La promiscuité et les conditions de vie déplorables inquiètent les 1.885 détenus de la prison militaire de Ndolo, qui compte déjà 147 cas confirmés de Covid-19. Les prisonniers demandent un dépistage massif, mais aussi l’accélération du désengorgement de la prison et des mesures de grâces présidentielles.
C’est désormais une prison qui est devenue l’épicentre de la pandémie de Covid-19 qui frappe la République démocratique du Congo (RDC). La prison militaire de Ndolo compte 147 cas confirmés de Coronavirus sur 211 détenus testés, alors que 1.455 cas ont été détectés dans tous le pays. Ces chiffres inquiètent fortement les détenus de Ndolo, qui vivent dans cette prison surpeuplée, dans des conditions dantesques. Contactés par Afrikarabia, des détenus, sous couvert d’anonymat, racontent leur quotidien au milieu des punaises et des cafards dans des cellules bondées. « Ndolo a été construite pour accueillir 500 détenus avec 40 prisonniers par cellule. Aujourd’hui, nous sommes 1.885 détenus et en moyenne 150 par cellule ! »
147 malades du Covid dans une cellule de 40 places
Avec un maigre repas par jour, les prisonniers de Ndolo ont recours à leur famille pour leur apporter un peu de nourriture. Mais avec l’arrivée du Covid-19 dans la prison et le confinement, les visites sont suspendues. « Un autre calvaire qui s’ajoute au manque d’hygiène et de soins » nous confie un détenu. Des tentes ont été placées au centre de la cour de la prison pour accueillir les malades du Covid-19. Mais très rapidement, les 147 détenus positifs ont été rapatriés dans une cellule d’une capacité de 40 personnes. « Imaginez comment ces malades étaient coincés dans cette cellule, témoigne un autre détenu, c’est inhumain. Huit malades ont été extraits de la cellule Covid. Ils s’étaient évanouis ou manquaient de s’étouffer, et cinq personnes ont été évacués le jour suivant ».
Des taux de surcapacité de 432%
Les malades du Covid19 de Ndolo se sentent abandonnés à leur triste sort, « il n’y a même pas de prise quotidienne de la température des malades ». Pour eux, la propagation du virus à tous les détenus serait une catastrophe à Ndolo. A l’unanimité, les prisonniers demandent aux autorités un dépistage massif des détenus et du personnel pénitentiaire. Mais ils souhaitent aussi un élargissement des mesures de désengorgement des prisons, toutes surpeuplées. Selon les chiffres donnés par la MONUSCO et rapportés par Human Rights Watch (HRW), les prisons congolaises affichent un taux de surcapacité moyen de 432%. Le ministre de la Justice Célestin Tunda Ya Kasende a déjà procédé à de nombreuses libérations. L’association Justicia a dénombré plus de 1.200 détenus libérés, dont 700 bénéficiaires de la libération conditionnelle. Mais à la prison militaire de Ndolo, beaucoup espèrent encore pouvoir bénéficier de libérations, ou de grâces présidentielles. Par des raisons sanitaires, mais aussi pour des raisons plus politiques.
Prisonniers « politiques » ?
Avec l’arrivée à la présidence de Félix Tshisekedi, la donne politique a changé en République démocratique du Congo (RDC). Si les résultats des élections de décembre 2018 sont toujours contestées, c’est un opposant, Félix Tshisekedi, qui est désormais chef de l’Etat, même s’il doit composer avec son allié, le FCC de Joseph Kabila, majoritaire à l’Assemblée nationale, au Sénat et dans les Assemblées provinciales. Au début de son mandat, de nombreux prisonniers politiques et opposants ont été libérés ou autorisés à rentrer au Congo. Une décrispation politique qui devait donner le ton de la magistrature Tshisekedi.
Mais aujourd’hui, la coalition Tshisekedi-Kabila est sous tension. Le propre directeur de cabinet du président, Vital Kamerhe, est en prison pour des soupçons de détournements de fonds publics. Et Félix Tshisekedi tente prudemment de reprendre la main sur l’armée, que contrôle encore l’ancien président Kabila. A Ndolo, certains prisonniers attendent toujours un geste de l’actuel président… et une possible grâce. Tous sont en prison pour « faits insurrectionnels » ou « rébellion ». Dans les cellules de la prison militaire, on trouve pêle-mêle, une vingtaine de membres du mouvement du Pasteur Mukungubila, arrêtés en 2015, dont le docteur Pierrre Feruzi Opondo. Ses adeptes se sont violemment opposés au régime du président Joseph Kabila. On trouve aussi des ex-M23 qui n’avaient pas pu signer l’acte d’engagement après leur défaite, car encore détenus dans les geôles de l’ANR, les services de renseignements, au moment de la signature.
John Tshibangu libéré, sans son adjoint
A Ndolo, il y a aussi David Lusenge, un militaire arrêté à Beni en 2014 pour détention d’armes et collusion présumée avec les rebelles ADF. L’ex-adjoint du colonel John Tshisbangu, Freddy Libeba, est également incarcéré à Ndolo depuis septembre 2019 pour « désertion et participation à un mouvement insurrectionnel ». Ironie du sort, son « patron », John Tshibangu, qui a toujours soutenu Etienne Tshisekedi, le père de Félix, a été libéré. Mais Libeba est toujours en prison. Le lieutenant-colonel Birocho, condamné pour participation à un mouvement insurrectionnel et terrorisme dans le cadre de l’assassinat de Mamadou Ndala, est également détenu à Ndolo. Il continue de clamer son innocence et réclame un nouveau procès. Mais pour l’instant, le militaire est malade, touché par le Covid-19. Dans ce contexte, Birocho craint pour sa vie et demande son évacuation sanitaire.
Beaucoup de ces détenus plaident pour leur libération, affirmant avoir, à leur manière, combattu Joseph Kabila. « A Ndolo, il y a des Kamuina Nsapu, qui se sont battus contre Kabila et pour Tshisekedi » nous confie un ex-officier. « Félix Tshisekedi n’a pas libéré tous ceux qui devaient être libérés ». D’autres sont prêts à aider le nouveau président, notamment pour ramener la sécurité à l’Est du pays, ou une centaine de groupes armés sont toujours actifs. « Félix Tshisekedi doit enclencher un dialogue avec tous les chefs rebelles pour restaurer la paix. Il doit discuter avec les rebelles qui sont dans la brousse » explique un détenu. A Ndolo, certains se proposent de jouer les « go-between ».
Des dossiers sensibles
Dans les milieux sécuritaires ont restent sceptiques sur de possibles nouvelles libérations. Les détenus libérés jusque-là pour cause de pandémie, étaient emprisonnés pour des « motifs mineurs », et la participation aux mouvements insurrectionnels n’en fait pas partie. De plus, une ligne rouge semble avoir été tracée par Joseph Kabila concernant certains détenus. On pense à Eddy Kapend, accusé d’avoir participé à l’assassinat de Laurent-Désiré Kabila, le père de l’ancien président. Après 20 ans de prison, de nombreuses ONG avait demandé sa libération. Pour l’instant, en vain. La décision de libérer de nouveaux prisonniers dont le dossier est plus sensible, sera donc politique. Mais pour cela, Félix Tshisekedi doit manoeuvrer avec prudence. La libération de John Tshibangu a été le fruit de longues tractations tendues, en hauts lieux. Pour certains détenus de Ndolo, il en sera de même. Mais l’heure des grâces présidentielles n’a peut-être pas encore sonné. Félix Tshisekedi est sous pression, avec les multiples scandales de corruption en cours. Et pour l’instant, les dossiers sécuritaires ne sont plus sur le haut de la pile.
Christophe RIGAUD – Afrikarabia