Le dernier rapport des experts des Nations unies sur la RDC documente une nouvelle fois le soutien du Rwanda aux rebelles du M23, mais aussi la collaboration de l’armée congolaise avec les groupes armés.
Les rapports de l’ONU sur la situation sécuritaire en République démocratique du Congo (RDC) se suivent… et se ressemblent. Dans leur dernière livraison de juin 2023, les experts pointent de nouveau le soutien du Rwanda aux rebelles du M23, ce que continue de démentir Kigali. Les experts ont obtenu des preuves « documentaires et photographiques et des images aériennes » d’opérations militaires menées par des soldats « clairement vêtus de l’uniforme militaire de la RDF (armée rwandaise, ndlr) dans les territoires de Rutshuru, Masisi et Nyiragongo, entre novembre 2022 et mars 2023 ». L’armée rwandaise « a également mené certaines opérations et envoyé des renforts au M23 dans le but de s’emparer de zones stratégiques ou de les fortifier ». L’ONU indique que les opérations militaires menées par Kigali au Congo sont coordonnées par le général de brigade Andrew Nyanvumba. Et à Kigali, la haute main sur les opérations au Nord-Kivu serait tenue par James Kabarebe, l’ex-ministre de la Défense rwandais et actuel conseiller sécuritaire du président Paul Kagame.
Les objectifs de Kigali
Les objectifs de Kigali dans l’Est de la RDC ont également été documentés par le groupe d’experts onusiens. Les opérations militaires rwandaises au Congo sont appelées « Opérations au Nord-Kivu ». Selon le rapport, elles ont pour but « de renforcer le M23 en lui fournissant des troupes et du matériel et de l’utiliser pour prendre le contrôle des sites miniers, acquérir une influence politique en République démocratique du Congo et décimer les FDLR ». Concernant l’armement des rebelles M23, l’ONU reste plus vague sur l’implication de Kigali. « Le groupe d’experts n’avait jamais vu en République démocratique du Congo des fusils d’assaut de type Galil et AK-103. Ceci démontre que le M23 venait de se doter d’un nouvel arsenal militaire ou que le matériel récupéré appartenait à une armée régulière soutenant le M23 sur le champ de bataille ».
Un retrait « tactique » du M23
Aujourd’hui, la tension a baissé d’un cran au Nord-Kivu entre l’armée congolaise et le M23. Les pourparlers régionaux avaient acté un cessez-le-feu et un retrait des rebelles de leurs positions. Selon l’ONU, « les désengagements annoncés par le M23 semblent avoir été purement tactiques, visant à gagner du temps face à la montée de la pression internationale ». Début mars, les experts onusiens estimaient que la rébellion possédait un potentiel de 3.000 hommes sur le terrain, toujours commandés par l’inamovible Sultani Makenga. Un point de vigilance est également à noter sur la possible extension du M23 au Sud-Kivu, qui serait rendue possible par un rapprochement avec le groupe armé Twirwaneho. Enfin, l’ONU note que le discours du M23 a évolué tout au long du conflit. Les rebelles ont d’abord dénoncé le non-respect des engagements signés par le gouvernement congolais à Kampala et Nairobi. Le M23 justifie maintenant ses actions par « la protection de la communauté tutsie contre un génocide présumé, et donc, sur la neutralisation des FDLR », un groupe opposé au pouvoir de Kigali et créé par d’anciens génocidaires.
Une coopération FARDC-FDLR validée au plus haut niveau
Le rapport de l’ONU n’a pas oubli é les responsabilités de Kinshasa. Les experts accusent en effet les autorités congolaises de collaborer avec des groupes armés, dont les FDLR, pour combattre le M23. Face à l’impuissance de l’armée congolaise pour lutter contre les rebelles du M23, la hiérarchie militaire congolaise a noué des coalitions avec les groupes armés. La participation de ces groupes « a été organisée, coordonnée et soutenue par des officiers supérieurs des FARDC » explique l’ONU. Ce qui a intensifié le recrutement au sein de ses groupes, leur réarmement et leur expansion dans l’Est du Congo. Deux généraux congolais,
Janvier Mayanga et Hassan Mugabo-Baguma ont été envoyés au Nord-Kivu pour superviser les opérations et « mobiliser les groupes armés en soutien aux FARDC ». Toujours selon l’ONU, cette coopération a été approuvée le chef de la Maison militaire, le général Franck Ntumba, et le chef d’état-major de l’armée, le général Christian Tshiwewe. Cette situation ubuesque illustre parfaitement l’étrange cercle vicieux du conflit à l’Est du Congo : où Kigali soutient le M23 pour lutter contre les FDLR, que Kinshasa utilise… pour combattre le M23.
Les ADF cherchent à étendre leur zone d’action
Un autre enseignement, tout aussi inquiétant, du nouveau rapport des experts de l’ONU, concerne le financement du groupe le plus meurtrier de l’Est congolais : les ADF. Les rebelles ougandais avaient prêté allégeance à l’Etat islamique en 2019, mais leurs liens avec Daesh restaient troubles. Les experts onusiens estiment désormais que l’Etat islamique a « fourni un soutien financier aux ADF depuis au moins 2019, par le biais d’un système financier complexe impliquant des individus dans plusieurs pays du continent, émanant de la Somalie et passant par l’Afrique du Sud, le Kenya et l’Ouganda ». Le rapport explique également que les ADF cherchent à étendre leur zone d’action, profitant notamment de la démobilisation de l’armée congolaise, occupée à combattre le M23 au Nord-Kivu. L’ONU indique enfin que la rébellion ougandaise, largement congolisée depuis, « cherche à recruter et à mener des attaques à Kinshasa ».
Dialogue de sourds
Les rapports des experts de l’ONU sur la RDC ont le mérite de documenter de manière régulière les faits et gestes de tous les acteurs qui s’affrontent dans l’Est du Congo depuis bientôt 30 ans : groupes armés (il y a en plus de 120) et soldats des pays voisins (Rwanda, Ouganda, Burundi… ). En fonction de l’endroit où l’on se trouve, chacun y trouve son compte. A Kigali, on peut dénoncer les liens entre l’armée congolaise et les FDLR, et à Kinshasa, on peut continuer d’accuser le Rwanda de soutenir la rébellion du M23. Le problème est que chacun des belligérants ignore ostensiblement les allégations qui le concernent. Un dialogue de sourds que ne parvient pas à briser les partenaires internationaux de la RDC. A l’image de la France, qui s’est dit « préoccupée par le soutien militaire continu du Rwanda » au M23, tout en demandant aux autorités congolaises de cesser de collaborer avec les FDLR. La boucle est bouclée.
Conflit gelé en attendant les élections
Le Quai d’Orsay a tout de même évoqué la possibilité de « sanctions face à ceux qui entravent la paix ». Mais déjà en mars dernier, Emmanuel Macron avait mis en garde le Rwanda, sans le citer, contre de possibles sanctions… sans effets jusque-là. Depuis le début de la crise du M23, l’Europe et les Etats-Unis semblent bien peu peser dans le conflit. Seules les institutions régionales paraissent avoir la main sur le plan diplomatique, mais aussi militaire, alors que les casques bleus, qui brillent par leur absence, sont sur le départ. Les troupes de l’East African community (EAC), déjà sur place, se sont substituées à celles de l’ONU, en attendant les soldats de la SADC, les pays d’Afrique australe. Pour le moment, le conflit paraît gelé, sans doute dans l’attente des élections de décembre au Congo, où Félix Tshisekedi brigue un deuxième mandat. Un statu quo qui risque donc de durer tant qu’une solution politique ne verra pas jour après 30 années d’impasse militaire.
Christophe Rigaud – Afrikarabia