L’opposition congolaise continue de se diviser sur la désignation de son porte-parole. Pour Bienvenu Matumo, membre du mouvement citoyen Lucha, l’opposition doit être capable de se trouver une stratégie commune, notamment face au projet de modification de la Constitution du président Félix Tshisekedi, « loin des clivages personnels et des egos »
Afrikarabia : L’opposition congolaise apparaît très divisée après la réélection de Félix Tshisekedi en décembre dernier. La bataille pour la désignation du porte-parole de l’opposition laisse entrevoir deux blocs distincts. Le premier autour de Moïse Katumbi, Matata Ponyo et Adolphe Muzito et le second, plus radical, composé de Martin Fayulu et Delly Sesanga, qui refusent de désigner un porte-parole après des élections contestées. Il y a désormais deux oppositions au Congo ?
Bienvenu Matumo : Il y a d’abord une opposition parlementaire, qui a choisi de siéger dans les institutions après des élections que nous avons tous dénoncées comme chaotiques. Et puis, il y a une opposition extra-parlementaire qui n’a pas d’élu dans les institutions. C’est le cas de Martin Fayulu qui a refusé d’aligner des candidats à l’Assemblée nationale pour des raisons propres à son parti. Pour ma part, je pense qu’il était important de boycotter ces élections, du début à la fin. Il y a aussi le groupe de Delly Sesanga qui a essayé le jeu parlementaire, mais qui a échoué. Dans cette situation, les deux oppositions se doivent de trouver un mécanisme de convergence des luttes pour barrer la route à la stratégie politique de Félix Tshisekedi qui cherche à modifier la Constitution dans les prochains mois. Nous sommes tous témoins qu’il est incapable de régler la question sécuritaire à l’Est avec l’agression du M23, du Rwanda et de l’Ouganda. Nous constatons tous que la corruption continue de miner les institutions du pays. Les conditions de vie des Congolais se dégradent avec la flambée des prix. Il y a de nombreux défis sociaux autour desquels l’opposition devrait pouvoir proposer un projet fédérateur. Ce projet devrait guider les actions des oppositions parlementaire et extra-parlementaire. Pour moi, il ne devrait pas y avoir de polémiques entre ces deux oppositions. D’autant que Félix Tshisekedi ne se prive pas de nourrir les divergences entre les opposants.
Afrikarabia : Quelle stratégie devrait adopter l’opposition ?
Bienvenu Matumo : Pour celle présente dans les institutions, elle se doit de porter la parole de l’opposition pour que cette majorité écrasante et fabriquée ne puisse pas imposer toutes les règles du jeu parlementaire. Elle se doit également d’accéder à toutes les informations institutionnelles pour en informer l’ensemble de l’opposition et organiser un véritable front uni. Pour les opposants qui se trouvent en dehors des institutions, ils doivent continuer à mobiliser la population, pour permettre la convergence des deux oppositions.
Afrikarabia : Pourtant, en 2023, l’opposition n’a pas réussi à se mettre d’accord, notamment sur un candidat unique pour l’élection présidentielle ?
Bienvenu Matumo : Nous devons tirer les leçons des échecs précédents. Nous sommes allés à Pretoria en novembre 2023, avec la société civile, pour faire émerger une candidature unique de l’opposition. Nous les avons vu discuter, nous connaissons maintenant parfaitement les points d’achoppement et de divergence de chacun. Si on veut que l’opposition gagne en 2028, il faut mettre en place un plan d’action commun et collectif. Nous connaissons les points sur lesquels nous devons travailler. Il y a le projet de modification de la Constitution pour empêcher Félix Tshisekedi de se maintenir au pouvoir. Il y a le dossier de la guerre à l’Est et l’échec du chef de l’Etat à ramener la paix. Il y a enfin les conditions de vie des Congolais qui ne cessent de se dégrader. Sur tous ces sujets, nous sommes d’accord.
Afrikarabia : Cela veut dire que les dissensions au sein de l’opposition autour de son porte-parole sont un faux problème ?
Bienvenu Matumo : C’est une polémique sans fondement. Ce n’est pas le sujet. Du moment où l’opposition parlementaire a accepté de jouer le jeu institutionnel, c’est une conséquence logique qu’elle puisse désigner son porte-parole. Si certains ont voulu recueillir l’avis des autres membres de l’opposition, je pense que c’est sans doute pour un besoin d’inclusivité du processus. Cela montre surtout que l’opposition a besoin de se parler, au-delà des divergences.
Afrikarabia : Le premier gros dossier politique que devra traiter l’opposition, c’est le possible projet de modification ou de changement de Constitution. Sur ce projet, toute l’opposition est d’accord ?
Bienvenu Matumo : C’est un projet politique de l’UDPS et de l’Union sacrée pour maintenir Félix Tshisekedi au pouvoir après 2028, mais qui est anticonstitutionnel dans la configuration actuelle. Pour faire barrage à ce projet, l’opposition doit être en mesure de se réunir. Il faudrait peut-être un conclave ou des états généraux de l’opposition sur le sujet. Il faut créer un espace pour que ces oppositions se parlent, au-delà des clivages personnels et des egos. Il s’agit de préserver le consensus républicain qu’est la Constitution congolaise.
Afrikarabia : Dans le camp présidentiel, on avance que la Constitution peut bloquer le pays, notamment au niveau du fonctionnement des institutions.
Bienvenu Matumo : La Constitution n’est pas un élément de blocage du développement de la RDC. La Constitution actuelle peut parfaitement favoriser les conditions du développement pour un Etat stratège, animé par des gens sérieux. Ce que l’on constate aujourd’hui, c’est surtout la prédation politique. Les élites politiques à Kinshasa font de la prédation derrière ce que l’on appelle l’Union sacrée. Lorsque le président le veut, il agit. Quand il veut lancer la rocade de Kinshasa, ce qui est une bonne chose, la Constitution ne l’a pas empêché. Il y a des choses à modifier dans la Constitution, mais pas dans un contexte de suspicions avec une société fragmentée. Moi, je ne me retrouve pas dans les institutions aujourd’hui. Je trouve que l’on a volé mon vote, et la seule chose qui me retient, c’est la Constitution de la République. Il y a également un élément que l’on ne peut pas nier, c’est qu’il y a une opposition armée qui a besoin de se justifier. Un changement de Constitution constitue un argument de poids pour cette opposition armée. Je ne soutiens pas cette démarche et je considère que l’on doit tous rester dans l’arc républicain, dans une lutte non-violente. C’est pour cela que je condamne la démarche de Corneille Nangaa, qui cherche à donner une légitimation au Rwanda et à l’Ouganda. Félix Tshisekedi doit faire attention à ce type d’initiative, très dangereuse.
Afrikarabia : Quel rôle pour les mouvements citoyens comme la Lucha ?
Bienvenu Matumo : Il faut que les politiques nous écoutent davantage. Nous sommes tous de bonne foi. Certains politiques ont encore 30 ans de vie. Mais il y a des générations, qui ont encore 50 ans de vie. Ces politiques doivent écouter ces jeunes générations. Nous avons peut-être un peu moins d’expériences, mais nous avons une voix à porter. Nous allons nous organiser, nous mobiliser, notamment sur la défense de la Constitution.
Propos recueillis par Christophe Rigaud – Afrikarabia