Bras droit du président Nkurunziza, le général Adolphe Nshimirimana est tombé dans un guet-apens. La décomposition du régime s’accélère alors qu’une alternative se dessine.
Samedi 1er août 2015 après midi, Willy Nyamitwe, porte-parole du président Pierre Nkurunziza, fanfaronnait encore : « Cette plateforme n’aura aucun poids sur l’échiquier politique burundais. Ils sont hors-jeu d’un commun accord. » Il faisait allusion à la réunion qui venait de s’achever à Addis Abeba entre les représentants de l’opposition burundaise et des anciens présidents de la République, pour constituer un front commun refusant toute légitimité au troisième mandat du président. La création du « Comité national pour le respect de l’accord d’Arusha et la restauration d’un état de droit au Burundi » (Rnarec) intervenait deux jours après le débauchage du principal leader de l’opposition, Agathon Rwasa, qui venait d’accepter le poste de vice-président de l’Assemblée nationale, peu après avoir dénoncé des élections législatives truquées. Un joli « coup politique » attribué à l’âme damnée du président Nkurunziza, le général Adolphe Nshimirimana, chef de la sécurité intérieure, créateur de la sinistre milice des Imbonerakure.
L’âme damnée du président Nkurunziza
Une demi-journée plus tard, à la stupéfaction de tous, Adolphe Nshimirimana tombait dans l’embuscade tendue par un commando en uniforme de l’armée burundaise à bord d’un véhicule militaire. Stoppé par deux tirs de roquettes, son véhicule criblé de balles, Nshimirimana était tué avec ses trois gardes du corps. Et Willy Nyamitwe se lamentait sur son compte Twitter : « Je viens de perdre un frère, un compagnon de lutte. Triste réalité : Gen. #AdolpheNshimirimana n’est plus de ce monde. #Burundi »
« Je viens de perdre un frère. Triste réalité »
Le chef de la sécurité intérieure était aussi détesté que craint, y compris au sein du parti présidentiel, le CNDD-FDD. Qu’on soit Burundais ou Occidental, opposant politique ou loyaliste « encombrant », ou simplement au mauvais endroit au mauvais moment, personne au Burundi n’était à l’abri d’un mauvais coup. En septembre 2014, le nom du « général Adolphe » avait circulé après les viols et assassinats de trois religieuses italiennes installées dans le quartier de Kamenge où le général avait établi son QG. Quelques semaines plus tard, Adolphe était officiellement démis de sa fonction de chef du Service de renseignement (SNR), communément appelé « La Documentation » à Bujumbura. « Une mise au placard de façade, qui permet au président Nkurunziza de donner des gages à la communauté internationale et de ressouder le parti après les critiques émises contre Adolphe Nshimirimana et le général Alain-Guillaume Bunyoni, chef de la police, lui aussi limogé », a résumé Patricia Huon dans Libération.
« Une mise au placard de façade »
En réalité, Adolphe, devenu conseiller à la présidence, a pu donner toute sa mesure afin d’assurer réélection de Pierre Nkurunziza. Terrorisant la population, dominant les services de police grâce à sa milice Imbonerakure, l’âme damnée du régime a réussi à faire cesser les manifestations de rue, à museler l’opposition, à réduire en cendres des radios indépendantes. La farce électorale du 21 juillet, qui a vu la réélection de Pierre Nkurunziza à un troisième et inconstitutionnel mandat, constituait son chef d’oeuvre. Et le débauchage d’Agathon Rwasa, la cerise sur le gâteau.
Le général Adolphe Nshimirimana avait aussi la haute main sur les énormes fonds secrets issus du détournement massif de l’aide internationale. Un trésor de guerre indispensable à assurer la fidélité des barons du régime burundais. Le Burundi est depuis quarante ans un des deux pays les plus pauvres du monde, et – ce n’est pas un hasard – un des plus corrompus..
Le Burundi, un des pays les plus pauvres et les plus corrompus
« On est face à un crime clairement politique, commis par des gens très bien organisés », rapporte un habitant de la capitale burundaise interrogé par France 24. Compte tenu du délitement du régime et de l’absence de revendication crédible, il serait aventureux de désigner d’éventuels commanditaires. On peut s’attendre à ce que le régime incrimine les services de renseignement rwandais, comme il le fait d’habitude.
Après l’annonce de l’attentat, les habitants de Bujumbura se sont terrés à domicile. « On peut craindre que dans la colère il y ait des massacres. Tout le monde à peur. Je pense que dans les quartiers où l’opposition à un troisième mandat de Pierre Nkurunziza était la plus forte, les gens doivent commencer à se barricader pour éviter de subir la colère des membres du parti au pouvoir », indique l’habitant de Bujumbura interrogé par France 24.
« Les gens doivent commencer à se barricader »
Le correspondant de Radio France internationale (RFI) et de l’AFP au Burundi, Esdras Ndikumana, a été arrêté alors qu’il prenait des photos du lieu de l’attentat. Emmené au siège du Service national de renseignement (SNR), il a été roué de coups. « La situation est très grave. Le général Adolphe était quelqu’un d’indispensable dans le système. On est en train de tout mettre en œuvre pour gérer la situation, mais ce n’est pas facile. Nos garçons ont envie de se venger », a affirmé à l’AFP un haut cadre de la présidence.
« Nos garçons ont envie de se venger »
Cependant, la terreur semble avoir changé de camp alors que l’opposition burundaise parle dorénavant d’une seule voix. Une semaine après son boycott du scrutin présidentiel, et après deux jours de tractation à Addis Abeba, le « Conseil national pour le respect de l’accord d’Arusha et la restauration d’un Etat de droit au Burundi » a désigné à sa tête un célèbre opposant historique en exil, Léonard Nyangoma. « Pour le moment, nous avons choisi le combat politique », assure le porte parole du Conseil national, qui n’exclut pas une lutte armée en cas de refus du partage du pouvoir.
Le Burundi sombrera-t-il dans la guerre civile ? Jamais le régime de Pierre Nkurunziza n’a paru plus isolé, plus proche de l’effondrement.
Jean-François DUPAQUIER