Le retour politique de Joseph Kabila après 17 ans d’un pouvoir chaotique et sans partage interroge, alors que les rebelles du M23 et leur soutien rwandais ont pris le contrôle de vastes territoires du Nord et du Sud-Kivu.

On le disait taiseux. On le qualifiait de « roi du silence ». Aujourd’hui, l’ancien président congolais, Joseph Kabila, parle beaucoup. Peut-être même un peu trop, quitte à brouiller les pistes des messages qu’il souhaite distiller. Revoilà donc Joseph Kabila après 6 ans de mutisme, dans un moment charnière de l’histoire du Congo. La RDC traverse, en effet, une crise sécuritaire inédite, alors que les rebelles du M23, appuyés par le Rwanda, se sont emparés des deux plus importantes villes des Kivu, Goma et Bukavu. Une prise de parole qui intervient dans un contexte d’extrême affaiblissement du président Félix Tshisekedi. Un timing bien choisi qui n’est sûrement pas le fruit du hasard. La sortie médiatique de Joseph Kabila s’est déroulée en deux temps. L’ancien président s’est d’abord fendu d’une tribune dans le journal sud-africain The Sunday Times. La charge est violente sur la situation de la République démocratique du Congo (RDC) : « L’implosion est imminente. Si le problème congolais n’est pas traité en profondeur, la crise persistera bien au-delà du conflit avec le Rwanda. »
Kabila et le M23
Les critiques sont toutes dirigées vers la Félix Tshisekedi, qualifié de « maître absolu », pratiquant « l’intimidation, les arrestations arbitraires, les exécutions sommaires et extrajudiciaires, ainsi que l’exil forcé d’hommes politiques, de journalistes et de leaders d’opinion, y compris des chefs religieux ». Le Raïs tape fort sur son successeur, l’accusant également « d’innombrables violations de la Constitution et des droits de l’homme, ainsi que de massacres répétés de la population par la police et les forces militaires ». Et de conclure que les affres du régime Tshisekedi « ne cesseront pas après l’aboutissement des négociations entre la RDC et le Rwanda, ou la défaite militaire du M23 ». Des paroles qui résonnent fortement avec celles du coordonnateur des rebelles de l’AFC/M23, Corneille Nangaa, qui affirme vouloir renverser le président Tshisekedi, qu’il juge « illégitime ». Des déclarations perçues par Kinshasa comme une justification de ses affinités avec le M23 et son ancien protégé, Corneille Nangaa, l’ex-président de la Commission électorale (CENI). Pour Félix Tshisekedi, « Kabila est derrière le M23 ».
Séance de rattrapage à la télévision
Joseph Kabila a-t-il tapé trop fort avec sa tribune sud-africaine ? On peut se poser la question en écoutant l’entretien qu’il a ensuite accordé à la télévision namibienne. On y voit l’ancien président dans un exercice qui ressemble à une séance de rattrapage. Dans une longue explication alambiquée, le Raïs revient sur le début de sa présidence en 2001 « où toutes les troupes étrangères devaient quitter le Congo pour que la paix puisse être atteinte. C’est ainsi que la plupart de ces troupes sont parties. Est-ce que la même approche pourrait fonctionner aujourd’hui ? Nous devons approfondir cette question » s’interroge innocemment Kabila, sans faire mention de la présence des troupes rwandaises sur le sol congolais. Les Congolais qui attendaient une condamnation du M23 et de son parrain en seront pour leurs frais.
Pré-positionnement politique
L’entretien avec la chaîne namibienne donne ensuite de très maigres pistes sur le possible rôle de Joseph Kabila à l’avenir. « Aucun médiateur ne pourra jamais dire qu’il connaît le Congo mieux que les Congolais eux-mêmes. Notre intention est d’être très disponible pour servir notre pays » explique l’ancien chef de l’Etat qui pourrait donc se poser en facilitateur dans la crise sécuritaire de l’Est congolais. Ses partisans affirment qu’il a toujours entretenu des relations avec les voisins turbulents de la RDC, alors que Tshisekedi et Kagame ne se parlent que par invectives interposées. Mais pour les plus lucides, les relations entre Joseph Kabila, le Rwanda et l’Ouganda ont toujours été des plus ambiguës. Mais ce pré-positionnement en « médiateur disponible » n’est visiblement que le premier étage d’une fusée qui pourrait le ramener à la présidence. Un rôle pacifique pour revenir sur la scène politique, en attendant, peut-être, que le vent tourne à Kinshasa.
Remise en selle
Le sénateur à vie semble ne pas avoir digéré d’avoir placé dans son fauteuil Félix Tshisekedi. Ce retour médiatique sonne comme un désir de revanche. Premier signe : l’ancien président s’est attaché à réanimer son propre parti, le PPRD, en déshérence, depuis 2019. De nombreux caciques lui ont tourné le dos pour rejoindre le camp Tshisekedi, et le boycott des élections de 2023, imposé par Kabila, avait fini par démobiliser ses plus proches. Un trio composé d’Aubin Minaku, de Ramazani Shadary et de Tshikez Diemu a été chargé de relancer la machine politique, avec les conseillers les plus fidèles comme Néhémie Mwilanya, Richard Muyej ou Bernabé Kikaya Bin Karubi. Une initiative qui a provoqué la convocation par les autorités congolaises d’Emmanuel Ramazani Shadary, puis du secrétaire général de la CENCO, Monseigneur Donatien N’Shole. Un indice que plus pour le PPRD que Félix Tshisekedi veut mettre la pression sur Joseph Kabila et sur l’Église catholique, qui prône un dialogue national, y compris avec les rebelles du M23.
Un ancien président blanc comme neige ?
La communication erratique de Joseph Kabila sur la crise sécuritaire et politique en RDC, si elle ne dévoile rien de ses réelles ambitions, démontre tout de même la volonté de l’ancien président de revenir au premier plan, à un moment critique où la présidence Tshisekedi est clairement menacée par le M23. Mais ce qui interroge surtout dans les sorties médiatiques de Joseph Kabila, c’est qu’il donne l’impression de ne pas avoir été au pouvoir pendant 17 ans, et fait comme si sa présidence avait été « normale ». Comme s’il n’avait pas prolongé son dernier mandat de deux ans pour tenter de s’accrocher à son fauteuil. Comme si la crise pré-électorale de 2015-2018 n’avait pas été réprimée dans le sang. Comme si Floribert Chebeya n’avait pas été assassiné. Comme si les élections de 2011 et 2018 n’avaient pas été dénuées de toute crédibilité et de toute transparence. Comme si le Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l’Homme, Zeid Ra’ad Al Hussein n’avait pas dénoncé, en 2016, « le harcèlement croissant des représentants de la société civile et des journalistes, de la répression des voix qui s’opposent au gouvernement et des dispersions excessives et parfois mortelles de manifestations ». Comme si les enquêtes des ONG internationales n’avaient pas documenté les milliards de dollars évaporés par la corruption. Des accusations que Joseph Kabila formule aujourd’hui… à l’encontre de Félix Tshisekedi et de son régime. Un sacré culot. Mais peut-être que l’ancien président pense que les Congolais ont la mémoire courte.
Christophe Rigaud – Afrikarabia
Bonjour
Votre analyse est très intéressant mais sa fin est tragique. Je vous demande de voir le cas Obasandjo.
N’avait il pas été putschiste et dictateur?
N’a-t-il pas laissé le pouvoir ?
Et qu’est-il devenu aujourd’hui?
Un homme peut changer et de entre meilleur. Je vous prie d’accorder un autre regard sur les propos de Kabila. Si d’autres se taisent, lui au moins à dit ce qui est vrai.
Merci