Tshisekedi, Fayulu, Katumbi, Matata Ponyo… les candidats annoncés à la prochaine présidentielle recherchent leurs futurs alliés, alors que l’incertitude plane toujours sur le positionnement de Joseph Kabila, Vital Kamerhe et Denis Mukwege.
Sur le papier, l’année 2023 sera électorale. Des élections générales ont été annoncées pour le 20 décembre prochain avec un scrutin groupé : présidentielle, législatives, provinciales et municipales le même jour. Pourtant, dans la pratique, le spectre d’un possible report des élections est toujours d’actualité. Le calendrier est ultra serré et quasi-intenable pour bons nombre d’observateurs, mais surtout la guerre à l’Est du pays pourrait priver une grande partie des Congolais d’élection et provoquer son report. L’incertitude sur la bonne tenue du scrutin dans les délais n’empêche pas la classe politique congolaise de s’agiter tous azimuts… à la recherche d’alliances et de soutiens. Dans une présidentielle à un seul tour, où le président Félix Tshisekedi, candidat à sa réélection, fait office de super favori, l’opposition tente de s’unir. Comme en 2018, l’idée d’un candidat unique de l’opposition pour battre le candidat du pouvoir refait surface. Une expérience malheureuse puisque Félix Tshisekedi, après s’être rangé derrière Martin Fayulu, à l’instar de Moïse Katumbi et Jean-Pierre Bemba, a décidé de faire bande à part dans un ticket avec Vital Kamerhe.
Tshisekedi et les ministres katumbistes
Si le rêve d’un candidat unique de l’opposition paraît difficilement réalisable en 2023, les accords, coalition et alliances sont indispensables pour peser sur le scrutin. En ce début d’année, chacun commence à compter ses alliés, à commencer par Félix Tshisekedi lui-même. L’annonce de la candidature de Moïse Katumbi (Ensemble) à la présidentielle et son départ de l’Union sacrée a permis de décanter la situation au sein du gouvernement. Trois ministres du parti katumbiste, Christian Mwando (ministre du Plan), Chérubin Okende (ministre des Transports) et la vice-ministre de la santé, Véronique Kilumba, ont décidé de quitter leurs fonctions pour rejoindre l’homme d’affaires. Un prochain remaniement devrait permettre de faire entrer au gouvernement des personnalités susceptibles de battre campagne pour le président sortant. Félix Tshisekedi garde trois autres ministres issus du parti katumbiste : Christophe Lutundula (ministre des Affaires étrangères), Mohindo Nzangi (ministre de l’Enseignement supérieur) et Modeste Mutinga (ministre des Affaires sociales). Le chef de l’Etat devrait aussi pouvoir compter sur une trentaine de députés d’Ensemble qui ont décidé de tourner le dos au patron du TP Mazembe. Le chef de l’Etat a donc réussi à siphonner une partie des cadres du parti katumbiste.
Une grande coalition présidentielle
Pour justifier une victoire annoncée malgré un maigre bilan, tant sur le niveau de vie des Congolais que sur l’insécurité, Félix Tshisekedi souhaite aller aux élections avec la plus large coalition possible à ses côtés. En plus des prises de guerre dans le camp de Moïse Katumbi, le chef de l’Etat bénéficie du soutien du président de l’Assemblée nationale, Christophe Mboso, et de celui du Sénat, Modeste Bahati, qui ont tous deux réaffirmé récemment soutenir le candidat Tshisekedi. Deux poids lourds de la politique congolaise sont également chouchoutés par le camp présidentiel. Il y a tout d’abord le patron du MLC, Jean-Pierre Bemba, qui possède aujourd’hui peu de marges de manoeuvre politiques et cherche surtout à se refaire une santé financière. De nombreux litiges, bancaires notamment, sont en cours. Lors d’une tournée dans sa province de l’Equateur, où le MLC pèse encore électoralement très lourd, le chairman a clairement demandé à la population de « donner un second mandat à Félix Tshisekedi ».
Le cas Kamerhe
Le second soutien de poids pour le président sortant, est son ex-allié de la campagne présidentielle de 2018, Vital Kamerhe. Officiellement, le patron de l’UNC est toujours dans l’Union sacrée et s’affiche comme un soutien de Félix Tshisekedi, mais les lignes pourraient bouger à l’approche du scrutin. Il y a en effet plusieurs contentieux entre les deux hommes. Vital Kamerhe n’a pas été nommé Premier ministre à l’issue de l’élection présidentielle, comme le précisait l’accord passé avec Tshisekedi. Il a certes été nommé directeur de cabinet de la Présidence, mais il s’est fait rattraper par la justice et condamner à 13 ans de prison dans l’affaire de détournement de fonds du « programme des 100 jours ». Après 2 ans de prison, Kamerhe est finalement sorti innocenté, mais avec une certaine rancoeur pour le chef de l’Etat. Très discret depuis son blanchiment par la justice, le patron de l’UNC avait pensé se remettre en selle en proposant son propre plan de paix pour l’Est du Congo. Mais là encore, c’est la déception, le « plan Kamerhe » est resté dans les tiroirs. Toujours puissant électoralement au Sud-Kivu, Vital Kamerhe reste tout de même un atout important pour le candidat Tshisekedi. Mais si Kamerhe ne trouve pas sa place dans le dispositif présidentiel (directeur de campagne ?), il pourrait rejoindre un autre bloc politique, et notamment celui d’Augustin Matata Ponyo, un ex-kabiliste comme lui.
Fayulu, populaire et radical
Les deux principaux opposants déclarés à Félix Tshisekedi sont pour l’instant Martin Fayulu et Moïse Katumbi. Le premier a réussi à capitaliser sur sa popularité acquise pendant la campagne de 2018, soutenue par Katumbi, Bemba et Muzito. Il fait désormais cavalier seul et devra battre campagne sans les moyens financiers de ses parrains de la dernière présidentielle. Et sans Muzito, qui semble vouloir également se présenter en solo à la magistrature suprême. Contrairement à Bemba et Katumbi, Fayulu a toujours refusé d’entrer dans l’Union sacrée et encore moins de soutenir Tshisekedi qu’il accuse toujours d’avoir volé son élection. Constant dans son opposition frontale et radicale au camp présidentiel, le président de l’Ecidé a toujours dénoncé l’ingérence rwandaise au Congo. Une position aujourd’hui très soutenue par la population depuis le retour du M23 et le dernier rapport de l’ONU qui accuse Kigali de soutenir les rebelles. Le manque de moyens financiers et la multiplication des candidatures d’opposition sont ses principaux handicaps.
Katumbi et la carte Kabila
Moïse Katumbi a clarifié sa position politique très récemment, en se déclarant candidat et en quittant l’Union sacrée présidentielle. Dès l’élection contestée de Félix Tshisekedi en 2018, Moïse Katumbi avait toujours maintenu une certaine ambiguïté envers le nouveau président. Il y a d’abord eu la période « d’opposition républicaine » lorsque le chef de l’Etat était encore en alliance avec Kabila. Puis, il y a eu son entrée dans l’Union sacrée et au gouvernement… avant la rupture. Moïse Katumbi a toujours été prudent avec l’actuel pouvoir. Il sait qu’une épée de Damoclès pèse sur lui, qui pourrait le rendre inéligible : le projet de loi Tshiani. Dans ce texte, jamais voté pour l’instant, il faut être congolais « de père et mère » pour prétendre à la magistrature suprême, ce qui n’est pas le cas de l’homme d’affaires. Depuis l’annonce de sa candidature, les rumeurs reprennent sur sa prétendue double-nationalité. Pour jouer les premiers rôles dans le scrutin, Moïse Katumbi a décidé de jouer une carte inattendue : celle de Joseph Kabila. Dans son fief katangais, les rivalités politiques se sont exacerbées depuis le découpage du Grand Katanga en 4 provinces. La poignée de main entre les deux hommes en mai 2022 a fait jaser. Réelle réconciliation, ou réconciliation de façade ? Katumbi reste un « traître » pour Joseph Kabila, depuis son départ du clan PPRD en 2015, et sa volonté de se présenter à la présidentielle pour succéder au Raïs. Pourtant, du côté de Lubumbashi on rêve d’un soutien, même tacite, du clan Kabila à Katumbi, qui pourrait également être incarné par un rapprochement avec l’ancien Premier ministre Matata Ponyo.
Quand Kabila veut faire barrage à Tshisekedi
Aussi étonnant que cela puisse paraître, l’ancien président Kabila est sans doute la personnalité la plus courtisée dans les jeux d’alliances qui sont en train de se nouer. Théoriquement, le sénateur à vie Joseph Kabila n’est plus en mesure de se représenter à la présidentielle, mais le flou est savamment entretenu par ses proches sur son avenir politique. Après l’échec de son poulain Emmanuel Ramazani Shadary en 2018, il n’y a plus de dauphin naturel au sein du PPRD et de sa plateforme, le FCC. Si on parle beaucoup de sa femme, Olive Lembe, comme d’un possible plan B pour le camp Kabila, cette alternative semble un peu prématurée pour 2023 (2028 peut-être ?). Autour du Raïs, on privilégie une stratégie qui consisterait à faire battre coûte que coûte Félix Tshisekedi. « On veut un deuxième sénateur à vie et éviter un second mandat de Tshisekedi » confient des élus kabilistes. Le PPRD pourrait alors se tourner vers Matata Ponyo qui a gardé de bons contact avec Joseph Kabila, mais aussi avec bons nombre de caciques du parti. Pour peser sur le scrutin, sans présenter de candidat, le PPRD pourrait opter pour un « boycott » des élections et soutenir en « sous-marin » un candidat capable de battre Tshisekedi.
Matata, candidat sous surveillance judiciaire
L’ancien Premier ministre Matata Ponyo se retrouve donc lui aussi au cœur de toutes les attentions. Sa bonne implantation dans le Maniema et la création de l’université qui porte son nom à Kindu en fait un personnage influent dans cette province enclavée. Son profil d’économiste « techno » avait été remarqué à l’international lors de son passage à la Primature. Seulement voilà, son implication dans les détournements de fonds du projet de la ferme agricole de Bukanga Lonzo, constitue toujours un handicap très sérieux à la crédibilité de sa candidature. De plus, Matata Ponyo se trouve dans une situation judiciaire ubuesque. Dans un premier temps, la Cour constitutionnelle s’était déclarée incompétente pour juger l’ex-Premier ministre dans le fiasco Bukanga Lonzo. Mais après un changement de juge au sein de la Cour, celle-ci a opéré un revirement à 180° pour finalement se déclarer compétente pour juger Matata Ponyo. « Une instrumentalisation de la justice » selon l’ex-Premier ministre.
Le nouveau trio Fayulu-Matata-Mukwege
Preuve de l’intérêt que porte les futurs candidats à Matata Ponyo et aux possibles électeurs kabilistes, la tribune publiée par Martin Fayulu et le prix Nobel de la paix, Denis Mukwege avec l’ex-Premier ministre. Dans un texte commun, ils dénoncent le chaos à l’Est, le risque de « balkanisation » du Congo et s’inquiètent du « caractère non-inclusif du processus électoral ». Martin Fayulu, Denis Mukwege et Augustin Matata Ponyo demandent également « la fin des poursuites judiciaires contre certains acteurs politiques ». La tribune indique nommément le cas de Matata Ponyo, dont le dernier retournement de situation de la Cour constitutionnelle vise à « l’éliminer du processus électoral ». La défense du cas Matata Ponyo a beaucoup étonné, surtout venant de la part de Martin Fayulu et Denis Mukwege, chantres de la lutte contre l’impunité. Devant les vives réactions provoquées par le texte, notamment sur les réseaux sociaux, le célèbre gynécologue a expliqué ne pas défendre l’impunité, mais l’instrumentalisation de la justice à des fins politiques. Dont acte.
La surprise Mukwege ?
La présence de Denis Mukwege aux côtés de Martin Fayulu et Augustin Matata Ponyo, tous deux candidats déclarés en 2023, n’est pas un hasard. Depuis plusieurs mois, un collectif d’intellectuels milite pour une candidature du prix Nobel à la présidentielle. Son aura, son combat contre l’impunité et son intégrité, en font l’une des personnalités les plus respectées en RDC, mais aussi au-delà des frontières. Mais le médecin ne s’est toujours pas encore prononcé sur une possible candidature. Il faut dire qu’il y a de quoi hésiter à venir se jeter dans le marigot politique congolais, au risque d’abîmer son image. L’immense travail auprès des femmes, victimes de violences sexuelles dans l’Est, accapare beaucoup le gynécologue, et se présenter aux élections pourrait le couper de ses activités à l’hôpital de Panzi qu’il dirige. Mais sa participation à cette tribune commune aux côtés de deux candidats n’est pas anodine et pourrait constituer un premier « ballon d’essai » pour le docteur.
Une candidature qui changerait la donne
Denis Mukwege a d’ailleurs pris la précaution de bien préciser que cet appel commun n’était ni une alliance politique, et encore moins une plateforme électorale. Le prix Nobel a donc décidé de prendre son temps. De nombreux points d’interrogation planent sur le scrutin. Personne n’est certain que les élections auront bien lieu en décembre, et certains pensent aussi au docteur, en cas de glissement du calendrier, par incarner une possible « transition » dirigée un membre de la société civile. Et si le scrutin se tient dans les temps, Denis Mukwege n’est pas certain qu’il sera complément crédible et transparent. Mais une chose est sûre, une candidature du prix Nobel à la présidentielle rebattrait intégralement les cartes au sein de l’opposition, et une alliance du célèbre gynécologue avec un ou deux leaders de l’opposition pourrait rivaliser avec le rouleau compresseur Tshisekedi. Pour l’heure, il semble peut probable que Martin Fayulu ou Moïse Katumbi se désisteraient en faveur du prix Nobel, mais l’annonce d’une candidature Mukwege ne peut pas laisser les deux poids lourds de l’opposition insensibles.
Cristophe Rigaud — Afrikarabia
Avec la politique de F. Tshisekedi, il veut surprendre certains candidats avec les élections de 2023. Puisque d’autres doutent au processus, la machine est en marche et les saints Thomas seront surpris alors qu’ils pensent à un report .
C’est le peuple qui vote ces notables autour de Félix n’ont pas un ascendant particulier et une influence prépondérante sur les autres membres de la société congolaise au contraire ils sont les plus détestés .Le bilan de Félix est largement négatif, sa cote de popularité est au plus bas. Une élection libre et transparente Félix ne peut pas avoir 10%.