Un rapport édifiant et glaçant d’une ONG britannique met en lumière l’utilisation de la torture pour écraser la contestation en République démocratique du Congo (RDC). Des pratiques ultra-violentes réalisées en toute impunité.
Les récits de 74 Congolais recueillis par Freedom from torture font froid dans le dos. D’une violence extrême, les sévices infligés par les services de sécurité congolais, armée, police, renseignements, sont détaillés par le menu et jette un regard cru sur une pratique souvent occultée par les victimes elles-mêmes. 74 rapports médico-légaux rédigés entre 2013 et 2018, pour des citoyens Congolais ayant fui au Royaume-Uni, ont été analysés par l’ONG britannique. Les victimes ont toutes été arrêtées dans le cadre de leur activité militante, politique, de défense des droits de l’homme, ou perçues comme ayant “défié les autorités”. Toutes ces personnes exerçaient leur droit démocratique et ont été torturés pour s’être livrés à des activités “totalement licites”. Selon l’ONG, “la torture semble avoir été utilisée principalement pour punir leurs activités de militantisme politique et de défense des droits humains, mais aussi pour les décourager toute velléité future.”
« découpée avec ce qui lui a semblé être des ciseaux »
Les personnes torturées ont toutes été arrêtées de manière violente, notamment celles qui ont été interpellées chez elles ou au cours d’une manifestation, et toutes ont été détenues de manière arbitraire. Sur 74 cas analysés, 65 hommes et femmes ont révélé avoir fait l’objet de torture sexuelle. Tous, sauf deux, ont été violés au moins une fois. Les témoignages des survivants recueillis par l’ONG sont difficilement soutenables. Le rapport médico-légal raconte : “ses jambes ont été attachées avec des cordes et « suspendues vers le haut » et elle a été violée par plusieurs hommes en même temps. Elle se souvient avoir entendu « elle ne souffre pas assez, peut-être qu’on devrait la couper pour qu’elle apprenne ». Elle se souvient ensuite avoir ressenti une forte douleur et avoir été découpée avec ce qui lui a semblé être des ciseaux, ou un instrument très coupant, autour de ses parties génitales. Elle se souvient avoir beaucoup saigné.”
« Thé ou café ? »
Les tortionnaires appelaient ces séances de torture “le petit- déjeuner”, “le café du matin” ou “prendre le thé”. Le rapport détaille : “Un homme est entré et a demandé : « Mon ami vient de prendre son thé. Comment a-t-il pris son thé ? » Elle n’avait pas la moindre idée de ce qu’il voulait dire jusqu’à ce qu’il lui demande si elle avait été violée par voie anale ou vaginale. Quand elle a répondu par voie vaginale, il lui a ordonné de se mettre à quatre pattes et l’a sodomisée.” Un autre sévice est régulièrement utilisé : la brûlure. “Pendant qu’il était suspendu, ils l’ont brûlé plusieurs fois avec des cigarettes ; parfois en même temps qu’ils lui infligeaient des brûlures de cigarette, ils lui fourraient des bouts de tissu dans la bouche pour étouffer ses cris.”
« Regarder le soleil sans fermer les yeux »
L’imagination des tortionnaires semble sans limite. “Pendant la journée, détaille le rapport médico-légal, les prisonniers étaient emmenés dehors à tour de rôle et forcés à s’étendre et à regarder le soleil en face, pendant probablement 30 à 40 minutes. Cela se produisait environ une fois par semaine, pour chacun des prisonniers, l’un après l’autre. On l’a maintenue par les mains et les pieds et elle était frappée ou giflée si elle fermait les yeux.” Des décharges électriques sont également régulièrement infligées aux victimes.
« Tirez-moi une balle. Ne m’enterrez pas vivant »
L’issue de ces séances de torture est parfois fatale : “Il y avait deux hommes… qui étaient dans un état « critique » et semblaient avoir été très durement battus…les soldats sont venus et les ont emmenés. Elle a entendu les hommes pleurer et crier. Elle a entendu un homme dire : “Ne m’enterrez pas vivant. Tirez-moi une balle. Ne m’enterrez pas vivant.” Puis ça a été le silence.” Une autre victime dénonce ces exécutions sommaires : “D’autres prisonniers ont été emmenés et ne sont pas revenus. J’ai demandé où ils étaient allés et il a dit qu’ils avaient tous été tués. J’ai commencé à me demander pourquoi j’avais été militante. Je désespérais de jamais revoir ma famille.”
Torture politique ?
Ce qui ressort enfin de cette terrible enquête, c’est que la torture est essentiellement utilisée des fins politiques. De nombreuses victimes ont participé aux manifestations de 2016 pour exiger le départ de Joseph Kabila à la fin de son mandat constitutionnel. Certains étaient des militants politiques ou de simples sympathisants de partis d’opposition, notamment l’UDPS. Pour certains le simple fait de porter un T-shirt avec le nom d’un parti d’opposition ou de se rendre à une seule réunion ou manifestation, était à l’origine de la détention ou des actes de torture. “Nous avons encore plus peur, maintenant que les élections approchent, explique un témoin, car nous savons que nous n’avons le choix qu’entre deux alternatives : les massacres ou les combats.” Des victimes se souviennent des paroles de leurs bourreaux : “Pourquoi tu es contre le Président ? …Cette fois tu ne vas pas t’en sortir comme ça. Tu vas crever comme une bête.” Un signal inquiétant à quelques jours de la présidentielle du 23 décembre.
Christophe RIGAUD – Afrikarabia