Le dernier rapport du groupe d’experts de l’ONU révèle que le général Peter Cirimwami a divulgué les opérations militaires prévues aux responsables des FDLR-FOCA, faisant échouer leur « neutralisation ». L’enquête onusienne pointe également la dépendance de l’armée congolaise aux groupes armés Wazalendo.

Les relations troubles du gouverneur militaire du Nord-Kivu, Peter Cirimwami, avec les groupes armés, ont déjà été largement documentées depuis la reprise des hostilités entre l’armée congolaise et les rebelles du M23, appuyés par le Rwanda voisin. En difficulté sur le terrain militaire depuis fin 2021, l’armée régulière a rapidement cherché à nouer des alliances avec les groupes armés locaux pour combattre le M23. Et ils sont plus d’une centaine à pulluler dans la région. Déjà, en 2022, Human Rights Watch (HRW) dénonçait « le soutien direct de l’armée congolaise aux groupes armés ». Et d’expliquer qu’en mai de la même année, « les chefs de plusieurs groupes armés congolais, certains étant rivaux, se sont rencontrés dans la ville isolée de Pinga et ont conclu un pacte de non-agression, formant ainsi une coalition « patriotique » pour joindre leurs forces à celles de l’armée congolaise contre « l’agresseur », c’est-à-dire le M23 ».
Cirimwami encore et toujours
Fait troublant, le colonel Salomon Tokolonga, en charge des opérations et du renseignement militaire du 3411ème régiment, était présent à cette réunion, ainsi que deux commandants des FDLR, un groupe armé hostile à Kigali et composé d’anciens génocidaires. Contacté par Human Rights Watch, le colonel Tokolonga avait déclaré qu’il avait assisté à la réunion de Pinga « par coïncidence ». Une présence qui n’est pas le fait du hasard. Tokolonga était alors sous les ordres du général Peter Cirimwami, muté à l’époque en Ituri, après avoir été accusé de se servir de groupes armés locaux « comme auxiliaires dans le territoire de Rutshuru » selon une enquête de l’ONU. En 2023, les mêmes experts de l’ONU indiquaient que plusieurs réunions s’étaient tenues à huis clos entre le patron de l’armée congolaise, le général Christian Tshiwewe et les groupes armés hostiles au M23. Des contacts entretenus par le tout nouveau gouverneur du Nord-Kivu… le général Peter Cirimwami.
Une offensive anti-FDLR pour donner des gages à Kigali
Dans le dernier rapport onusien publié en décembre 2024, le gouverneur du Nord-Kivu apparaît toujours comme l’entremetteur et la courroie de transmission entre l’armée régulière et ses supplétifs, regroupés désormais sous le vocable de Wazalendo (« patriote » en swahili), qui agglomère une mosaïque de groupes armés. Responsables de nombreuses exactions contre les populations civiles, ces miliciens se retrouvent le plus souvent en première ligne face aux M23 et participent très largement aux contre-offensives lancées par les Forces armées de République démocratique du Congo (FARDC). L’enquête de l’ONU va plus loin dans les liaisons incestueuses entre le gouverneur militaire du Nord-Kivu, Peter Cirimwami, et un de ces groupes : les FDLR. Les experts racontent qu’en septembre 2024, la RDC cherche à mettre sur pied une courte offensive contre les FDLR pour donner des gages de bonne volonté à Kigali dans le cadre du processus de paix de Luanda. Kinshasa s’était engagée à « neutraliser » les FDLR en échange du retrait des troupes rwandaises du Nord-Kivu. L’accord n’a, pour l’instant, jamais été signé, mais les autorités congolaises souhaitaient montrer « que la République démocratique du Congo tenait compte de la pression exercée par la communauté internationale pour qu’elle mette fin à son soutien aux FDLR ».
Cirimwami fait fuiter l’opération
Les 23 et 24 septembre 2024, les FARDC lancent des opérations militaires dans la région de Sake, à Shove, Kimoka, Lupango et Mubambiro, contre les positions des FDLR-FOCA. L’objectif affiché est clair : « neutraliser » le commandant militaire du groupe, Ntawuguka Pacifique, alias Omega Israel. A Mumbambiro et Shove, certaines unités sont effectivement délogées et plusieurs « petits combattants » des FDLR et de l’APCLS sont arrêtés… mais pas d’Omega Israel dans les filets ni de gros poissons du groupe. Les experts onusiens expliquent que « le gouverneur Cirimwami a révélé les opérations prévues aux commandants des FDLR-FOCA, ce qui explique qu’aucun commandant important n’ait été tué ou arrêté ». Le célèbre Omega et ses lieutenants se seraient réfugiés à Kilimanyoka, dans le territoire de Nyiragongo, « où ils ont renforcé leurs positions », selon le rapport, qui attribue l’échec de l’opération à Peter Cirimwami. Selon l’ONU, « Peter Cirimwami est connu pour avoir des liens de longue date avec les FDLR-FOCA ». En juin 2024, le gouverneur militaire avait eu des contact avec deux commandants FDLR : Fidel Sebagenzi, et le fameux Omega Israel.
Dépendance et schizophrénie sécuritaire
Cet épisode démontre, s’il était encore nécessaire de le faire, la collusion entre les nombreux groupes armés et les hauts cadres de l’armée congolaise. Une collaboration qui permet aux FARDC d’envoyer, à moindres frais, de la chair à canon en première ligne face aux M23 et aux soldats rwandais, et qui permet également aux officiers supérieurs de continuer de profiter de trafics en tous genres très lucratifs. L’ONU pointe une « dépendance » dangereuse de la RDC à l’égard de ses groupes Wazalendo et FDLR pour sa sécurité, et souligne que « malgré les appels répétés lancés au gouvernement congolais pour qu’il mette fin à son soutien aux FDLR, celui-ci a continué de s’appuyer sur les Wazalendo et les FDLR et à coopérer systématiquement avec eux ». Une schizophrénie sécuritaire symbolisée par le trouble jeu du gouverneur militaire du Nord-Kivu, Peter Cirimwami.
Christophe Rigaud – Afrikarabia