Le chercheur Fabien Lebrun dénonce l’arrière-boutique bien peu reluisante de l’extraction des minerais nécessaires à la fabrication des smartphones et des ordinateurs. Pillage généralisé, économie militarisée, travail forcé, biodiversité martyrisée… La République démocratique du Congo (RDC) paie le prix fort de notre quotidien ultra-connecté.

Afrikarabia : Dans votre ouvrage « Barbarie numérique, une autre histoire du monde connecté* », vous expliquez que le pillage des ressources naturelles du Congo n’a pas commencé avec l’exploitation des minerais et l’explosion de l’économie numérique ?
Fabien Lebrun : Dans mon livre, je parle du Congo comme un territoire de prélèvement. Quand on remonte à la naissance de la mondialisation et du capitalisme, on convoque la traite négrière et le commerce triangulaire qui va connecter l’Afrique à l’Europe et à l’Amérique. Ce commerce triangulaire a permis l’enrichissement des Etats, et les premiers profits. Je viens de Nantes, et ma ville s’est aussi enrichie sur du sang noir. Ces premières richesses viennent notamment de l’économie de plantation en Amérique, thé, café, sucre, tabac… réalisée grâce au travail forcé des esclaves venus du continent africain. Une grande partie de ces populations déportées vient d’Afrique centrale que l’on nommait royaume Kongo à l’époque. On parle de 13 millions de personnes déportées sur trois siècles. Ce commerce triangulaire va constituer le ciment du décollage du capitalisme entre le 16e et le 19e siècle.
Afrikarabia : Après le « prélèvement » des êtres humains, c’est au tour des ressources naturelles avec la révolution industrielle ?
Fabien Lebrun : Oui, et notamment le caoutchouc, qui est très présent dans les forêts du Congo. Pourquoi le caoutchouc ? A cause de l’industrie du pneu naissante, avec l’apparition de la voiture et du vélo. S’en suit, entre 1885 et 1910, et même après, un régime de terreur orchestré par le Roi des Belges, Léopold II. Il s’approprie le Congo dont il fait sa propriété personnelle. Un des épisodes le plus connus et le plus tragique, ce sont les fameuses « mains coupées ». Si les populations locales n’avaient pas un rendement assez suffisant, on leur coupait les mains. On voit qu’à travers cette notion de prélèvement, le Congo est central, avec l’exploitation de ces populations, de son sol et de ses ressources.
Afrikarabia : La République démocratique du Congo (RDC) est l’un des plus gros producteurs de cuivre, de cobalt et de coltan au monde. La région des Kivu représente les 3/4 des réserves mondiales d’étain, de nobium et de coltan. Dans votre livre, vous dénoncez l’extractivisme. Quelle est cette notion ?
Fabien Lebrun : C’est un concept qui est apparu au début des années 2000, parce qu’il faut bien comprendre que la révolution numérique est une révolution minière. Le lien n’est pas souvent fait. L’industrie numérique est avant tout une industrie minière. Je rappelle qu’il faut plus de 60 métaux dans un smartphone. L’extractivisme est une extraction intensive, forcenée, productiviste d’une ressource. L’extractivisme, c’est aussi considérer que la terre, qui est constituée de ressources, doit forcément produire des marchandises.
Afrikarabia : L’extractivisme est également lié au capitalisme ?
Fabien Lebrun : Oui, et c’est pour cela que je trouve que l’histoire du Congo permet de redéfinir ce qu’est réellement que le capitalisme. Pour produire des marchandises, il faut des matières premières, et aujourd’hui, il faut des minerais et des métaux.
Afrikarabia : On présente souvent le numérique comme un progrès, comme une solution, mais on ne voit pas toutes les conséquences sociales, écologiques, géopolitiques, en amont de la chaîne de production ?
Fabien Lebrun : C’est l’une des motivations premières de ce livre. La mine est sortie de notre imaginaire populaire, ici en Europe ou dans les pays riches. Tout simplement parce qu’on a externalisé ces activités vers les pays du Sud. On sait pourtant qu’une mine, de façon intrinsèque, est polluante. Elle génère des problèmes d’accaparement de territoires, de pollution de l’eau et de terres, souvent fertiles et nourricières. Tout cela peut évidemment susciter des conflits, puisque toute une géopolitique va se développer autour de ces ressources minières. Malheureusement, le Congo cristallise tous ces problèmes.
Afrikarabia : Vous évoquez l’épisode de la chute de Mobutu, renversé par Laurent-Désiré Kabila, en 1997. Vous dites que Kabila ne serait pas arrivé au pouvoir sans l’appui du secteur minier. Il y a un lien entre le conflit à l’Est du Congo, qui se poursuit depuis presque 30 ans, et les minerais ?
Fabien Lebrun : Je m’appuie sur différents travaux, comme ceux d’Alain Deneault, le philosophe québécois, qui a écrit « Noir Canada ». Laurent-Désiré Kabila, qui se retrouve à la tête de l’AFDL, composée de l’armée de trois pays voisins, a besoin d’argent pour financer sa guerre. L’AFDL a bénéficié du secteur extractif mondial et des multinationales minières, notamment canadiennes, qui sont une plaque tournante du secteur minier. Quand on regarde sur une carte le parcours de l’offensive de l’AFDL, on voit qu’il est fait de zigzags vers les sites miniers, où des contrats léonins ont été signés entre la rébellion et les entreprises extractives.
Afrikarabia : L’exploitation des minerais sert donc de carburant aux conflits ?
Fabien Lebrun : Absolument. Lors de la seconde guerre du Congo, l’Ouganda, le Rwanda et le Burundi se sont installés dans l’Est du pays, qui est, plus ou moins, le Congo minier. L’exploitation et la commercialisation de ces ressources minières génèrent énormément de profits, notamment parce que ces métaux correspondent à la révolution numérique du moment et à l’informatisation du monde. Nous sommes alors en 1998.
Afrikarabia : Vous revenez également sur ce que vous appelez « l’impossible traçabilité des minerais ». Plusieurs initiatives internationales ont tenté de contrôler et d’empêcher le commerce de ressources minières issues de zones de conflit. En vain ?
Fabien Lebrun : La traçabilité des minerais est impossible, ou non-voulue, je ne sais pas comment il faut le dire. En-tout-cas, elle n’existe pas. Il y a plusieurs raisons à cela. D’abord, la multiplicité d’acteurs et d’intermédiaires entre les mineurs, les creuseurs, ceux qui transportent les produits miniers, les négociants… Il y a aussi ceux qui encadrent ces extractions, notamment les groupes armés. Suivre le parcours complet du minerai est actuellement quasi-impossible. Il y a eu des dispositifs pour assurer cette traçabilité (loi Dodd Franck, programme iTSCi – ndlr), mais on découvre des conflits d’intérêts ou des problèmes de corruption. L’ONG Global Witness a démontré dans un rapport que 90% des produits miniers de l’est congolais sont estampillés « Rwanda » avant de poursuivre leur route. La traçabilité est également délicate à mettre en place à cause de cette économie militarisée qui s’est institutionnalisée depuis 25 ans.
Afrikarabia : La République démocratique du Congo (RDC) a décidé de porter plainte contre Apple pour l’utilisation de minerais tels que l’étain, le tantale, le tungstène ou même l’or, « exploités illégalement », ce que conteste la firme américaine. Que pensez-vous de cette démarche ?
Fabien Lebrun : C’est intéressant, même s’il s’agit aussi d’une stratégie du pouvoir congolais. Cela révèle surtout des faits avérés. Depuis 20 ans, on pointe l’industrie numérique, les big tech, les Gafam, qui se servent en minerais au Congo. Un groupe d’avocats américains avaient déjà pointé, en 2019, Tesla, Google, Microsoft et Apple, pour complicité de morts d’enfants dans des mines de cobalt congolaises. La RDC accuse aussi le Rwanda de piller ses ressources par l’intermédiaire de M23, un groupe armé qu’il soutient. Il y a peut-être d’autres intentions de Kinshasa, mais c’est intéressant pour médiatiser cette problématique et ce conflit. Ces grandes entreprises ont horreur d’entacher leur image de marque. Avec cette démarche, on cible les bons adversaires.
Afrikarabia : Pourquoi les consommateurs que nous sommes sont peu sensibilisés à cette « barbarie numérique » que vous dénoncez ?
Fabien Lebrun : Déjà parce que, le Congo, c’est loin. Ce conflit est peu médiatisé. La critique sur le numérique est encore récente, et toute cette production électronique a été invisibilisée par l’industrie elle-même, mais aussi par l’ensemble de la société. Le numérique est présenté comme « virtuel », on parle de « cyber-espace », de « cloud »… Tout cela est très éthéré, très épuré et abstrait. On a donc du mal à se représenter la matérialité de ces produits et encore moins d’où ils viennent. Enfin, il y a cette difficulté à associer cet objet qui présente autant de services, qui est presque déifié, avec des violations des droits humains et des dégâts écologiques majeurs.
Propos recueillis par Christophe Rigaud – Afrikarabia
*Barbarie numérique, une autre histoire du monde connecté
de Fabien Lebrun
Editions L’échappée
Si j’ai bien compris le pillage des ressources minières de la RDC remonte de si loin dans le temps!
Si j’ai bien compris c’est l’industrie de High Tech qui est la plus grande bénéficiaire de ce pillage.
Si j’ai bien compris la RDC dans son immensité est incapable de controler ses ressources et de les défendre.
Si j’ai bien compris, on se sert du Rwanda comme bouc émissaire et que sa faute serait que ces minérais transitent sur leur territoire pour continuer leur route vers l’occident et ailleurs.
Donc ces minérais allaient directement en Belgique ou en France, le problème ne se poserait pas!
Question: Pourquoi continuez-vous à prendre des Africains, notamment les Rwanda comme des imbéciles?
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