Les six principaux candidats d’opposition appellent à une candidature unique pour battre le dauphin de Joseph Kabila aux prochaines élections. Une équation délicate à résoudre face à l’incertitude de certaines candidatures et aux divisions qui règnent au sein de l’opposition.
Comment battre Emmanuel Ramazani Shadary, le candidat qui porte les couleurs de l’actuel président congolais Joseph Kabila ? C’est maintenant la question que se posent les multiples candidats de l’opposition à la présidentielle de décembre. Dans un scrutin à un seul tour, les opposants savent qu’en multipliant les candidatures, ils donnent davantage de chances au candidat du pouvoir de remporter la prochaine présidentielle de l’ère post-Kabila. Mais pour l’instant, ils sont au moins six à vouloir briguer la magistrature suprême pour le compte de l’opposition, sur les vingt-trois dossiers déposés à la Commission électorale (CENI).
Union obligatoire
Dans une déclaration commune, Félix Tshisekedi (UDPS), Vital Kamerhe (UNC), Jean-Pierre Bemba (MLC), Moïse Katumbi (Ensemble), Freddy Matungulu (Congo na Biso) et Martin Fayulu (Ecidé), se sont accordés sur un socle de revendications communes : retrait des machines à voter, nettoyage du fichier électoral, retour du corps d’Etienne Tshisekedi, libération des prisonniers politiques, retour de Moïse Katumbi pour déposer sa candidature, et validation de la candidature de Bemba… entre autres.
Mais la résolution la plus politique de la déclaration concerne « la désignation d’un candidat commun à la prochaine élection présidentielle, autour d’un programme commun ». Si pour l’heure, il s’agit d’une simple déclaration d’intention, tous les acteurs politiques semblent avoir conscience cette fois-ci qu’il va falloir s’unir pour avoir la moindre chance de remporter le scrutin. Une équation à plusieurs inconnues qu’il paraît bien difficile de résoudre pour l’instant.
Bemba trouble-fête
Le retour inattendu de Jean-Pierre Bemba sur la scène politique congolaise à quelques mois de la présidentielle a constitué le premier tsunami politique de l’été – voir notre article. La seconde surprise a été la tentative avortée du retour de l’autre poids lourd de l’opposition en exil, Moïse Katumbi, qui n’a pas pu franchir la frontière congolaise pour déposer sa candidature – voir notre article. Dans ce combat pour le leadership de l’opposition, l’avantage revient donc au candidat Jean-Pierre Bemba, même si Katumbi continue sa bataille juridique pour forcer Kinshasa à le laisser rentrer au pays.
Mais si le patron du MLC a bien déposé son dossier à la CENI, rien ne dit que la Commission valide sa candidature. Une seconde affaire judiciaire de subornation de témoins pèse encore sur le sort de Jean-Pierre Bemba devant la Cour pénale internationale (CPI). Une affaire qui, en cas de condamnation, pourrait faire invalider sa candidature. En effet, la loi congolaise prévoit que sont inéligibles les personnes condamnées pour corruption. Reste à savoir si la subornation de témoins est assimilable à la corruption ? Le débat juridique fait rage à Kinshasa. Et cet argument pourrait permettre au pouvoir d’éliminer un « gros poisson » de la présidentielle.
Deux blocs d’opposition et des contentieux
Si les candidats Katumbi et Bemba ne sont pas sûrs de concourir en décembre, Félix Tshisekedi, Vital Kamerhe, Freddy Matungulu et Martin Fayulu ont toutes les chances de participer au scrutin. Depuis le retour surprise de Bemba, l’échiquier politique s’est scindé (à minima) en deux blocs. D’un côté un axe Félix Tshisekedi-Moïse Katumbi et un autre axe Jean-Pierre Bemba-Vital Kamerhe. Dans l’hypothèse ou l’ancien gouverneur Katumbi serait non-partant, la question serait de savoir si Tshisekedi pourrait rejoindre le camp Bemba. Et là, les choses se compliquent.
En 2006, l’UDPS d’Etienne Tshisekedi, le père de Félix, n’avait pas soutenu le MLC de Bemba, après le boycott des élections par Tshisekedi. Et en 2011, le MLC lui a rendu la pareille en ne soutenant pas le Sphinx de Limete Tshisekedi, cette fois-ci candidat, alors que le patron du MLC était coincé dans sa cellule de La Haye. Ce contentieux risque de peser lourd sur une possible alliance. D’autant que Félix Tshisekedi s’est récemment épanché concernant la candidature unique sur Radio Okapi. « Je sais que ce sera difficile, mais j’y crois », a estimé le nouveau patron de l’UDPS. Avant de jeter un pavé dans la mare : « Si jamais ça n’arrive pas, ce ne serait pas non plus une catastrophe ». Une manière mettre la pression sur le camp Bemba, car Félix sait que sans Katumbi, son poids diminue dans l’opposition.
Des opposants critiqués de toutes parts
Si la candidature de Jean-Pierre Bemba était retoquée (ce qui est tout à fait possible) le jeu serait alors plus ouvert pour Félix Tshisekedi qui devrait composer avec Vital Kamerhe… un attelage plus « baroque » et beaucoup moins « compatible ». Le rendez-vous manqué entre Kamerhe et Etienne Tshisekedi lors la présidentielle 2011 a laissé des traces. Chacun accusant l’autre d’être responsable de l’échec. Aujourd’hui, les cadres de l’UDPS considèrent toujours l’ancien président de l’Assemblée nationale comme un « poisson pilote du pouvoir » et lui reprochent sa participation au « dialogue » de l’Union africaine de 2016 qui donnait des gages à Joseph Kabila.
De son côté, Félix Tshisekedi n’est pas exempt de critiques. Certains le considère comme un simple « héritier », sans compétences particulières pour diriger un Etat si ce n’est d’être le fils de l’opposant historique Etienne Tshisekedi. Et pour être complet dans le flot de critiques sur l’opposition congolaise, Jean-Pierre Bemba est avant tout perçu comme un ex-mobustiste devenu chef de guerre avec des méthodes bien peu orthodoxes. Quant à Moïse Katumbi, aujourd’hui dans l’opposition, l’homme d’affaires a bâti sa fortune en fidèle allié de Joseph Kabila que les pratiques autoritaires du pouvoir ne semblaient pas émouvoir jusqu’en 2015… ce qui « irrite » les opposants historiques.
Derrière la présidentielle, les législatives
Dans cet imbroglio politique, bien malin celui qui peut prédire quelles alliances pourront être nouées et à quelles conditions. Car n’oublions pas qu’en même temps que la présidentielle se joue également les législatives et les élections provinciales. Un enjeu vital pour les formations politiques qui se doivent d’exister dans les assemblées provinciales et nationale. En cas de non participation de Moïse Katumbi à la présidentielle, l’ancien gouverneur pourrait monnayer son soutien au candidat unique en échange de postes de députés pour les cadres de son mouvement. Idem pour les autres grands leaders de l’opposition. En coulisses, les tractations vont bon train.
Mais sans être grand clerc, on peut supposer qu’il sera extrêmement difficile de faire converger les principaux opposants vers une candidature unique. Et on peut aussi compter sur le camp présidentiel pour ajouter de la division à la bataille des égos afin de multiplier les candidatures. Le pouvoir a ses habitudes et connait parfaitement les méthodes de débauchages qu’il a maintes fois utilisées. Sinon, le camp présidentiel peut largement compter sur une CENI acquise à sa cause et sur une Cour constitutionnelle très favorable au pouvoir pour régler les litiges électoraux : deux juges proches du chef de l’Etat y ont récemment été nommés.
Mais si la multitude des candidatures ne suffit pas à faire gagner le candidat du pouvoir, l’opposition redoute que le scrutin de 2018 soit largement frauduleux. En cause, l’utilisation de la très contestée machine à voter et un fichier électoral truffé d’électeurs fictifs (entre 8 et 10 millions !). L’opposition a donc du pain sur la planche. En attendant, nous devrions en savoir plus sur la validation des candidatures le 24 août et en cas de litiges, la décision finale sera examinée le 19 septembre. Après cette date, nous devrions au moins connaitre la liste définitives des candidats à la prochaine présidentielle… faute d’avoir le nom du candidat unique.
Christophe RIGAUD – Afrikarabia
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