Malgré une réélection « triomphale » le 21 juillet, le troisième mandat – inconstitutionnel – du président Pierre Nkurunziza est considéré comme non crédible par la quasi-totalité de la communauté internationale, et illégitime par la contestation intérieure ou exilée. Les opposants viennent de réunir leur Conseil national à Bruxelles pour préparer la continuité de l’Etat en misant sur la chute inéluctable du président.
Ancien seigneur de guerre qui terrorisait la population par des mises en scène barbares de cadavres de civils, Pierre Nkurunziza est écartelé entre son obsession messianique de conserver le pouvoir quel qu’en soit le prix, et la hantise d’un assassinat. Le cortège présidentiel, fortement sécurisé depuis sa prise de pouvoir en 2005, figure à présent une sorte de caricature tropicale du train blindé des satrapes nord-coréens : véhicules d’assaut, mitrailleuses lourdes montées sur d’énormes pick-up encadrant une noria de voitures de luxe aux vitres fumées, farouche cohorte de militaires et de policiers aux Kalashnikov bardées de chargeurs, pointées sur les côtés.
Un cortège ubuesque, symbole de l’agonie du régime
Ces dernières années, la sécurité présidentielle faisait conduire en fourrière tous les véhicules garés sur l’itinéraire prévu, par crainte d’une voiture piégée. Désormais, même les piétons ne peuvent plus se trouver à proximité. Des quartiers sont isolés dans la perspective du passage aléatoire du Président « bien-aimé ». Mieux vaut faire son marché longtemps à l’avance. Les habitants de la capitale grondent contre ces contraintes.
L’aléa a gagné la sécurité présidentielle : au dernier moment, par peur d’un éventuel complot, on change les équipes de policiers et de militaires d’escorte. Le président n’a plus aucune confiance en son armée ni en sa police, après l’attaque de militaires (non-identifiés) qui a coûté la vie à son bras droit, le lieutenant général Adolphe Nshimirimana. Le récent attentat manqué contre le chef d’état-major général de l’armée, le général Prime Niyongabo, a encore aggravé le climat de paranoïa. Au cœur de son cortège ubuesque, le président du Burundi, champion de la mise en scène, ne pouvait mieux scénariser l’agonie d’un régime sapé par la folie.
Le début d’un programme de gouvernement alternatif
Un temps désorganisée par la chasse à l’homme, les assassinats ciblés, le débauchage (Agathon Rwasa), la destruction des médias indépendants, l’opposition s’est ressaisie. Fin juillet, elle s’est retrouvée en Ethiopie pour se réunifier. Après deux jours de discussions à Addis Abeba, l’opposition burundaise a créé une fédération : le Conseil national pour le respect de l’accord d’Arusha et la restauration d’un Etat de droit au Burundi (CNARED). Léonard Nyangoma en a été désigné président. Un peu plus tard à Entebbe, une nouvelle réunion a permis de mettre en place des commissions de travail et de choisir deux vice-présidents.
Les membres du Directoire de la CNARED se sont retrouvés à Bruxelles entre mercredi 9 et samedi 12 septembre. « Il s’agissait de parachever nos accords et de fixer une feuille de route », commente un des participants. En quelque sorte, établir le début d’un programme de gouvernement alternatif. Le Directoire a « arrêté la stratégie globale à poursuivre » et les moyens d’action.
« La recherche d’une solution politique négociée à cette crise ».
On trouvera ici le document émis par la CNARED. C’est le cri d’alarme de Burundais qui voient leur pays se désintégrer jour après jour et s’isoler de la communauté internationale « dans un environnement de pré-guerre civile ».
Devant cette situation, le Conseil national pour le respect de l’accord d’Arusha et la restauration d’un Etat de droit au Burundi a adopté quatre motions, dont on lira l’intégralité dans le document joint.
– D’abord, le retour à la légalité, en oubliant les « mascarades d’élections » de ces derniers mois. Le CNARED appelle à des sanctions ciblées contre le président Nkurunziza « et son cercle de pouvoir illégal et illégitime ». Cependant, l’opposition n’indique pas comment le président doit quitter le pouvoir. Elle se garde de toute formulation qui pourrait ressembler à un appel à l’insurrection générale.
– Ensuite, le rétablissement des libertés publiques. Avec le retour à la liberté de manifester pacifiquement sur l’ensemble du territoire (un droit aujourd’hui réservé aux tenants du pouvoir). Le rétablissement de la liberté de la presse, la restauration d’une justice indépendante, avec des avocats libres de leur exercice professionnel. Tout ceci afin de cesser de criminaliser l’opposition.
– L’arrêt du bradage du patrimoine national. Les sociétés qui passeraient des marchés avec un pouvoir illégal (généralement par la corruption) doivent savoir que ces contrats seront caducs dès le départ de Pierre Nkurunziza.
– La dénonciation de la tentation de recrutement de mercenaires par le cercle du pouvoir. Des informations de bonne source montrent que le président Nkurunziza tente d’obtenir de l’Afrique du Sud une garde prétorienne qui remplacerait ses forces de sécurité personnelles. En aucun cas une force étrangère ne doit intervenir au Burundi sans mandat clair de l’Union Africaine ou de l’ONU.
– S’agissant des milices du président, notamment les Imbonerakure, la CNARED recommande la désobéissance civile, « droit inaliénable de la population burundaise ».
– Enfin, concernant la problématique des négociations, la CNARED exprime sa confiance et son soutien au médiateur Yoweri Museveni, président de l’Ouganda, et appelle la communauté internationale à renforcer ses prérogatives.
Les motions s’achèvent par un vibrant appel à la communauté internationale à assurer « la recherche d’une solution politique négociée à cette crise ».
La crise politique au Burundi est suivie avec beaucoup d’attention dans les pays voisins, notamment par les habitants de RDC confrontés à la problématique d’un troisième mandat, inconstitutionnel et très contesté, du président Kabila. En Afrique comme en Europe, aux Etats-Unis et à l’ONU, les diplomates sont convaincus que mettre fin au pouvoir illégitime de Pierre Nkurunziza permettrait de stabiliser toute la région des Grands lacs.
Reste à s’en donner les moyens, pour appuyer la courageuse opposition politique burundaise…
Jean-François DUPAQUIER