Le Conseil des droits de l’Homme de l’ONU a finalement adopté l’envoi d’un groupe d’experts internationaux dans les Kasaï. Mais il n’y aura pas de commission indépendante comme le réclamaient l’Union européenne et les ONG internationales. Une résolution « qui risque de ne pas suffire à empêcher les massacres » selon la FIDH.
C’est un consensus a minima qui s’est dégagé à l’ONU dans le dossier des Kasaï. Le Haut-Commissaire aux droits de l’homme réclamait l’envoi d’une commission internationale pour enquêter sur les violences qui secouent depuis dix mois le centre de la République démocratique du Congo (RDC). En fait, c’est un simple groupe d’experts qui sera envoyé et Kinshasa gardera la main sur l’enquête. L’ONU accusait les miliciens Kamuina Nsapu d’exactions et d’enrôlement d’enfants mineurs dans ses rangs, mais pointait également la responsabilité des autorités congolaises dans une utilisation « disproportionnée » de la force. Selon les propres décomptes de l’Eglise catholique, plus de 3.000 personnes ont été tuées et les Nations unies on dénombré 42 fosses communes. Les trois provinces des Kasaï sont enfin victimes d’une importante crise humanitaire avec 1,3 million de déplacés.
La justice congolaise décidera…
Sur le sellette, le gouvernement congolais ne voulait pas entendre parler de l’ouverture d’une commission d’enquête et refusait d’accueillir des enquêteurs de l’ONU. Une position soutenue par de nombreux pays africains qui plaidaient pour une enquête exclusivement congolaise. L’Union européenne a retiré son projet de commission d’enquête avant le vote et c’est finalement une voie médiane qui s’est dégagée lors du vote de vendredi dernier. Car si la commission d’enquête indépendante est belle et bien abandonnée, les 47 membres du Conseil des droits de l’homme de Genève ont tout de même décidé l’envoi d’un groupe d’experts internationaux et a demandé à Kinshasa de collaborer avec l’équipe. Comme le souhaitait Kinshasa, c’est bien la justice congolaise qui décidera des suites à donner à l’enquête. Un premier rapport sera présenté en septembre et un second en juin 2018.
Human Rights Watch demande à la CPI d’enquêter
Le consensus de Genève a reçu un accueil mitigé des ONG internationales. Certes, si elles se félicitent de l’envoi d’experts sur place, le fait que Kinshasa garde la maîtrise de l’enquête ne rassure personne. Pour Human Rights Watch (HRW), « les autorités congolaises, doivent maintenant accorder à cette équipe un accès sans entrave, ainsi que tout l’appui dont elle aura besoin pour produire de manière indépendante un rapport d’enquête solide et crédible », ce qui n’a pas été le cas jusqu’à présent. L’ONU avait en effet régulièrement fustigé le manque de coopération de Kinshasa, notamment dans l’enquête sur l’assassinat de deux de ses membres en mars dernier. « Cette résolution risque de ne pas suffire à empêcher les massacres. Seule une enquête vraiment indépendante permettra d’enrayer le cycle de violences dans les Kasaï, en identifiant ses auteurs et responsables, estime Paul Nsapu, Secrétaire Général Adjoint à la FIDH ». Avant de préciser que « la bonne foi du président Kabila sera toutefois mesurée à l’aune de sa coopération avec la mission d’experts envoyée ». Human Rights Watch va même plus loin en demandant que la procureure générale de la Cour pénale internationale (CPI) « envisage d’enquêter sur les crimes commis, et s’il y a suffisamment de preuves, prenne des mesures pour traduire les principaux responsables en justice ». En attendant, Kinshasa fait le dos rond, et savoure sa « petite victoire diplomatique » à Genève : avoir empêché l’ouverture d’une commission d’enquête embarrassante.
Christophe RIGAUD – Afrikarabia