L’ex-rebelle congolais Roger Lumbala a été condamné à 30 ans de réclusion criminelle pour complicité de crimes contre l’humanité commis par ses troupes en 2002 et 2003 à l’Est de la République démocratique du Congo (RDC). Pour Daniele Perissi, de l’ONG Trial International, « ni le temps, ni la distance, ni les positions de pouvoir ne peuvent protéger les auteurs et les complices des crimes de masse ». Un travail de justice qui doit se poursuivre en RDC.

30 ans de prison pour Roger Lumbala. Il s’agit de la peine la plus lourde prévue par le code pénal français. La cour d’assises de Paris a donc déclaré l’ancien rebelle coupable de complicité des crimes commis par ses troupes, « par ordre, par aide ou assistance ». Les charges retenues sont graves : viols utilisés comme armes de guerre, esclavage sexuel, travail forcé, tortures, mutilations, exécutions sommaires, pillage systématique, racket, et captation des ressources. Pendant 5 semaines, la cour a entendu les récits terrifiants des exactions commises durant l’opération « Effacer le tableau », menée par les troupes du RCD-N de Roger Lumbala contre un groupe armé rival au Nord-Kivu et en Ituri entre 2002 et 2003. Le RCD-N était alors soutenu par l’Ouganda et allié au MLC de Jean-Pierre Bemba, aujourd’hui ministre des Transports dans l’actuel gouvernement du président congolais Félix Tshisekedi. Daniele Perissi est responsable du programme RDC de Trial International, l’une des parties civiles avec la Clooney Foundation for Justice, Minority Rights Group, Justice Plus et PAP-RDC. Il dresse pour Afrikarabia le bilan d’un procès historique, qui s’est tenu à Paris en vertu de sa compétence universelle. Une première dans le conflit congolais.
Afrikarabia : Quelle a été votre réaction à l’annoncé du verdict ?
Daniele Perissi : C’est un verdict qui nous satisfait pleinement, aussi bien sur la peine, sur les charges retenues, que sur la reconnaissance des victimes. C’est grâce au courage des victimes que les faits à l’encontre de Roger Lumbala ont pu être établis et que la justice a pu être rendue.
Afrikarabia : De nombreuses victimes ont pu se rendre au Palais de justice de Paris ou témoigner à distance. C’était important ?
Daniele Perissi : Pendant les 5 semaines de procès, plus de 60 personnes ont été entendues par la cour d’assises. Il y a eu 35 parties civiles dont 26 survivants congolais de l’opération « Effacer le tableau » qui ont eu le courage de faire le voyage jusqu’en France pour témoigner. Ensuite, il y avait des représentants des ONG, les parties civiles, dont Trial International. Ensuite, 30 témoins ont été entendus : enquêteurs des Nations unies, défenseurs des droits de l’homme qui étaient sur place à l’époque, des journalistes congolais qui ont suivi les faits à l’époque, mais aussi des anciens cadres du RCD-N de Roger Lumbala. Tous ces témoignages devant la cour ont montré une image assez concordante de la réalité des faits. Il y a eu, certes, quelques témoins cités par la défense qui ont essayé de minimiser le rôle de Roger Lumbala, mais sans nier certaines atrocités ou certains crimes qui ont été commis. C’était très puissant pour moi de voir une cour de justice, ici en France, écrire l’Histoire d’une partie de la deuxième guerre du Congo qui n’a jamais été racontée.
Afrikarabia : Pendant les audiences, on a pu voir que des pressions avaient été exercées sur certains témoins ?
Daniele Perissi : Tout à fait. C’était une question assez importante pendant la phase d’enquête. Il y avait eu des contacts, des intimidations, des menaces voilées auprès des témoins. Certains ont été convoqués par l’ANR (Le service de renseignements congolais – ndlr) pour s’expliquer de leurs voyages en France et sur ce qu’ils avaient dit au juge d’instruction. Ces intimidations se sont ravivées lors du procès et nous avons eu écho de certains messages sur les téléphones, mais aucun témoin n’a refusé de venir à cause de pressions. C’est vraiment extraordinaire que plus de 20 personnes aient pu faire ce long voyage pour témoigner.
Afrikarabia : Il y a peut-être un regret dans ce procès, c’est l’absence de Roger de Lumbala, qui a refusé de comparaître dès le deuxième jour ?
Daniele Perissi : Nous avons regretté cette décision et toutes les victimes ont vraiment regretté cette décision. Roger Lumbala a tourné les dos à la justice comme il a tourné les dos aux victimes. Les victimes ont ressenti ce sentiment, cette volonté de ne même pas les écouter, ce qui était très regrettable. Cela dit, je pense que cela ne diminue en rien la force, et la portée historique de ce verdict.
Afrikarabia : Ce long procès de 5 semaines a permis d’en savoir davantage sur le rôle exact de Roger Lumbala pendant cette opération « Effacer le tableau » et sur la chaîne de commandement du RCD-N ?
Daniele Perissi : C’était le point crucial de ce procès, à savoir de déterminer quel rôle a joué Roger Lumbala dans la commission des crimes. Lui-même s’était présenté comme un simple administrateur politique, sans lien, et sans aucun impact sur les décisions militaires. Mais tout au long du procès, les preuves ont montré le contraire. Elles ont montré que Roger Lumbala était non seulement le fondateur et le dirigeant du RCD-N, mais qu’il était aussi le chef militaire du RCD-N. Il donnait des ordres, prélevait des taxes sur le territoire qu’il administrait et ces taxes finançaient les troupes et les opérations militaires. Il rendait visite aux troupes sur le terrain et il faisait des déclarations publiques pour encourager les agissements de ses troupes. Plusieurs témoignages de personnes, qui étaient à l’époque au sein de l’administration du RCD-N, nous ont fait comprendre que Roger Lumbala était en position de supériorité hiérarchique par rapport au commandant opérationnel de l’opération « Effacer le tableau », Constant Ndima, qui était basé à Isiro, comme Roger Lumbala. Et donc, c’est pour cela qu’il a été condamné comme complice pour les crimes commis par les troupes du RCD-N.
Afrikarabia : Cela veut dire que Roger Lumbala ne pouvait pas ne pas savoir ce qu’il se passait sur le terrain et les crimes commis par ses troupes ?
Daniele Perissi : Oui, c’est l’une des conclusions factuelles. A l’époque, Roger Lumbala effectuait des déplacements sur les lieux où les massacres s’étaient tenus. Son rôle de président du RCD-N aurait pu lui permettre de sanctionner ces exactions, et il ne l’a pas fait. Au contraire, il a plutôt encouragé et facilité la continuation des crimes.
Afrikarabia : Au cours de ce procès, deux personnes ont été régulièrement citées dans cette affaire, c’est Jean-Pierre Bemba, le chef du MLC et allié de Lumbala et puis Constant Ndima. Qu’est-ce que l’on a appris pendant le procès sur leurs rôles ?
Daniele Perissi : Constant Ndima était le commandant opérationnel de l’ALC-RCD-N, c’est-à-dire l’Armée de Libération du Congo, qui était le bras armé du MLC de Jean-Pierre Bemba. Nous avons vu pendant le procès comment il signait et tamponnait ses lettres de l’époque, non seulement de l’ALC, mais aussi du RCD-N. Constant Ndima parlait de Roger Lumbala comme de son président. Il y avait donc un lien direct entre ces deux personnes qui étaient basées au même endroit. On a aussi beaucoup entendu parler de l’alliance politico-militaire entre Roger Lumbala et Jean-Pierre Bemba pour pouvoir contrôler le plus de territoires possibles à l’Est du Congo, et pour pouvoir ainsi se positionner à la table des négociations. Après les accords de paix, Roger Lumbala a eu un poste de ministre et Jean-Pierre Bemba un poste de vice-président. Maintenant, il faut se rappeler que la cour d’assises avait un mandat limité. Elle devait déterminer uniquement la responsabilité pénale individuelle de Roger Lumbala. Et c’est ce qu’elle a fait.
Afrikarabia : Que peut-on faire de tous ces faits, de tous ces crimes documentés pendant le procès Lumbala à Paris ?
Daniele Perissi : Toutes les informations qui sont sorties du procès Lumbala montrent que la justice ne peut pas s’arrêter à la peine prononcée hier. Je pense que c’est d’abord à la société congolaise et aux institutions congolaises de pouvoir tirer les leçons de ce procès. Nous espérons que la vérité qui a été établie par la cour d’assises, pourra se voir réappropriée par la RDC pour guider ces processus de justice transitionnelle qui sont en cours. Cela veut dire qu’aujourd’hui, que les auteurs et complices de violences de masse devront rendre des comptes.
Afrikarabia : Selon vous, il doit y avoir une suite au procès de Roger Lumbala ?
Daniele Perissi : Absolument. Je pense qu’il ne devrait pas y avoir une suite, mais plusieurs suites. La justice congolaise devrait avoir le rôle primaire, de mener des enquêtes, et de mener des poursuites, mais la communauté internationale a aussi son rôle à jouer. On a vu avec ce procès, l’importance de la compétence universelle en tant qu’outil de lutte contre l’impunité. La communauté internationale a un rôle à jouer pour ne pas répéter les erreurs du passé dans le cadre des négociations de paix en cours. On parle beaucoup aujourd’hui des accords de Washington signés récemment. On a déjà vu des responsables d’atrocité, des présumés auteurs qui, au lieu d’être entendus par la justice, ont été récompensés sur le plan politique après des accords de paix. Et le risque de répéter les erreurs du passé est réel aujourd’hui. Lorsqu’on lit les accords de Washington, par exemple, on ne voit nulle part la justice, la redevabilité, et les droits humains. Je pense que le jugement de la cour d’assises de Paris nous rappelle que toute solution politique doit passer par la justice. La justice, la redevabilité, la protection des populations civiles doivent être au centre de toute solution.
Afrikarabia : Jean-Pierre Bemba a été abondement cité au cours de ce procès pour son rôle dans l’opération « Effacer le tableau ». Est-ce qu’il encourt un risque en venant en Europe ?
Daniele Perissi : Le cas de Roger Lumbala est particulier parce qu’il résidait en France, et selon la loi française, la résidence du présumé auteur est une condition indispensable. Ce n’est pas le cas de Jean-Pierre Bemba. Mais ce qui est essentiel pour moi, c’est le message de ce verdict, où ni le temps, ni la distance, ni les positions de pouvoir ne peuvent protéger les auteurs et les complices des crimes de masse.
Afrikarabia : Roger Lumbala a 10 jours pour faire appel de ce jugement, mais au mois de juin, une deuxième phase va s’ouvrir pour les victimes ?
Daniele Perissi : Il y a eu la sanction pénale prononcée à l’encontre de Roger Lumbala, mais en juin, la justice va se prononcer sur les réparations pour les victimes. Fin juin, va se tenir l’audience des intérêts civils où les victimes qui ont été reconnues par la cour d’assises vont expliciter leur préjudice par rapport aux crimes subis, et la cour va pouvoir juger et ordonner des réparations, en fonction des préjudices de chacun. Il est probable que cette phase soit purement symbolique, compte tenu de « l’indigence » reconnue de Roger Lumbala et de l’absence d’autres mécanismes d’indemnisation financière.
Propos recueillis par Christophe Rigaud – Afrikarabia


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