En quelques heures, la rébellion de la Séléka a renversé ce dimanche le régime de François Bozizé. Mais la coalition rebelle avance divisée et les lendemains de victoire pourraient se révélés difficiles pour la Séléka, toujours en quête d’union.
L’heure de vérité a sonné pour la Séléka. Après une offensive éclair dimanche matin, les rebelles se sont emparés sans difficulté de Bangui, la capitale centrafricaine. Le président François Bozizé a pris la fuite, certainement en République démocratique du Congo, après 10 ans de règne sans partage. Maintenant les choses sérieuses commencent. Que faire du pouvoir ? Et qui pour prendre la place de François Bozizé ?
Djotodia contesté
De nombreuses inquiétudes pèsent en effet sur la gestion que fera la Séléka de sa victoire. « La Centrafrique vient d’ouvrir une nouvelle page de son histoire, mais le plus dur est à venir » confiait ce dimanche à Afrikarabia un membre de la rébellion. Il ne croyait pas si bien dire. La bataille pour le pouvoir au sein de la Séléka a bel et bien commencé quelques heures après la chute de Bangui. Deux factions s’affrontent. A la manoeuvre, on trouve d’abord Michel Djotodia, le « patron » de la Séléka et ministre du gouvernement de transition, mis en place pendant les accords de paix de Libreville en janvier dernier. Son nom fait autorité, mais depuis la signature précipitée d’un plan de sortie de crise avec le président honni, François Bozizé, une partie de la Séléka ne lui fait plus confiance. Les accords de Libreville sont fortement contestés au sein de la Séléka.
Nourradine Adam et Firmin Findiro « incontournables » ?
Dans la fronde anti-Djotodia, on trouve un militaire : Nourradine Adam. L’homme est à la tête du CPJP, une des nombreuses composantes de la Séléka. Pour ce commandant, Djotodja a vendu l’âme de la coalition à Libreville, alors que les rebelles campaient à seulement 75 km de Bangui… si près de leur objectif : renverser Bozizé. Nourradine Adam n’est pas le seul à critiquer Djotodia. On trouve également le très discret Firmin Findiro, ancien ministre de la Justice, limogé par Bozizé. Mais aussi d’anciens officiers de l’armée régulière, regroupés dans l’A2R, puis le M2R. Ces militaires dénoncent ouvertement les accords de Libreville et repartent à l’offensive armée avec les hommes du CPJP de Nourradine Adam. Ils font tomber ensemble plusieurs localités, avant de fondre sur la capitale. Au final, dimanche, après la prise de Bangui, Nourradine Adam s’estime légitimement incontournable.
Djotodia succède à Bozizé
Mais en début de soirée, Michel Djotodia annonce dans un discours surprise sur les ondes nationales, être le nouveau président de la république centrafricaine. L’ancien rebelle décrète aussitôt un couvre-feu à Bangui et affirme souhaiter ne pas faire « de chasse aux sorcières« . Michel Djotodia promet des élections dans 3 ans et souhaite conserver Nicolas Tiangaye à son poste de premier ministre de transition. Djotodia a pris tout le monde de vitesse.
La « main tchadienne »
Autant dire que certaines dents ont grincé au sein même de la Séléka. Un membre de la coalition nous a affirmé que le nom de Michel Djotodia à la présidence, était en fait soutenu par le président tchadien Idriss Déby. « C’est consternant« , nous a-t-il déclaré. « Le Tchad continue de contrôler le pays, comme au temps de Bozizé. Déby veut une Centrafrique faible et y placer un président contrôlable« , tempête ce membre de la Séléka, qui craint « dans ces conditions, une nouvelle rébellion dans moins de 6 mois« . Un autre parti d’opposition, l’Alliance nationale pour le changement et la démocratie (ANCD), qui salue le départ de Bozizé, dénonce lui aussi l’ingérence tchadienne et « exhorte les frères centrafricains à récuser toute immixtion du despote Idriss Déby en Centrafrique« . La « main tchadienne » est toujours présente.
Les trois défis de Djotodia
Plusieurs défis attendent donc le nouveau président Djotodia. Tout d’abord s’affranchir de son encombrant « parrain » tchadien, Idriss Déby. La tâche sera difficile dans le contexte actuel. Le président tchadien est en effet devenu le nouvel homme fort de la région et l’allié incontournable de François Hollande dans sa guerre au Mali… une position confortable pour le maître de N’djamena, qui en fait pour le moment un « intouchable ». Michel Djotodia devra ensuite trouver rapidement le bon dosage d’une coalition politique solide, intégrant les multiples facettes de la rébellion. Là encore, la tâche est rude. Djotodia n’a pas la haute main sur le gros des troupes de la Séléka et il n’est pas à l’abri d’une nouvelle tentative de déstabilisation. Troisième et dernier défi et il est de taille : tout un pays, une armée, une administration, une économie… sont à reconstruire. La Centrafrique est à genou : un « Etat vide« , grand comme la France, avec seulement 4 millions d’habitants et une population parmi les plus pauvres de la planète. La « page Bozizé » est tournée et tout est à réécrire.
Christophe RIGAUD – Afrikarabia