12 députés congolais se sont rendus en mission à Beni fin octobre après une série de massacres. Sans parvenir à établir les responsabilités dans les tueries, les députés pointent les « dysfonctionnements » dans l’armée congolaise et demandent « l’ouverture d’une enquête parlementaire ».
Dans un rapport d’un dizaine de pages que nous avons pu consulter (1), la mission parlementaire envoyée à Beni au lendemain des attaques d’octobre 2014, accuse les défaillances et les manquements de l’Etat congolais et de l’armée congolaise (FARDC), pourtant présente dans la région. Cette mission a été menée à la fin de la première vague de tuerie, mais depuis, trois autres carnages se sont produits autour de Beni, portant à plus de 200 morts le bilan de ces attaques, attribuées aux rebelles ougandais des ADF-Nalu.
« Ennemi non identifié »
Les députés racontent tout d’abord les difficultés rencontrés pendant leur mission. Et tout d’abord , la courte durée de leur déplacement sur le terrain (seulement 5 jours), « l’insuffisance des moyens logistiques et financiers », mais aussi « l’insécurité sur les sites à visiter ». Preuve que la zone n’est pas sous le contrôle total de l’armée régulière. Le rapport note ensuite « la difficulté de se battre contre un ennemi non identifié, quand bien même il serait vaguement qualifié d’ADF ». Depuis le début des massacres, l’armée attribue les attaques aux ADF-Nalu, une rébellion ougandaise, présente en RDC depuis 25 ans. Mais beaucoup doutent de ces accusations. Certains y voient la main des ex-M23 qui se seraient alliés aux ADF pour « peser » sur leur dossier à Kinshasa. D’autres soulignent la « collusion » entre des ADF et des officiers de l’armée régulière, impliqués dans des trafics divers avec les ougandais. Mais aucune preuve n’a été apportée sur l’une ou l’autre de ces thèses.
« Des incohérences dans le commandement des FARDC»
Si les députés congolais n’ont pas appris grand chose sur les auteurs de ces attaques, ils dénoncent les manquements des autorités congolaises et notamment dans l’armée nationale. Le rapport s’étonne du « relâchement observé dans les opérations Sokola 1 (censées mettre fin aux agissements des groupes armés dans la zone) au lendemain de la mort du général Jean-Lucien Bahuma (en charge de l’opération) ». Le non-paiement de la solde de certains militaires pose également problème pour les parlementaires, ainsi que « les incohérences dans le commandement de plusieurs unités ». Le rapport pointe enfin « l’immobilisme ou l’inaction de la Monusco (les casques bleus de l’ONU) face aux tueries, alors que ses éléments sont postés non loin des lieux des drames ». L’état exécrable des routes étonne enfin la mission parlementaire, « alors que le FONER (Fond d’entretien routier) perçoit beaucoup d’argent ».
Des régiments « se sont tirés dessus »
Le rapport relate ensuite les tueries « d’une rare cruauté » et les assaillants opérant à l’aide d’armes blanches, machettes, haches, marteaux, couteaux, houes, et de grosses pierres et d’armes à feu. Selon les témoignages recueillis par les députés, « les assaillants étaient habillés en uniformes militaires, en soutanes, et certains étaient déguisés en femmes (pagnes, blouses et foulards) à Ngadi. Ils s’exprimaient dans des langues identifiées par les rescapés comme le kiswahili, le kiganda et le kinyarwanda ». Les tueries sont perpétrées non loin des positions des FARDC et de la Monusco. Ironie du sort, le rapport note que dans la confusion « le 1003ème et le 1007ème régiments se sont tirés dessus alors que la population était livrée au massacre ».
FARDC complices ?
Des éléments troublants sont relatés par la mission parlementaire concernant la possible complicité entre les assaillants et certains membres des FARDC. « Un Major, contacté par un enfant alors que les tueries étaient en cours et que les cris des victimes parvenaient à la position que l’officier contrôlait, a menacé de fusiller tout élément de son unité qui oserait intervenir et a même arraché les chargeurs de certains des ses éléments qui voulaient intervenir. Il en est de même d’un Colonel qui a jugé utile de recevoir et de garder un rescapé pour aller constater les dégâts le lendemain matin ». Des éléments qui renforcent « la crise de confiance » entre l’armée et la population.
Une enquête parlementaire attendue
Les députés recommandent la redynamisation et la réorganisation des opérations Sokola 1, l’augmentation des effectifs des éléments de la police nationale, le remplacement des éléments FARDC par des ressortissants d’autres provinces et enfin la nécessité de lancer une commission d’enquête parlementaire pour déterminer les responsabilités dans ces tueries. Le 29 octobre 2014, le président Kabila s’est déplacé à Beni dans un climat de défiance de la population, qui accuse Kinshasa d’avoir « abandonné » la région. Joseph Kabila a plaidé pour un renforcement de la Monusco et des FARDC sur le terrain, ainsi que pour une réorganisation au sein de l’armée congolaise. Mais la colère des Congolais s’est alors portée sur une base de la Monusco, brièvement encerclée, et sur une statue de Joseph Kabila qui a été déboulonnée à Beni. Depuis le départ de Joseph Kabila, trois autres attaques ont endeuillées Beni. Maigre signe d’amélioration, la dernière tuerie du 1er décembre n’a fait « que » trois morts « grâce à l’intervention des FARDC » selon le chef coutumier du village d’Eringeti. Une intervention rapide de l’armée saluée par la Société civile du Nord-Kivu. Si les députés ont été en partie entendus par Kinshasa, la Commission d’enquête parlementaire pour savoir qui se cache derrière ces attaques n’est toujours pas en place.
Christophe RIGAUD – Afrikarabia
(1) Le rapport de la Mission parlementaire est à télécharger ici.