a pourtant enquêté sur les Seychelles ?
Jean-François DUPAQUIER : Elise Lucet et son équipe ont surtout
diffusé trois enquêtes bien étayées sur le thon tropical dans l’océan Indien, sur Petit Navire et sur le thon rouge en Méditerranée. Pour démontrer à juste titre que la ressource halieutique est surexploitée dans l’Océan indien, en raison de la rapacité à courte vue des affrèteurs ,du laxisme de l’Union européenne et aussi de l’incurie de l’Etat seychellois. J’y ai consacré un chapitre de mon livre.
AFRIKARABIA : Vous avez effectivement publié voici un an ce livre « Les Seychelles, l’envers de la carte postale » pour montrer que derrière l’image paradisiaque de ce pays et le sourire de ses habitants, la réalité fut souvent très sombre ?
Jean-François DUPAQUIER : Le coup d’Etat du 5 juin 1977 est intervenu moins d’un an après la proclamation d’indépendance du pays. Il a porté au pouvoir France-Albert René, un supposé « leader progressiste ». Ce dernier a imposé un régime qui se revendiquait marxiste, révolutionnnaire et « non aligné ». En réalité, il a aussitôt fait appel aux Cubains et aux Coréens du Nord pour imposer un parti unique et terroriser la population. Sous diverses appellations, ce parti unique a instaure un régime hyper-présidentiel et conservé le pouvoir jusqu’à la toute récente victoire du leader de l’opposition Wevel Ramkalawan.
AFRIKARABIA : Vous montrez dans votre livre que la dictature s’est peu à peu assagie ?
Jean-François DUPAQUIER : France-Albert René, malade, a fini par démissionner en juillet 2004 en passant la main à son vice-président James-Alix Michel. Rattrapé par une série de scandales, celui-ci a démissionné à son tour en octobre 2016, sans rien céder sur l’essentiel. Jamais confronté aux urnes, le vice-président Danny Faure est devenu président intérimaire jusqu’aux élections de ce mois d’octobre. Il a tenté de se faire passer pour un démocrate, cependant les Seychellois ont dit « ça suffit ». Les touristes apprécient ce peuple bienveillant, porté à la joie de vivre, d’une grande résilience, et ils ont raison. Mais la résilience n’est pas éternelle.
AFRIKARABIA : Qu’est-ce qui a amené les Seychellois à tourner la page de l’ex-parti unique ?
Jean-François DUPAQUIER : La pression populaire et le système judiciaire ont eu raison de la fraude électorale et « la peur a changé de camp ». Les Seychellois ont commencé à parler ouvertement de ce qu’ils avaient vécu sous la dictature : les spoliations de terrains, les disparitions, les tortures etc., tout ce qui avait amené près du tiers de la population à trouver refuge à l’étranger, essentiellement en Grande- Bretagne.
En Occident, on n’a pas encore une claire conscience des crimes terribles commis par la dictature seychelloise, à commencer par le soutien à l’Apartheid en Afrique du Sud. Le régime de France-Albert René s’est transformé en une kleptocratie qui a amassé des fortunes dans le contournement de l’embargo pétrolier (décrété par l’ONU pour obliger l’Afrique du Sud à renoncer à l’Apartheid). Sans France-Albert René et sa clique, le régime d’Apartheid serait tombé beaucoup plus vite et Nelson Mandela y aurait gagné plusieurs années de liberté. Cette voyoucratie seychelloise a également joué un rôle dans le scandale du Crédit Lyonnais et dans bien d’autres affaires qui ont coûté très cher aux contribuables européens.
Il faut aussi rappeler que cet Etat-voyou s’est enrichi de la guerre en Syrie, de trafics d’armes en tous genres, notamment en armant les forces génocidaires au Rwanda en 1994, violant l’embargo de l’ONU.
AFRIKARABIA : Les Seychelles figurent aussi sur la liste des paradis fiscaux épinglés à l’occasion du scandale des Panama Papers ?
Jean-François DUPAQUIER : Je rappelle aussi cette affaire dans mon livre. Mises à l’index par l’Union européenne, les Seychelles ont fait de réels progrès en matière de transparence financière, mais tout n’est pas réglé, loin s’en faut.
Les Seychelles restent un paradis fiscal et figurent toujours dans la liste noire de l’Union Européenne Ce sera un défi à relever pour Wavel Ramkalawan, 59 ans : passer du statut de figure de proue de l’opposition seychelloise à celle d’un président instaurant un véritable Etat de droit, respectueux des règles internationales, tout en garantissant aux habitants la prospérité et un système social performant. Reste que la victoire de Wavel Ramkalawan est incontestable : 54,9% des suffrages contre 43,5% au « sortant » Danny Faure Le troisième candidat. Alain St Ange, n’a recueilli que 1,6% des voix. Le nouveau président bénéficiera d’un « état de grâce » qui peut lui permettre la mise en œuvre du programme qu’il avait annoncé à Afrikarabia voici deux ans.
Consultable sur :
http://afrikarabia.com/wordpress/seychelles-nous-allons-respecter-la-regle-democratique-et-letat-de-droit/
Propos recueillis par Christophe RIGAUD
Jean-François DUPAQUIER, Les Seychelles, l’envers de la carte postale, Ed. Karthala, Paris, 2019.