La signature d’un accord de paix entre Kinshasa et Kigali sous médiation américaine est prévue le 27 juin prochain à Washington. Avec cet accord, Américains et Congolais espèrent affaiblir les rebelles du M23 et ramener à la paix l’Est. Un scénario qui semble bien optimiste.

Trois jours de « dialogue constructif » et un paraphe ont suffit pour remettre sur les rails la signature d’un accord de paix entre la RDC et le Rwanda, fixée le 27 juin prochain à Washington. Après plusieurs semaines d’atermoiement, il a fallu tout le poids des États-Unis pour imposer enfin une date, jusque-là, très hypothétique. Les discussions entre « équipes techniques », congolaises et rwandaises, ont été encadrées par la secrétaire d’État aux Affaires politiques américaine, Allison Hooker. Le paraphe des deux équipes a permis de valider le projet d’accord provisoire qui doit être signé par les ministres des Affaires étrangères congolais et rwandais, en fin de semaine, en présence de Marco Rubio, le patron de la diplomatie américaine.
Pression américaine sur Kigali
Ce dernier coup de pression de Washington intervient alors que les espoirs d’un accord imminent semblaient s’éloigner depuis la déclaration de principe entre les deux pays, en avril. Le Rwanda, envoyait des messages contrastés sur le fait « qu’il faudrait se montrer patient pour aboutir à un accord de paix définitif », comme le déclarait le ministre des Affaires étrangères Olivier Nduhungirehe à la Libre Belgique. Le Rwanda mettait également dans la balance la conclusion des négociations de Doha entre le gouvernement congolais et les rebelles de l’AFC/M23 comme préalable avant de signer tout accord avec Kinshasa. Visiblement, Washington a su se montrer convainquant pour accélérer le mouvement et ne pas attendre Doha dont les discussions patinnent toujours.
Trump déterminé à obtenir un accord
Sur le papier, le texte préparatoire du futur accord de paix n’a rien de révolutionnaire, et reprend l’ensemble des dispositions déjà énoncées dans les précédents projets d’accords jamais appliquées : « respect de l’intégrité territoriale, interdiction des hostilités, désengagement, désarmement et intégration conditionnelle des groupes armés non-étatiques, facilitation du retour des réfugiés et des personnes déplacées à l’intérieur du pays, accès humanitaire », et instauration d’un « cadre d’intégration économique régionale ». Cette fois-ci, sera-t-elle la bonne ? Depuis la reprise des combats entre le M23 et l’armée congolaise, fin 2021, la dizaine de trêves et de cessez-le-feu n’a jamais été respectée. L’implication constante des États-Unis, malgré le caractère imprévisible de Donald Trump, fait plutôt croire que les Américains semblent résolus à obtenir une victoire diplomatique dans le conflit des Grands Lacs. En difficulté en Ukraine, à Gaza, et embarqué dans une guerre iranienne à haut risque, Donald Trump estime qu’une réussite dans le dossier congolais est à sa portée. Il l’a d’ailleurs annoncé plusieurs fois face caméra, affirmant que ce conflit de longue date approchait de sa résolution. Il faut dire que le package « sécurité contre minerais » proposé par Kinshasa pour solliciter l’aide américaine a particulièrement séduit l’administration Trump.
Un espoir… pour Kinshasa
Le scénario d’un accord de paix entre la RDC et le Rwanda constitue une excellente nouvelle pour le président congolais. Après avoir épuisé toutes les solutions militaires possibles, sans succès, Félix Tshisekedi peut savourer sa première grande victoire diplomatique. Cette probable signature va redonner un peu d’air au chef de l’État, condamné depuis maintenant quatre ans à commenter les mauvaises nouvelles en provenance de l’Est. En interne, la possibilité d’un accord de paix lui permet de relancer l’idée mort-née de la composition d’un gouvernement d’union nationale, avec des personnalités comme l’opposant Martin Fayulu, ou Adolphe Muzito et son « Camp de la Patrie ». L’initiative des Églises catholique et protestante revient elle aussi en odeur de sainteté dans le camp présidentiel, avec pour objectif de consolider le mandat de Félix Tshisekedi, fragilisé par ses échecs à répétition face au M23.
Intégration ou non des rebelles ?
Pourtant, l’accord du 27 juin reste des plus flous. Aucun calendrier ni chronogramme n’ont été fixés et certaines dispositions font quelque peu tousser à Kinshasa. Notamment sur « l’intégration conditionnelle des groupes armés non-étatiques ». Depuis le retour du M23 à l’Est du Congo, le gouvernement a toujours exclu toute intégration des rebelles dans l’armée, une disposition qui a affaibli les forces de sécurité congolaises au fil des conflits. La porte-parole du chef de l’État s’est d’ailleurs fendue d’un tweet sur X, en précisant que cette intégration conditionnelle se ferait « uniquement sur base du Programme de Désarmement, démobilisation, relèvement communautaire et stabilisation ( P-DDRCS) qui en réalité, reflète notre position sur le respect du processus de Nairobi ». Chacun sait pourtant que Kinshasa devra bien lâcher du lest et trouver une porte de sortie pour l’AFC/M23.
Washington et Kinshasa espèrent reproduire le scénario de 2013
En signant un accord de paix avec Kigali sans négociation préalable avec les rebelles, Kinshasa espère affaiblir le M23. Selon l’ONU, les rebelles sont soutenus par l’armée rwandaise dont 4 à 5.000 hommes sont présents sur le sol congolais, ce que réfute Kigali. En 2013, lors de la première rébellion du M23, le retrait rwandais avait suffi à faire imploser le mouvement. Washington, et surtout Kinshasa, espèrent réitérer ce scénario aujourd’hui. Mais en 2025, la donne a changé. Le M23 occupe des territoires beaucoup plus vastes, et depuis de longs mois. Les rebelles contrôlent les deux capitales provinciales, Goma et Bukavu, ainsi que les principaux axes de communication de la zone. Ils administrent leurs territoires, s’installent et recrutent. Une situation bien différente de celle de 2013, où la rébellion n’avait occupé Goma qu’une dizaine de jours.
Les revendications du M23 revues à la hausse
La situation est donc loin d’être réglée dans l’Est congolais. Pour ramener la paix, il faudra bien se soucier des revendications de l’AFC/M23. Actuellement, les discussions de Doha sont au point mort, même si les délégations sont revenues depuis le 11 juin dans la capitale qatarie. Les demandes du M23 ont été revues à la hausse à la suite de leurs conquêtes territoriales, et dépassent largement le cadre du respect des accords de 2013 que la rébellion voulait voir appliquer lorsqu’elle a repris les armes fin 2021. Au sein de la rébellion, on parle aujourd’hui clairement d’une sorte « d’autonomie » des zones sous son contrôle, assortie d’une gestion de type « fédéraliste » avec Kinshasa.
La volonté de Washington et Kigali sera déterminante
Une paix entre la RDC et le Rwanda sera-t-elle suffisante pour que la RDC retrouve son intégrité territoriale et un semblant de paix ? Deux écoles se disputent la réponse. La première considère que le M23 n’est que le bras armé du Rwanda et qu’il agira en fonction des instructions venant de Kigali. La seconde estime que la rébellion possède désormais une certaine autonomie et s’est renforcée avec les conquêtes de Goma et Bukavu. Les deux approches toutes l’ambiguïté du mouvement, à la fois affidé à Kigali, mais avec de larges marges de manoeuvre sur le terrain. Le M23 s’est d’ailleurs largement « congolisé » depuis l’arrivée de l’AFC de Corneille Nangaa en 2023. La présence de l’ancien président Joseph Kabila à Goma, en terres rebelles, a fini de démontrer que la crise à l’Est était aussi une crise interne. Une partie de la résolution du conflit va dont se trouver dans la capacité de Washington à peser ou non sur Kigali, et ensuite sur la capacité de Kigali à vouloir peser ou non sur le M23. Le Rwanda pourrait respecter ses engagements de retrait, tout en se désolidarisant de ce que pourrait faire le M23 sur le terrain.
Christophe Rigaud – Afrikarabia