Les autorités de Kinshasa accusent les journalistes de minimiser les avancées de l’armée régulière sur les rebelles du M23. Les accréditations des journalistes d’Al Jazeera ont été retirées et le ministre de la Justice menace les journalistes qui « relayent les activités du M23 » de la peine de mort.

La tension monte entre Kinshasa et les médias. L’accélération des affrontements à l’Est du pays entre l’armée et les rebelles du M23, a fortement crispé les autorités congolaises, avec pour cible principale : les journalistes. Alors que les FARDC tentent une nouvelle vague de contre-offensives contre la rébellion pour regagner les territoires perdus depuis maintenant 3 ans, une certaine fébrilité gagne le pouvoir à Kinshasa. Le premier à dégainer a été le président du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel et de la Communication (CSAC), l’instance de régulation des médias. Le 7 janvier, Christian Bosembe a interpellé les médias internationaux comme RFI, France24 ou TV5MONDE pour avoir « relayé les prétendues avancées des terroristes tout en occultant les exploits des FARDC », et fustigeant « fermement toute apologie du terrorisme ». Le président du CSAC précise qu’il « n’hésitera pas à soumettre à la plénière la question de leur suspension sur le territoire congolais si ces dérives persistent ». La menace est claire. On se souvient qu’en 2016, le président Joseph Kabila avait fait couper le signal de RFI en pleine crise pré-électorale.
Peine capitale
La seconde salve, plus violente, est lancée par le ministre de la Justice, le 9 janvier. Dans un court message sur X (ex-Twitter), Constant Mutamba a expliqué désormais, que « tout acteur politique, de la société civile, journaliste, religieux, qui relayera les activités de l’armée rwandaise et ses supplétifs du M23, subira désormais la rigueur de la loi (PEINE DE MORT) ». Une déclaration coup de poing qui est développée deux jours plus tard par le ministre de la Communication, Patrick Muyaya, pendant le traditionnel briefing presse. Le ministre fait savoir aux journalistes, que « la peine de mort contre ceux qui vont relayer les informations des terroristes est une interpellation qui ne concerne pas que les professionnels des médias, mais à la fois les militaires et d’autres personnes qui peuvent être utilisées comme canaux pour relayer des messages de l’ennemi ».
L’interview de Bertrand Bisimwa ne passe pas
La première sanction contre un média international est tombée le jour même. Patrick Muyaya a annoncé que l’accréditation des journalistes de la chaîne Al Jazeera a été retirée. En cause, une interview diffusée début janvier du président du M23, Bertrand Bisimwa, considéré par Kinshasa comme un terroriste. Le second grief du ministre touche à la personne qui a mené l’entretien. Il ne s’agit pas d’une journaliste accréditée de la chaîne, mais d’une chercheuse, Bojana Coulibaly, qualifiée de « militante notoirement connue comme pro-rwandaise ». Patrick Muyaya s’est ensuite adressé aux journalistes présents dans la salle, qui doivent être « Congolais et patriotes » avant tout, afin de participer au « front médiatique », et d’apporter leur « contribution aux efforts diplomatiques et militaires ».
L’effet médiatique grossissant des victoires du M23
Le tour de vis de Kinshasa envers les journalistes s’explique pour différentes raisons. En 3 ans, les rebelles n’ont jamais contrôlé un territoire aussi vaste dans le Nord-Kivu. Le M23 n’a cessé de progresser, sans rencontrer de résistance de l’armée congolaise. De leur côté, les FARDC n’ont jamais pu reprendre ces territoires. Ce sont des faits, et les médias n’y peuvent rien. Mais l’effet médiatique grossissant durant ces longs mois de victoires rebelles, amplifié par les réseaux sociaux donnent l’impression que les journalistes relaient uniquement les avancées du M23. A noter que ce ne sont pas de « prétendues » avancées comme le sous-entendant Christian Bosembe, mais bien de réelles prises de contrôle de localités par la rébellion, jamais démenties par les autorités.
« Apologie du terrorisme » ?
Au moment où le patron du CSAC publie son communiqué, il se trouve que les FARDC sont en pleine contre-offensive. Le hic, c’est que les « exploits » de l’armée congolaise ne sont pas communiqués par son porte-parole. Les FARDC seraient donc une des rares armées au monde à ne pas communiquer sur ses victoires. Dans une guerre, il est souvent logique que la force qui a l’avantage militaire sur le terrain (pour l’instant le M23) communique davantage que son adversaire, à la peine. Ce sont, certes, de mauvaises nouvelles pour Kinshasa, mais les journalistes peuvent difficilement ne pas en tenir compte, et ne pas les relayer sans être taxés de faire « l’apologie du terrorisme », qui est une tout autre accusation.
Pour une communication pro-active de l’armée
Quant aux menaces d’application de la peine de mort pour les journalistes « relayant les activités de l’armée rwandaise et ses supplétifs du M23 », les textes régissant la peine capitale n’y font pas référence, pas plus que la nouvelle loi sur les médias. Le risque est que cette fébrilité gagne la presse congolaise, qui est pourtant l’une des plus pluralistes de la région et des plus libres. Les journalistes, sous pression, pourraient être tentés de s’auto-censurer et de se contenter des communiqués gouvernementaux. Pire, certains médias sont aussi tentés de ne plus parler du conflit à l’Est, ce qui est également catastrophique, puisque le seul moyen de s’informer pour les Congolais sera les réseaux sociaux. Pour améliorer les relations entre la presse et les autorités, deux changements semblent nécessaires : que les FARDC regagnent les territoires conquis par le M23, et que l’armée congolaise opte pour une communication pro-active, plus moderne et en phase avec la prédominance des réseaux sociaux.
Christophe Rigaud – Afrikarabia