Depuis 21 jours, 109 civils ont été tués par les rebelles ADF à Beni. Devant la colère des Congolais contre l’impuissance de la Monusco et de l’armée, Bienvenu Matumo, un des leaders du mouvement citoyen Lucha, demande à la Monusco de revoir sa stratégie et au président Tshisekedi de réorganiser la chaîne de commandement des FARDC.
Afrikarabia : Après de nouveaux massacres commis en toute impunité à Beni, la population s’en est pris aux bases des casques bleus de la Monusco. Comprenez-vous la colère des Congolais ?
Bienvenu Matumo : On comprend bien évidement la colère des Congolais contre l’inaction de la Monusco. Et la Lucha à Beni, Goma et Kinshasa se mobilise pour que le message de la population soit entendu, et notamment jusqu’au Conseil de sécurité de l’ONU. Il est tout à fait inacceptable et injustifié qu’à quelques mètres des bases de la Monusco, des massacres puissent être commis, sans connaître l’identité des tueurs et sans pouvoir les interpeler. A partir du moment où la Monusco ne peut pas protéger les civils, ce qui est sa mission, c’est tout à fait normal que la population proteste et manifeste. Mais ce qui est encore plus choquant, c’est que la Monusco réplique à cette colère en tirant sur les manifestants ! A Beni, la Monusco a tirer et il y a eu des victimes. Il faudra d’ailleurs des enquêtes pour savoir qui sont ces casques bleus qui ont tiré sur des manifestants non violents.
Afrikarabia : La population qui a manifesté à Beni demande le départ de la Monusco. Selon vous, les casques bleus doivent-ils partir ?
Bienvenu Matumo : Ces manifestations sont un cri de détresse que lance la population. Ils ne veulent pas forcément que la Monusco parte, mais ils veulent que la Monusco agissent. Ils veulent que la Monusco empêche ces massacres qui ont commencé il y a maintenant 5 ans ! Cela a trop duré. Et la population dit tout simplement : « si vous ne pouvez pas nous protéger, nous préférons ne pas vous voir ». Les Congolais veulent que la Monusco exécute sa mission et éradique les groupes armés…
Afrikarabia : … comme face aux rebelles du M23 en 2013 ?
Bienvenu Matumo : Parfaitement. A cette époque, nous tenions le même discours pour exiger que la Monusco aide les FARDC à vaincre le M23. La Monusco a alors fait le choix de créer une Brigade d’intervention rapide (FIB) pour mettre fin aux groupes armés avec l’armée congolaise. Quelques mois plus tard, le M23 a été éradiqué sur le plan militaire.
Afrikarabia : Pour que la Monusco soit plus efficace, vous demandez des casques bleus plus offensifs et le retour de la Brigade d’intervention rapide sur le terrain ?
Bienvenu Matumo : Il faut démanteler et réorganiser la Monusco. La composante « civile et humanitaire » de la Monusco doit être laissée entre les mains des autres agences de l’ONU et des ONG. La composante militaire actuelle doit être dissoute pour en créer une nouvelle, plus compétente et plus offensive. Cette Brigade d’intervention doit être composée uniquement de forces africaines. Non n’avons pas besoin de Népalais, d’Indiens ou de Pakistanais qui sont complètement inefficaces. Ces soldats ne combattent pas… pourquoi les maintenir au Congo ? Il faut que cette Brigade bénéficie du même mandat robuste qu’en 2012, ce qui est d’ailleurs encore le cas aujourd’hui… mais pourquoi n’agit-elle pas ? On se pose la question.
Afrikarabia : Si des massacres se déroulent à quelques mètres de bases de la Monusco, ils se passent aussi à proximité de l’armée congolaise. N’a-t-elle pas aussi sa part de responsabilité ?
Bienvenu Matumo : La responsabilité revient d’abord au gouvernement congolais et ensuite à l’armée. Nous demandons au président Félix Tshisekedi de modifier toute la chaîne de commandement au sein des FARDC. Tous les généraux impliqués dans les violations des droits de l’Homme et sanctionnés par les Nations unis, les Etats unis ou l’Union européenne, ne doivent plus commander les opérations militaires sur le terrain. Ces généraux sont bien connus, il y a Gabriel Amisi « Tango four » ou John Numbi et d’autres… Ils doivent tous être remplacés dans la chaîne de commandement. Et c’est également un problème pour la Monusco qui ne veut pas s’associer avec des militaires qui sont prêts à commettre des violations des droits de l’Homme. Et cette inquiétude est légitime de la part de la Monusco. Le président Félix Tshisekedi, qui a le pouvoir de nomination sur ces généraux, doit les écarter de la chaîne de commandement.
Afrikarabia : Félix Tshisekedi, qui est en coalition-cohabitation avec Joseph Kabila, a-t-il les moyens de faire ce ménage au sein de l’armée qui est encore réputée proche de l’ancien président ?
Bienvenu Matumo : Il a été investi président de la République non ? On espère qu’il est le garant du bon fonctionnement des institutions. Selon la Constitution, il est le commandant suprême des forces armées, il doit donc agir. Si ces généraux ne répondre qu’aux ordres de Kabila, Félix Tshisekedi doit alors convaincre son allié et négocier pour obtenir ce pouvoir sur l’armée. En coalition, les négociations sont permanentes. Et si les massacres ne s’arrêtent pas à Beni, c’est le président Tshisekedi qui en sera tenu pour responsable.
Propos recueillis par Christophe RIGAUD – Afrikarabia