Après deux reports de l’élection présidentielle, l’opposition congolaise en appelle à la rue pour faire partir Joseph Kabila. Mais la répression policière et l’inconstance des opposants découragent pour l’instant les Congolais. Explications.
La grande marche de l’opposition pour réclamer le départ de Joseph Kabila du 30 novembre s’est finalement transformée… en journée ville morte, faute de troupes dans les rues. Depuis fin 2016 et les violentes manifestations pour l’absence d’élections pour remplacer président Joseph Kabila arrivé fin mandat, les manifestations de l’opposition sont systématiquement interdites et fortement réprimées par la police congolaise. La dernière mobilisation du 30 novembre n’a pas échappé à la règle. Annoncée comme une grande marche pour exiger que Joseph Kabila quitte le pouvoir, la mobilisation a tourné court pour se terminer en une timide journée ville morte. Une stratégie bien peu efficace pour qui veut faire partir un chef d’Etat qui s’accroche à son fauteuil.
Que manque-t-il à l’opposition pour réussir à mobiliser la rue ? La violente répression policière qui s’abat à chaque appel à manifester constitue sans aucun doute la première raison de la faible mobilisation populaire. En janvier 2015, la forte mobilisation contre la loi électorale qui repoussait la tenue de la présidentielle s’était soldée par un bilan « d’au moins 50 morts » selon les ONG internationales. Idem pour les manifestations de fin 2016. La répression policière massive avait également fait une cinquantaine de victimes et plusieurs centaines de blessés. Depuis, les manifestants se font plus rares dans les rues à chaque appel de l’opposition, mais les arrestations continuent de se multiplier. Au moins 186 personnes ont été arrêtées le 30 novembre selon le Bureau Conjoint des Nations unies aux droits de l’homme (BCNUDH).
Réitérer la mobilisation de 2015
Particularité cette fois-ci, les forces de sécurité ont ciblé de nombreux leaders de l’opposition. Jean-Marc Kabund, le secrétaire général de l’UDPS, et Martin Fayulu, du Rassemblement, ont été interpelés alors qu’ils tentaient de rejoindre la marche. Tout comme Aimé Nzuzi, secrétaire général adjoint de la Démocratie chrétienne et le député Olivier Endundo. Le reste des arrestations ont concerné des militants de partis politiques d’opposition, mais surtout des sympathisants de mouvements citoyens comme la Lucha, très actifs à chaque mobilisation. Mais la population apparaît dans sa grande majorité lassée par une crise politique sans fin, à l’issue incertaine.
L’opposition sait bien qu’il faudra du temps pour enclencher un nouveau cycle de la contestation, comme celui de 2015. A l’époque, plusieurs marches et journées ville morte avortées avaient précédé les trois jours de forte mobilisation populaire qui avaient fini par faire plier le pouvoir. Une montée en puissance nécessaire pour avoir le temps de sensibiliser la population aux risques que faisaient courir la nouvelle loi électorale sur la tenue des élections. Deux ans plus tard, la situation a peu évolué en République démocratique du Congo : les élections ont été reportées par deux fois, et l’impasse politique est total. Le pouvoir tente à nouveau de reculer les échéances grâce à une loi électorale qui prévoit un « seuil de représentativité » qui verrouille l’hégémonie du parti présidentiel, et une nouvelle « machine à voter » électronique, que l’opposition appelle déjà la « machine à tricher ». Pourtant, l’opposition peine cette fois-ci à mobiliser. Pour quelles raisons ?
Des politiciens très volatiles
L’inconsistance et l’inconstance politique des opposants à Joseph Kabila participent grandement au sentiment de défiance des Congolais vis à vis du personnel politique d’opposition. De nombreux leaders de l’opposition viennent en effet des rangs de la majorité présidentielle, qu’ils ont quitté, non pas sur des désaccords politiques avec Joseph Kabila, mais parce qu’ils jugeaient que le président congolais ne leur laissait pas assez d’espace. Ce fut le cas de Vital Kamerhe, puis de Moïse Katumbi, mais aussi d’Olivier Kamitatu ou de Pierre Lumbi, qui n’ont jamais critiqué la répression politique ou la corruption lorsqu’ils étaient dans la majorité. Dans le sens inverse, un certain nombre d’opposants ont rejoint le pouvoir, en acceptant des portefeuilles ministériels. Oubliant d’un coup de baguette magique, les critiques qu’ils proféraient à l’encontre de Joseph Kabila. Et la liste est longue. Citons les derniers en date, comme Samy Badibanga et Bruno Tshibala qui ont accepté le poste de Premier ministre contre la volonté de leur propre formation politique, l’UDPS.
Qui croire ? A qui faire confiance ? Léon Engulu, philosophe et ancien coordonnateur adjoint du Mécanisme National de Suivi de l’Accord-cadre d’Addis-Abeba, résume assez bien sur son compte Twitter la grande confusion qui règne dans la classe politique congolaise : « Où donner de la tête? Les opposants avec qui je débattais sur les plateaux télé sont aujourd’hui dans la Majorité, archi-convaincus. Ceux qui m’applaudissaient de cette Majorité sont dans l’opposition, hyper-convertis. Virevolte et volte face, voilà les politiciens congolais ! ».
En attendant le 19 décembre 2017
Pour l’heure, aucun leader n’émerge clairement dans la galaxie des opposants. Moïse Katumbi, le plus en vue, est en exil forcé en Europe, harcelé par la justice congolaise depuis qu’il s’est déclaré candidat à la succession de Joseph Kabila. Son réel poids politique est incertain et bon nombre d’observateurs confondent l’engouement populaire pour le patron de l’équipe de foot et l’adhésion à un projet politique. Quant à Félix Tshisekedi, allié de circonstance à Moïse Katumbi, il peine à s’imposer sur la scène politique. Peu charismatique, le fils de l’opposant historique Etienne Tshisekedi, a raté son entrée en piste lors de deux manifestations qu’il avait lui-même organisé. Le patron du Rassemblement était« absent » de Kinshasa le jour de la grande mobilisation du 10 avril 2017, et il a manqué le départ de la marche du 30 novembre 2017, attendant en vain les militants qui devaient venir le chercher à son domicile… et qui ne sont jamais arrivés.
Pour l’instant, force est de constater que l’opposition n’arrive pas à cristalliser la colère des Congolais. De part une répression féroce, mais aussi à cause d’un manque de leadership et de confiance au sein de l’opposition. Pourtant, la colère et bien là et les atermoiements sans fin de Joseph Kabila pour retarder les échéances électorales, ont fini par lasser tout le monde, y compris dans son propre camp. L’opposition n’a d’autre choix que de retenter sa chance dans la rue. Joseph Kabila Kabila n’est visiblement pas décidé à partir et la communauté internationale ne semble pas disposée à le chasser de force. Au sein de l’opposition, nombreuses sont les critiques sur le manque de stratégie et de coordination des principaux leaders. Beaucoup se tournent vers le Togo, où la répression policière est forte, l’opposition divisée, mais où le peuple manifeste régulièrement et massivement dans les rues pour faire pression sur Faure Gnassingbé. L’opposition congolaise a d’ors et déjà pris rendez-vous une nouvelle fois avec les Congolais dans la rue. Ce sera le 19 décembre prochain pour une « marche de sommation ». En espérant que cette fois-ci… ce sera la bonne.
Christophe RIGAUD – Afrikarabia
Le vrai problème comme c’est suggéré ici est « comment arriver à mobiliser la population contre le régime » car le ras-le-bol, la colère contre lui existent bel et bien chez une très large majorité des Congolais, autant mécontents de son mauvais bilan que fatigués de ses incessants stratagèmes pour rempiler illégalement !
La répression (assurée par la police, les militaires de la GR et les services de renseignements) est certes la première cause qui limite la contestation dans la rue…
Après, ce sont les manques évidents de l’opposition : pas stratégiquement organisée (voir ne fût-ce comment l’organisation spatiale et temporelle de cette dernière manifestation ne répondait pas à l’affrontement que l’adversaire lui imposait et l’acculait à ne pas avancer) et surtout divisée !
La division, à mon avis, ajoute beaucoup à cette impression ou plutôt à cette réalité d’un manque de leadership qui la représente ; si dans la population il était moins question de confiance tant, disais-je, elle est dépitée envers le régime en place, la population ne voit pas exactement qui préférentiellement représente cette opposition…
Ainsi si cette opposition veut demain opposer au régime une contestation qui le bouscule réellement, elle aura d’un côté à représenter une large unité et de l’autre à mieux préparer et à organiser plus stratégiquement sa manifestation en commençant dès maintenant à sensibiliser et à convaincre la population de la solidité en son sein et de ses réelles capacités d’alternative, faire autrement que ce qui existe – l’intérêt général le plus possible que des profits individuels et corporatistes – pour créer enfin ce « prétexte » tant attendu qui mobilise massivement (dans la rue), mouvement sans lequel le pouvoir en place sera difficilement atteint…
Elle n’existe pas cette opposition , tout juste un amalgame des doux rêveurs Qu’elle se mette en rang et se prépare pour les échéances possibles de 2018 au lieu d’aller tout le temps pleurer dans le giron de l’Occident.
Bonne analyse! Mais j’aimerais rajouter une chose. C’est que les régimes dictatoriaux en Afrique ne tombent qu’avec l’appui d’une force militaire nationale (régulière ou irrégulière), régionale ou internationale qui vient en renfort au soulèvement populaire . Les exemples sont légion pour illustrer ce fait. Les manifestations populaires seules n’ont pas eu raison de Kadhaffi. Il a fallu que la France intervienne pour mettre hors d’état de nuire ce sanguinaire. Pareil pour Yaya Jameh qui n’a pas céder à la grogne interne mais s’est vu obligé de plier bagages face à la menace d’une imminente intervention militaire sous-régionale. Blaise Compaoré et Moubarak ne seraient pas partis si leurs armées ne s’étaient pas rangées derrière leurs populations. Mobutu également n’a pas dérogé à la règle avec l’AFDL de triste mémoire! Si les dictateurs en RDC, au Togo ou au Gabon ne faiblissent pas malgré les manifestations populaires, virulentes et signalées soient-elles, c’est par ce que cette recette du recours aux armes n’a pas encore été appliquée. Ces régimes ne reposent plus sur du solide, ils n’ont plus la confiance de leurs peuples et un petit feu de paille les emporteraient très facilement. Alors, continuer à envoyer ces misérables gens à la rue manifester, serait à mon avis les livrer comme de la chair à canon à ces pervers des présidents qui n’ont aucun respect pour la vie humaine et qui n’entendent et ne comprennent qu’un seul langage, celui des armes. La situation est encore pire en RDC où le pouvoir utilise les services des mercenaires étrangers ( sans aucune pitié pour les congolais ) pour mater les différentes tentatives de soulèvement populaire.
Le grand problème est que en réalité, après la mort de Tshitshi, paix à son âme, on n’a pas d’opposition. Felix , entre nous, n’a pas la carrure d’un leader pour porter l’héritage. Les autres ( Moïse, Pierre Lumbi, Kamitatu , Kamerhe etc…) sont des dissidents ( traitres) pour des raisons de positionnement.
Attendre alors qu’un vrai opposant soit né, grandir et ….. Mon Dieu, garde le congolais !
Compatriote Lumbala,
N’exagérons peut-être pas non plus et affrontons la réalité telle qu’elle est : Tshisekedi était certes un leader historique qui mobilisait derrière lui tant pour inquiéter ses adversaires mais en même temps, voulais-je dire, de son vivant il n’a pas non plus réussi à secouer le pouvoir en place au point de le faire vaciller sur son piédestal…
La seule occasion où Ya Tshitshi a montré son audience et sa force sans discussion c’est lors de son retour en juin 2016 où spontanément des centaines de milliers de kinois sont sortis dans la rue l’accueillir mais jamais hélas il n’a autrement usé de cette puissance de façon indiscutable ni lors des manifestations de contestation ni lors des scrutins (il en a refusé quelques uns, le dernier, la présidentielle de 2011, il n’a pas été assez fort pour imposer sa très probable victoire…) …
Voilà, j’ai préféré ainsi que nous élargissons les leçons : à côté du leadership imposant d’un opposant ne devrons pas tirer l’enseignement de sa nécessaire capacité à fédérer autour de lui ?
Bon, c’est une question…
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L’Opposition congolaise n’existe pas. Felix Tshilombo n’a pas le charisme ni l’entregent de feu son père. Il pense-croire qu’en politique les capacités sont héréditaires et se transmettent illico presto du père mort au fils vivant ? Je n’adhérerai jamais à ce schéma, peut-être si Sindika pouvait se prévaloir de cette ambition de postuler, l’alternance pouvait avoir lieu. Mais avec cette cohorte de pseudo-opposant : Katumbi, Endundo, Kamitatu, Kamhere, Lumbi, pour ne citer que ceux-là, nous n’aurons rien de bon qui adviendrait dans notre pays. Tshilombo a opéré un coup de force dans l’UDPS en confinant Kabund aux rôles protocolaires, alors que celui-ci est le vrai patron du parti. Il y a aussi les combattants de l’UDPS qui ne s’en cachent pas et disent ouvertement à Katumbi de laisser la main à Tshilombo pour les joutes électorale à venir. Comme nous sommes dans la saison pluvieuse et que nous ne disposons que d’un parapluie-parasoleil, chacun des opposants veut se l’approprier. La fin justifiera les moyens.
La méfiance des congolais envers la classe politique commence bien plus loin que le décès d’Etienne Tshisekedi. Déjà en 2015, les observateurs les plus avisés avaient notés que les manifestants n’agissaient pas sous l’impulsion d’un quelconque leadership, mais plus par ce qu’ils pensaient le « moment um » approprié et l’enjeu de taille. Rappelons que ni l’appel de l’UNC de Kamerhe, ni celui de l’UDPS n’ont été suivi à l’époque. La divulgation des négociations secrètes entre UDPS et PPRD n’ont pas arrangé la situation, ensuite la tenue des rencontres de Gorée et Genval ont enfoncé le clous de la démonstration d’une opposition qui ne croit pas dans les capacités humaines nationales mais se tourne vers l’étranger avant de dire quelque petit mot, les congolais « souverainistes » dans leur majorité y ont vue une très grande faiblesse de la part de cette opposition et d’une partie de la société civile. La suite des accords du 31 décembre 2016 qui a finit de démontré que les opposants ne se battaient que leurs propres positionnement et non pour la solution au problème de stabilisation de nos institutions… Oui, je suis d’avis avec ceux qui demandent à l’opposition de se concentrer maintenant sur la monitoring des opérations électorales, à la préparation de la campagne électorale en vue de la participation au élections du 23 décembre 2018
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