Fondateur du Mouvement pour la solidarité et le développement (MSD), l’opposant burundais en exil déplore le peu d’engagement de la communauté internationale pour résoudre la crise politique à Bujumbura. Alexis Sinduhije estime que l’inertie des Occidentaux aggrave le risque de conflagration générale en Afrique centrale.
AFRIKARABIA : – Le président burundais Pierre Nkurunziza s’apprête à faire modifier la Constitution dans l’intention – semble-t-il – d’exercer son mandat à vie. Comment analysez-vous ce qui apparaît comme le point d’orgue de l’écrasement de toute opposition politique à l’intérieur du Burundi ?
Alexis SINDUHIJE : – La question déborde le cadre constitutionnel. Effectivement le président illégitime et prédateur a instauré un régime de terreur depuis 2015. Son objectif premier était de briguer un nouveau mandat en violation de la Constitution issue des Accords d’Arusha. Depuis deux ans, les tueries d’opposants, l’exil forcé des rescapés, lui permettent de mettre à bas les Accords, signés voici dix-sept ans, auxquels il prétendait s’être rallié. Cette frénésie de pouvoir absolu est suicidaire pour le Burundi. En effet le compromis politique d’Arusha, laborieusement imposé par la communauté internationale, permettait un partage du pouvoir à tous les niveaux. Les accords de paix constituaient le socle des espoirs des Burundais en matière de progrès économique et social. Faut-il rappeler que notre pays, déchiré par l’ethnisme et les guerres civiles depuis un demi-siècle, se classe parmi les plus pauvres du monde ?
AFRIKARABIA : – Pourtant, rien ni personne ne semble pouvoir empêcher Pierre Nkurunziza de réviser la Constitution à son profit ?
Alexis SINDUHIJE : – Derrière la question de révision qui peut passionner les constitutionnalistes, il y a la réalité sociale quotidienne des Burundais : la misère, le délabrement du système de santé et de tous les services publics, la flambée des prix. Le problème, ce n’est pas la Constitution, c’est l’illégitimité du président. Les Burundais sont plongés dans la crise par sa faute. Le pays restera dans cette situation aussi longtemps que ce président illégitime, qui se prétend investi par Dieu, sera libre de conduire le Burundi au naufrage.
AFRIKARABIA : – Ca peut durer longtemps. Ceux qui soutiennent le président bénéficient de statuts avantageux et peuvent s’y accrocher…
Alexis SINDUHIJE : – Les privilégiés ne sont qu’une poignée. Les fonctionnaires souffrent de la situation presque autant que la société civile ; ils ne se montrent loyaux vis-à-vis du régime du président illégitime que du bout des lèvres, par peur et par opportunisme. Prenons le cas d’un fonctionnaire de rang intermédiaire en milieu urbain, avec un traitement mensuel de 300 000 francs burundais (FBU), soit environ 90 euros. Pour nourrir correctement sa famille, il lui faut dépenser environ 30 000 FBU par jour (9 euros). Comment peut-il garder confiance en un président qui se prétend investi par Dieu, lorsqu’il rentre à la maison et que la famille a faim ?
Des centaines de milliers de Burundais se sont réfugiés dans les pays voisins depuis les violences commises par les policiers et les miliciens, en particulier les viols massifs des Imbonerakure. On oublie souvent de dire qu’ils ont également fui la misère, la famine, l’arbitraire, jugeant moins risqué de s’entasser dans des camps…
AFRIKARABIA : – Cette situation justifie-t-elle la lutte armée qui vous est reprochée ?
Alexis SINDUHIJE : – La lutte armée n’est qu’une option parmi d’autres. Faut-il laisser le monopole de la violence au président prédateur et à sa clique pour maintenir les Burundais en coupe réglée ? Le retour à la légitimité dépend largement de la communauté internationale. Or l’idée d’une intervention armée pour déposer ce président « investi par Dieu » et rétablir les Accords d’Arusha a été lancée par des Etats occidentaux. Durant le pic de violence de 2015, on a aussi entendu parler du scénario d’une intervention de la MONUSCO depuis Bukavu. Par la suite, les protestations de l’Union africaine ont fait remiser ce scénario aux oubliettes.
AFRIKARABIA : – Je précise ma question. Votre formation politique, le Mouvement pour la solidarité et le développement, soutient-il la rébellion des Forces populaires du Burundi (FPB) ?
Alexis SINDUHIJE : – C’est l’accusation habituelle du régime pour tenter de discréditer les opposants, qualifiés de factieux, de séditieux, que sais-je encore…. On m’a accusé, parmi d’autres, d’avoir participé à la tentative de putsch du 13 mai 2015. Le régime m’accuse aussi d’être à la tête de la rébellion armée. Des mandats d’arrêt internationaux sont lancés contre tous les opposants notables, ce qui ridiculise l’Etat burundais aux yeux d’Interpol. Désormais, les pays occidentaux refusent de prendre en compte de tels mandats. Chacun a compris la dimension ubuesque du président illégitime. La criminalisation de toute opposition politique ne favorise pas le débat, je dirai même qu’elle est destinée à empêcher une sortie de crise.
AFRIKARABIA : – Que pensez-vous de l’arrestation en Tanzanie à la demande de Bujumbura du général Jérémie Ntiranyibagira et du lieutenant-colonel Edward Nshimirimana, numéros 1 et 2 des Forces populaires du Burundi (FPB), la principale composante de la nouvelle rébellion burundaise ?
Alexis SINDUHIJE : – Il est clair que ces deux personnes, ainsi que les deux autres cadres arrêtés avec eux, sont en danger de mort, pour autant que tous n’aient pas déjà été assassinés. Seule une mobilisation internationale pourra les sauver. S’il est encore temps.
AFRIKARABIA : – Les opposants burundais en exil ont créé le Conseil national pour le respect de l’Accord d’Arusha pour la paix et la réconciliation au Burundi et de l’Etat de droit (Cnared) dont vous faites partie, mais où vous semblez occuper une place à part, certains disant même que vous faites cavalier seul. Est-ce que vous « jouez perso » ?
Alexis SINDUHIJE : – Ca, c’est le « story telling » de Bujumbura pour tenter de nous diviser. Ils propagent l’idée que le Cnared, est fracturé entre « modérés » et « radicaux ». Pourtant ils nous mettent tous dans le même sac, en refusant toute discussion avec les uns ou les autres.
AFRIKARABIA : – Vendredi dernier 27 octobre, le Burundi a été le premier pays à quitter la Cour Pénale Internationale permanente (CPI). Que vous inspire ce geste ?
Alexis SINDUHIJE : – Vous aurez noté que le pouvoir burundais a appelé la population à des manifestations de grande envergure à travers tout le pays samedi dernier [NDLR : samedi 28 octobre 2017] pour fêter sa sortie de la CPI. Se faire applaudir par ses victimes est le comble du cynisme. Ca me rappelle une image de la Shoah : l’orchestre composé de musiciens juifs « régalait » les prisonniers à leur retour du travail le soir, à proximité de l’inscription ricanante « Le travail rend libre ».
La Cour pénale internationale a été créée il y a quinze ans à La Haye pour poursuivre les auteurs des pires atrocités dans le monde. C’est le seul tribunal permanent qui juge les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité Je pense que les citoyens du monde épris de justice et de paix partagent mon indignation face à cette décision illégitime du président illégitime. [NDLR : lire ici le communiqué du collectif des avocats des parties civiles]
Le retrait du Burundi de la CPI intervient à peu près au moment où on apprend l’arrestation à l’aéroport Charles-de-Gaulle de François Compaoré – le petit frère du dictateur burkinabé déchu en octobre 2014 – en vertu d’un mandat d’arrêt international émis par le juge Yaméogo, qui enquête sur l’assassinat du journaliste Norbert Zongo et de ses compagnons de route, le 13 décembre 1998 au Burkina Faso.
Les proches des journalistes tués au Burundi depuis 2015 doivent savoir que ces crimes ne resteront pas davantage impunis Je pense à la famille de Christophe Nkezabahizi massacré avec sa femme, ses enfants et ses invités, à celle de Jean Bigirimana, du journal Iwacu, porté disparu depuis plus d’une année… pour ne citer que ceux-là.
[NDLR : Christophe Nkezabahizi était journaliste/cadreur à la Radio-Télévision nationale du Burundi RTNB ; ce cameraman a été tué par des policiers le 13 octobre 2015 devant son domicile avec sa femme Alice Niyonzima, leur fille de 16 ans et des amis, dont un adolescent handicapé mental. Jean Bigirimana a été enlevé le 22 juillet 2016 à quelques kilomètres de Bujumbura par les redoutés services de renseignement. Il aurait été tué peu après]
AFRIKARABIA : – Quels seront les effets du départ du Burundi de la CPI ?
Alexis SINDUHIJE : – Une enquête préliminaire a été lancée en avril 2016 par le procureur général de la Cour, Fatou Bensouda, à la suite de rapports de « meurtres, emprisonnements, tortures, viols et autres formes de violence sexuelle, ainsi que des cas de disparitions forcées ». Des centaines de personnes ont déjà témoigné. L’enquête se poursuivra. Mon seul regret provient du fait que la Chambre de la CPI n’ait pas validé avant le 27 octobre l’organisation d’investigations au Burundi par ses propres enquêteurs. Si elle l’avait fait, l’Etat burundais se serait retrouvé dans l’obligation de coopérer indéfiniment aux enquêtes. Dorénavant, il n’a plus cette contrainte. Ca va sans doute compliquer le travail des enquêteurs, mais la CPI reste compétente pour tous les crimes commis jusqu’au 27 octobre 2017. Le président illégitime ne pourra échapper tôt ou tard à l’examen de ces crimes par la CPI.
Par ailleurs je doute que beaucoup de pays d’Afrique suivent le geste du prétendu président du Burundi, pour ne pas paraître s’aligner sur un tel régime.
AFRIKARABIA : – Que pensez-vous de la démarche de la représentante américaine Nikki Haley auprès du président de RDC Joseph Kabila pour le presser d’organiser au plus vite les élections générales, en toute hypothèse avant la fin de 2019 ?
Alexis SINDUHIJE : – On est frappé de la similitude du blocage du processus électoral à Kinshasha et à Bujumbura. J’ai lu avec beaucoup d’intérêt les informations d’AFRIKARABIA sur ce sujet. Vous montrez que la venue de la représentante de Donald Trump a obligé le régime à desserrer l’étau sur l’opposition, ce qui prouve que la pression diplomatique peut payer. Même si l’effet de cette pression est provisoire, et donc à renouveler.
Au Burundi comme en RDC, malgré les rodomontades du président illégitime, le régime est également très sensible aux pressions internationales.Les quelques sanctions déjà prises ont un effet perceptible : l’Etat manque de devises, il éprouve des difficultés à financer sa politique répressive.
AFRIKARABIA : – Croyez-vous que Pierre Nkurunziza et Joseph Kabila ont accordé leurs agendas respectifs ?
Alexis SINDUHIJE : – Ces deux autocrates cyniques et démonétisés sont prêts à tout pour repousser les exigences de la communauté internationale. Ils profitent d’une situation devenue très dangereuse depuis la rive Atlantique, jusqu’à l’Océan Indien. L’ONU doit renforcer la mission des Nations unies en Centrafrique (Minusca) qui compte déjà environ 10.000 Casques bleus opérationnels, sauf à voir le chaos s’installer.
En RDC, la Monusco mobilise plus de 20.000 hommes pour un coût annuel dépassant un milliard de dollars, à peu près en pure perte. Au Darfour, au sein de la Minuad, mission conjointe avec l’Union africaine, les Casques bleus se sont complètement discrédités. Le Sud-Soudan est à l’agonie, le Kenya sombre à présent dans le chaos. L’ethnisation de la compétition politique y est très dangereuse.
Je reviens à votre question sur l’agenda du président illégitime du Burundi et de Joseph Kabila. Que font le Burundi et la RDC en ce moment ? Les ministres des Affaires étrangères et ceux de la Défense des deux pays se sont retrouvés, mardi 24 et mercredi 25 octobre, à Bujumbura avec pour objectif le « renforcement de la paix et de la sécurité à leur frontière commune » par « des opérations communes des deux côtés de la frontière. »
Derrière ce discours convenu, il y a des raisons de penser que l’objectif commun est de favoriser des actes hostiles contre le Rwanda, pour mobiliser des opinions publiques travaillées par la propagande ethniste et prêtes à s’enflammer dans une chasse aux Tutsi. Ce discours de haine est parfaitement documenté, en particulier au Burundi. Depuis trois ans circulent des informations sur un plan d’attaque du Rwanda depuis la RDC et le Burundi par les FDLR, la résurgence des ex-Forces armées rwandaises, associées aux Imbonerakure, la milice du président « investi par Dieu ».
Même s’il faut se méfier des anachronismes, la situation du chef de l’Etat burundais fait penser à celle de feu le président Juvénal Habyarimana du Rwanda avant le génocide des Tutsi : un autocrate prêt à provoquer l’Apocalypse pour conserver le pouvoir.
AFRIKARABIA : – Vous êtes en exil, beaucoup de vos militants au Burundi ont été tués, votre mouvement d’opposition, comme les autres, est interdit d’expression dans votre pays, que pouvez-vous faire pour peser sur l’avenir du Burundi ?
Alexis SINDUHIJE : – Notre parti, le Mouvement pour la solidarité et le développement, a rendu publique une « feuille de route » avec nos propositions pour sortir de la crise politique. Nous en appelons aux chefs d’Etat de la région. Sans leur aide, rien ne pourra changer avant longtemps. S’ils n’agissent pas, ils devront accueillir toujours plus de réfugiés et le régime du président illégitime continuera à souffler sur les braises de la violence. Ils doivent comprendre que non seulement les Burundais sont plongés dans la misère et le désespoir, mais que la région des Grands Lacs est menacée d’embrasement.
AFRIKARABIA : – La Tanzanie semblait décidée à jouer un rôle de médiateur entre l’opposition en exil et Pierre Nkurunziza. L’arrestation des chefs des Forces populaires du Burundi, dont Bujumbura réclame l’extradition, ne ruine-t-elle pas cette médiation ?
Alexis SINDUHIJE : – Comme je l’ai souligné, la situation est très dangereuse, non seulement au Burundi, mais dans toute la région. Il y a un risque de conflagration régionale. Notre objectif reste la tenue d’élections libres, justes et transparentes sous le contrôle de la communauté internationale, la libération des prisonniers politiques, le retour des réfugiés, le démantèlement des milices, le rétablissement de la démocratie et notamment de la presse privée et indépendante.
Nous ne cesserons de dénoncer l’idéologie de la haine du régime qui conduit le Burundi et toute la région à l’abîme. Comme tous les autres peuples, les Burundais ont droit à la paix, à la démocratie et à la prospérité.
Propos recueillis par Jean-François DUPAQUIER