L’opposant Jean-Pierre Bemba est rentré ce mercredi à Kinshasa pour déposer sa candidature à la prochaine présidentielle, en pleine crise politique. Un retour qui bouleverse l’équilibre de l’opposition et donne une longueur d’avance à l’ancien vice-président qui se verrait bien conquérir le pouvoir.
Ce n’est pas le raz-de-marée du retour de l’opposant historique Etienne Tshisekedi en 2016, mais plusieurs milliers de Kinois sont venus accueillir Jean-Pierre Bemba à Kinshasa ce mercredi 1er août. Il faut dire que les mesures de sécurité prises par les autorités congolaises pour éviter les débordements ont largement dissuadé ses partisans. Les forces de sécurité ont bouclé de nombreux points stratégiques de la capitale, tôt dans la matinée, et ont utilisé des bombes lacrymogènes pour disperser les sympathisants du MLC. Certains craignaient des violences. Kinshasa a encore le souvenir du 11 avril 2007, journée du départ précipité de Jean-Pierre Bemba, candidat malheureux à la présidentielle. Les combats meurtrier entre sa milice et l’armée du président Joseph Kabila avaient fait au moins 250 morts.
Kinshasa multiplie les obstacles
Acquitté en juin après 10 ans de prison par la Cour pénale internationale (CPI) pour des exactions de sa milice en Centrafrique, le patron du MLC revient à Kinshasa pour déposer sa candidature à la prochaine présidentielle de décembre. Avec un engouement mitigé des Kinois pour l’accueillir, difficile de dire si la popularité de l’ancien vice-président congolais est encore intacte. Lors de la présidentielle de 2006, le candidat Bemba avait réalisé près de 70% des suffrages dans la capitale, même si au final, c’est le président Kabila qui a remporté le scrutin.
Le pouvoir reste très méfiant sur le retour de Jean-Pierre Bemba dans l’arène politique congolaise. Kinshasa a multiplié les obstacles. Son escapade sur la tombe de son père à Gemena a été reportée à la fin de la semaine après des « tracasseries » de la compagnie nationale et des autorités aériennes congolaises ; son convoi a été obligé par la police à rouler à vive allure afin d’éviter à la foule de se masser sur la route de l’aéroport et enfin, Kinshasa semblait peut goûter que le sénateur Bemba réside dans la commune de la Gombe, à proximité du siège du parti présidentiel (PPRD) et à un jet de pierre de la résidence de Joseph Kabila.
Un candidat sérieux pour battre la majorité
Mais le feuilleton Bemba ne va pas s’arrêter avec son retour au pays. Cette semaine, le patron du MLC devrait déposer sa candidature à la présidentielle. Une candidature qui pourrait être retoquée par la Cour constitutionnelle, dont plusieurs juges ont été récemment remplacés par le président Kabila. Bemba pourrait être frappé d’inéligibilité après l’affaire de « subornation de témoins » sur laquelle la CPI n’a pas encore statué. En cas de condamnation, la loi électorale congolaise est censée invalider les candidats condamnés pour des faits de corruption. Reste à savoir si la subornation de témoins est assimilée à de la corruption… un débat qui divise actuellement les juristes congolais.
Car le retour inattendu de Jean-Pierre Bemba et sa possible participation à la présidentielle bouleverse entièrement l’échiquier politique congolais et modifie les rapports de force au sein d’une opposition fragilisée et divisée. En étant le premier opposant « de poids » à poser sa candidature, Bemba prend une longueur d’avance sur Katumbi, dont le retour est incertain, mais également sur Félix Tshisekedi, Martin Fayulu ou Vital Kamerhe. Bemba apparaît de nouveau comme un candidat sérieux pour battre le candidat de la majorité… et peut-être le seul. L’ancien chef rebelle est perçu comme un leader fort, expérimenté et charismatique… ce qui n’est pas le cas de Félix Tshisekedi ou Moïse Katumbi.
Chassez le naturel…
Pourtant, la candidature de Jean-Pierre Bemba peut aussi inquiéter. Son passé d’ex-milicien et de businessman peu orthodoxe peuvent interroger sur sa pratique du pouvoir. Plusieurs rapports de l’ONU ont dénoncé les exactions de sa soldatesque et le pillage de ressources naturelles pendant la guerre congolaise. A Kinshasa, pendant la grande époque de la transition, Bemba était surnommé « le petit Mobutu ». Son père, à la tête du patronat congolais, avait été le grand argentier du maréchal dans les années 1990. Une fortune que Jean-Pierre Bemba a ensuite investi dans l’aérien, les télécoms ou les médias. Après 10 années de prison passées à la Cour pénale internationale, l’opposant congolais affirme cependant avoir changé. Mais est-ce vraiment le cas ?
Sur l’époque Mobutu, Jean-Pierre Bemba trouve encore certaines qualités au bilan de l’ancien dictateur kleptocrate dans une interview à TV5 Monde le 28 juillet : « Incontestablement l’unité du pays, et surtout je pense qu’il y avait beaucoup moins de tribalisme qu’à l’heure actuelle ». Sur son époque de chef de guerre, le sénateur Bemba affirme avoir tourné la page. Le Mouvement pour la libération du Congo (MLC) s’est mué en parti politique et a abandonné les armes en 2003. Mais dans une interview au journal Le Monde du 25 juillet, Bemba vante ses compétences militaires pour diriger le pays : « Je suis le seul à avoir monté de toutes pièces une milice composée de plus de cinquante mille hommes, que j’ai gérée durant cinq ans. Donc je sais comment faire ». Chassez le naturel, il revient au galop.
Retour gagnant ?
Pendant ses 10 ans de détention, Jean-Pierre Bemba n’a pas raccroché les gants de la politique. Depuis sa cellule de Scheveningen, le patron du MLC n’a pas cessé de donner des ordres à ses troupes sur la stratégie que devait adopter le parti. Il a été consulté pendant les élections de 2011 et au cours des nombreux dialogues politiques qu’a connu le pays. Chassé de Kinshasa par les armes en 2007 et convaincu d’avoir gagné la présidentielle de 2006, le sénateur Bemba rumine son retour depuis de nombreuses années. C’est d’ailleurs « ce qui l’a fait tenir » pendant ses longues années de détention, selon ses proches.
Le désir de revanche politique est donc bien là. Et avec une opposition morcelée et la candidature très hypothétique de Moïse Katumbi, Bemba peut se rêver devenir le candidat unique de l’opposition. En cas de non candidature de Katumbi, le patron du MLC pourrait compter sur le soutien de Vital Kamerhe et un ralliement (de circonstance) de Félix Tshisekedi (pour le moment allié à Katumbi). Un scénario fiction qui pourrait transformer le come-back de Bemba en retour gagnant. Mais ceci reste de la fiction et la vie politique congolaise réserve encore de nombreuses interrogations sur la tenue du scrutin dans les délais.
Christophe RIGAUD – Afrikarabia
La premiere analyse concrette sur ce site. la raison a vaincu le narcisme regulier de vos commentaires sur le Congo
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