L’ultime round de négociations entre majorité et opposition doit se tenir cette semaine afin de trouver une issue à la crise politique en RDC. Une dernière médiation qui pourrait tourner court ou bien entrouvrir la porte à une surprise.
Kinshasa retient son souffle avant le 19 décembre, dernier jour du dernier mandat du président congolais Joseph Kabila. Chacun redoute une explosion de violence des opposants au chef de l’Etat qu’ils accusent d’avoir volontairement retardé le processus électoral pour se maintenir au pouvoir au-delà du délai légal. Fin octobre, le camp présidentiel a pourtant réussi à signer avec une frange minoritaire de l’opposition un accord politique reportant les élections en avril 2018, prolongeant d’autant le mandat de Joseph Kabila. Une situation explosive qui met régulièrement les Congolais dans la rue. En septembre dernier, la contestation a été réprimée dans la violence, faisant une cinquantaine de morts. Depuis, les manifestations sont interdites et les arrestations d’opposants et de jeunes de mouvements citoyens se multiplient.
Une médiation de la dernière chance est actuellement menée par l’influente église catholique congolaise (Cenco) qui a réussi à mettre autour de la table la majorité présidentielle et le Rassemblement de l’opposition d’Etienne Tshisekedi et Moïse Katumbi qui avait boycotté le dialogue national et rejeté l’accord politique d’octobre. Un tour de force réalisé avec le soutien (pour ne pas dire plus) de la communauté internationale, qui craint l’embrasement en République démocratique du Congo au lendemain du 19 décembre. Débuté jeudi 8 décembre, ce deuxième round de négociations a été suspendu le lendemain pour reprendre mardi 13, soit six petits jours avant la fin du mandat de Joseph Kabila. Ce qui fait dire à bon nombre de Congolais que le pouvoir cherche une nouvelle fois à gagner du temps avant la date fatidique.
Décrispation politique contre maintien de Joseph Kabila
Mais en attendant la reprise des négociations sous l’égide de la Cenco, les tractations vont bon train entre le Rassemblement et la majorité présidentielle. Trois commissions ont été mises en place pour tenter de résoudre la crise politique : une sera chargée de la gouvernance après le 19 décembre (en clair, quid de Joseph Kabila ?), une autre traitera du calendrier électoral avec l’idée d’avancer la date de la présidentielle avant la mi-2018 et la troisième commission se penchera sur la « décrispation politique », avec notamment l’épineux dossier des prisonniers politiques et la levée des poursuites judiciaires contre Moïse Katumbi, toujours bloqué en Europe.
Car depuis la tenue du dialogue national, la mise en oeuvre de l’accord politique d’octobre traîne toujours en longueur. Certes, un nouveau Premier ministre issu de l’opposition, Samy Badibanga, a été nommé le 17 novembre, mais depuis… toujours pas de gouvernement. Idem pour le comité de suivi chargé de contrôler l’application de l’accord… il n’a toujours pas été mis en place. En fait, avec l’organisation de ce nouveau dialogue de la Cenco, on se demande si l’accord du 18 octobre n’a pas déjà mort-né. Car, en participant (enfin) à une médiation directe avec la majorité présidentielle, le Rassemblement fragilise un accord politique qualifié de non-inclusif et donc peu représentatif. Après un premier jour de dialogue, les lignes semblent déjà avoir bougé entre le Rassemblement et le pouvoir. Le départ de Joseph Kabila au soir du 19 décembre, brandit comme LA revendication principale du Rassemblement a déjà du plomb dans l’aile. L’opposition pourrait en effet concéder le maintient au pouvoir de Joseph Kabila pendant la période transitoire… mais plus courte. Son préalable : que les élections soient organisées avant la fin 2017 et non fin avril 2018.
Katumbi au coeur de la décrispation
En échange de cette concession majeure, le Rassemblement espère pouvoir négocier une de ses principales revendications : la libération des prisonniers politiques et l’arrêt des poursuites judiciaires contre l’opposant Moïse Katumbi. Sur ce dernier point, sans doute le plus sensible, le Rassemblement semble s’être mis au clair. Si la priorité du cas de Moïse Katumbi ne fait pas l’unanimité au sein de la galaxie hétéroclite du Rassemblement, une mise au point a été faite par Félix Tshisekedi vendredi 9 décembre exigeant « la fin des poursuites contre Moïse Katumbi », condamné en juin dernier à trois ans de prison dans une mystérieuse affaire de spoliation immobilière à Lubumbashi. Mais on sait que sur ce sujet, le camp présidentiel et le président Kabila ne semblent pas pressés de voir revenir l’ancien gouverneur du Katanga de son exil européen, trop contents de s’être ainsi débarrassés d’un concurrent sérieux pour la présidentielle à venir.
Dans l’entourage de Moïse Katumbi, on affirme que la question de la décrispation politique est centrale au sein du Rassemblement. « Il n’y aura pas d’accord sans la libération des prisonniers politiques et sans la levée des poursuites contre Moïse Katumbi » prévient-on. Un compromis entre le pouvoir et l’opposition pourrait donc être trouvé : libération d’opposants et « décrispation » autour de Katumbi contre le maintient au pouvoir de Joseph Kabila jusqu’aux élections de 2017.
La Primature revient sur la table
Mais le camp présidentiel pourrait être tenté de changer la donne en continuant de diviser l’opposition et son travail de sape. Un scénario circule sur la tentation de nommer un membre important du Rassemblement à la Primature (le nom de Félix Tshisekedi est le plus souvent cité). L’objectif serait de concéder ce poste-clé au Rassemblement sans pour autant lever les poursuites contre Moïse Katumbi, que Joseph Kabila ne souhaite pas voir revenir. L’intérêt serait double : le pouvoir ferait un geste politique fort, qui serait perçu comme une large ouverture politique, tout en continuant d’isoler Katumbi à l’étranger. La question est de savoir si ce scénario est en mesure d’être accepté pour le camp Tshisekedi, dont le fils, Félix, a fait mener il y a plusieurs mois des tractations secrètes à Ibiza avec la majorité présidentielle dans ce sens. A Kinshasa, certains ne donnent pas chère de la peau de Samy Badibanga qui pourrait n’avoir été que pendant quelques semaines un Premier ministre sans gouvernement.
Signe avant-coureur de la mise en place de ce scénario ou simple rumeur malveillante : un document du Rassemblement a circulé avant le week-end sur les réseaux sociaux affirmant l’intention de l’opposition radicale de briguer la Primature. Un « vieux document de travail » selon le Rassemblement qui dément catégoriquement vouloir le poste de chef du gouvernement. « Nous n’avions pas besoin d’un dialogue pour avoir la Primature, il aurait suffi d’un petit coup de fil » a déclaré à la presse Valentin Mubake, le délégué de l’UDPS à la médiation de la Cenco. « Cela étant dit, prévient Mubake en fin connaisseur de la politique congolaise, la vigilance est de mise car la Nation est plus importante de les individus. »
Un discours de Tshisekedi avant le 19 décembre
La semaine s’annonce donc décisive à Kinshasa. Dimanche, le Rassemblement a souhaité faire une ultime mise au point sur la suite du second dialogue qui doit reprendre mardi 13 décembre. La plateforme a tout d’abord exigé la retransmission en direct des débats du dialogue à la télévision afin de clarifier les positions de chacun en toute transparence. Ensuite, le dialogue ne devant pas excéder trois jours selon la Cenco, sa clôture devra impérativement se tenir jeudi 15 décembre, exige le Rassemblement, date à laquelle Etienne Tshisekedi devra prononcer « un discours à la Nation à quelques jours du 19 décembre. »
Avec cette dernière déclaration, le Rassemblement espère bien couper l’herbe sous le pieds à toutes les spéculations sur sa possible intention de co-gérer la transition avec Joseph Kabila. Selon nos dernières informations en provenance de Kinshasa, la ligne dure, ne devant pas conduire à la signature d’un accord, tient la corde. Une intransigeance que semble également valider l’annonce d’un discours d’Etienne Tshisekedi à la Nation à la fin du dialogue. Mais attention, mardi, les discussions vont reprendre et si les négociations ne sont pas retransmises en direct, comme le demande le Rassemblement, on peut encore s’attendre à des surprises… et des rebondissements.
Christophe RIGAUD – Afrikarabia