A Goma, une délégation des Églises catholique et protestante a rencontré Corneille Nangaa le coordonnateur de la vitrine politique du M23, alors que les rebelles se sont emparés de deux nouvelles villes du Sud-Kivu. Les prélats vont poursuivre leurs consultations avec l’opposition politique, favorable à un dialogue national inter-congolais.

Dans la même journée, deux images se sont étrangement télescopées. Sur la première, le président Félix Tshisekedi rencontrait les représentants des confessions musulmanes, orthodoxes, kimbanguistes et des églises du Réveil pour les intégrer au dialogue national prôné par les Églises chrétiennes. Quelques heures plus tard, une seconde image dévoile une autre rencontre, qui a surpris tout le monde, à plus de 2500 kilomètres de Kinshasa. Autour de la table, on y voit les responsables de la Conférence épiscopale nationale du Congo (Cenco), Monseigneur Fulgence Muteba, l’Abbé Donatien Nshole, celui de l’Église du Christ au Congo (ECC), le Révérend Éric Senga, face à Corneille Nangaa, le coordonnateur de l’AFC, la branche politique de la rébellion M23, condamné à mort par Kinshasa. Un télescopage d’images qui donne un sérieux coup d’accélérateur à l’initiative des deux confessions religieuses qui a pour objectif d’ouvrir les portes du dialogue et ramener la paix à l’Est.
« Négocier et combattre »
Alors que l’on discute à Goma, les armes ont recommencé à parler sur le champ de bataille. Au Sud-Kivu, où les rebelles se sont emparés des localités de Nyabibwe et Kalehe, et continuent de progresser vers le chef-lieu de la province, Bukavu, qui se trouve maintenant à moins de 70 kilomètres. Mais aussi au Nord-Kivu, où les combats ont repris dans le territoire de Lubero, autour de Ndoluma. Le gouvernement congolais a dénoncé une violation flagrante du cessez-le-feu discuté le week-end dernier à Dar es-Salam. Talk and fight, « négocier et combattre », est une stratégie bien connue pour faire monter les enchères avant d’entamer un round de négociations. Aujourd’hui, l’avantage militaire est toujours dans le camp des rebelles du M23 et de leur parrain rwandais qui poussent leurs pions sans rencontrer de résistance efficace de l’armée congolaise et de ses supplétifs.
« L’AFC/M23 a une contribution à apporter à la paix »
Après plus de trois heures de réunion avec Corneille Nangaa, l’Abbé Donatien Nshole a fait un premier bilan positif de la rencontre. « Nous sommes d’accord qu’on peut s’engager avec eux à trouver une solution pacifique le plus tôt possible pour que la guerre s’arrête. L’AFC/M23 a une contribution à apporter dans la construction de la paix ». Le secrétaire général de la Cenco a également estimé que « beaucoup de choses pourraient être réglées si les Congolais se mettaient autour d’une table ». Le prélat a enfin tenté de rassurer : « Nous ne sommes pas dans une dynamique de balkanisation et d’exploitation illicite des minerais ».
« Une légitimation des groupes armés »
Si le gouvernement n’a pas encore réagi à cette première rencontre des deux confessions religieuses avec le M23, son porte-parole, Parick Muyaya, s’était montré septique sur l’initiative de la Cenco et de l’Ecc, indiquant que « le président de la République ne leur [avait] pas donné un mandat quelconque ». A l’UDPS, on est franchement hostile à des négociations politiques « en-dehors des processus de Luanda et de Nairobi ». Le parti présidentiel estime que l’Église « n’a pas pour vocation de prendre des initiatives politiques à la place des institutions de la République ». La rencontre impromptue de Goma « change la donne » reconnaît Jean-Thierry Monsenepwo, pour qui l’image des prélats à Goma constitue « une forme de légitimation des groupes armés ». Ce cadre de l’Union sacrée fustige également « une médiation parallèle, hors de tout mandat institutionnel. Faut-il rappeler que le M23 n’est pas un groupe d’opposants politiques, mais une organisation terroriste ».
« Laissons nos pères spirituels conduire librement ce processus »
Pourtant, dans l’opposition politique, on accueille favorablement la proposition de dialogue national des Églises catholique et protestante. « Nous avons toujours réclamé cette cohésion nationale », explique à Afrikarabia Devos Kitoko, le secrétaire général de l’Ecidé, le parti de Martin Fayulu. « Nous voulons recouvrer notre intégrité territoriale, mettre fin à la corruption et aux violations des droits humains et réformer les institutions électorales ». Pour cela, l’Ecidé a toujours prôné un dialogue national piloté par la Cenco et l’Ecc. « Laissons nos pères spirituels conduire librement ce processus. Nous ne devons pas en avoir peur. Je ne vois pas en quoi ces deux Églises pourraient souhaiter la déchéance de notre pays ».
« Les problèmes politiques internes vont rester »
Au-delà du conflit à l’Est, l’opposition politique plaide donc pour un dialogue inter-congolais proposé par les confessions religieuses dans le cadre de leur « forum pour le consensus national ». « La paix, c’est important et on ne peut pas la refuser », souligne à Afrikarabia un cadre d’Ensemble, le parti de Moïse Katumbi. « Mais la donne interne va rester. Les problèmes politiques seront toujours là, et notamment la volonté de Félix Tshisekedi de changer la Constitution pour protéger son pouvoir. Tout cela ne va pas disparaître ». L’Église catholique a d’ailleurs toujours été très critique sur la possible modification de la Constitution présentée par le chef de l’Etat. Pour l’opposition, le dialogue ne doit donc pas s’arrêter à la guerre contre le M23 et le Rwanda.
Tshisekedi affaibli
Après Goma, les prélats vont d’ailleurs poursuivre leur tournée en Belgique pour justement y rencontrer l’opposition en exil : Franck Diongo, Jean-Claude Vuamba et un représentant de l’ancien président Joseph Kabila. Moïse Katumbi sera aussi présent à Bruxelles, où il sera question du retour de la paix à l’Est, mais aussi de la gouvernance de Félix Tshisekedi, sans solution militaire et affaibli politiquement. Un contexte que l’opposition ne veut pas laisser passer pour bousculer l’échiquier politique congolais.
Christophe Rigaud – Afrikarabia