Scrutin reporté trois fois, incendie du matériel électoral, élections repoussées dans deux zones de conflit, bureaux de vote supprimés à Kinshasa, huit millions d’électeurs fictifs, une machine à voter contestée… les élections générales du 30 décembre risquent de plonger la République démocratique du Congo (RDC) dans une nouvelle période d’instabilité.
Folles élections en République démocratique du Congo (RDC) ! Après le report d’une semaine de la présidentielle, des législatives et des provinciales, pour des raisons « logistiques », la Commission électorale (CENI) vient de nouveau de jeter le trouble sur le scrutin du 30 décembre. La CENI vient d’indiquer, à quatre jours du vote, que les élections seront reportées au mois de mars dans deux zones pour des raisons « sanitaires et sécuritaires ». Soit trois mois de report ! La région de Beni est en proie à des attaques fréquentes de rebelles musulmans ougandais (ADF) et à une épidémie d’Ebola qui a fait plus de 300 morts, explique la CENI. À Yumbi, au moins 80 personnes ont été tuées dans la soudaine éruption de violences communautaires qui a touché la province du Maï-Ndombe au nord de Kinshasa, au bord du fleuve Congo.
« Un prétexte fallacieux »
Ce report partiel concerne 1.256.117 électeurs (sur 40 millions), qui doivent désigner, après déjà trois reports de scrutin, le successeur du président Joseph Kabila, au pouvoir depuis janvier 2001. Cette nouvelle péripétie passe mal aux yeux de l’opposition congolaise, qui attend avec impatience les élections depuis décembre 2016. Martin Fayulu, candidat de la coalition Lamuka, met en garde la CENI « contre toute tentative d’annuler les élections à Beni ville, Beni territoire et Butembo ». L’opposant estime que « ce prétexte d’Ebola est fallacieux, car il y a bien eu campagne dans ces contrées. C’est une énième stratégie pour détourner la vérité des urnes ». Il faut dire que le candidat de Lamuka a remué les foules dans ces régions, abandonnées par les autorités congolaises qui peinent à juguler l’insécurité, tout comme l’épidémie d’Ebola.
Punir l’opposition
Pour beaucoup d’observateurs, le report du vote dans ces régions de l’Est pénalise essentiellement l’opposition congolaise et particulièrement Martin Fayulu, qui est soutenu par un baron local, Mbusa Nyamwisi, très influent dans le Nord-Kivu. Du côté de la société civile, c’est également l’incompréhension. La coordination provinciale de la société civile du Nord-Kivu invite même la population du territoire et de la ville de Beni et de Butembo « à se rendre aux bureaux de vote ce 30 décembre 2018 ». Selon ces mouvements citoyens, cette décision est « purement politique » et rappellent que, malgré Ebola, « les cours, les cultes, les matchs, les réunions, les meetings, les marchés se déroulent normalement » dans toute la région. Même son de cloche pour le secrétaire général de la Conférence épiscopale nationale du Congo (CENCO), l’abbé Donatien N’shole, qui trouve cette décision « incohérente ». Pire, cette décision pourrait ranimer les violences. « Les habitants de Beni, sont déjà physiquement massacrés. Je ne veux qu’ils le ressentent aussi comme un assassinat de leurs droits civiques » prévient le patron de la très puissante CENCO. Pour la coalition au pouvoir (FCC), on fait plutôt profil bas. On « comprend la CENI et on appelle au calme ».
Situation ubuesque
Il est vrai que cette décision en a étonné plus d’un. Tout d’abord parce que d’autres provinces congolaises sont touchées par des conflits, comme les Kasaï ou le Sud-Kivu, sans report du scrutin. Ensuite, il est étrange de faire voter les électeurs de Beni et Butembo pour une élection dont ils connaîtront les résultats… depuis presque trois mois. Si le vainqueur de la présidentielle à un seul tour est élu avec moins d’un million de voix d’écart, le résultat pourrait être contesté, même si l’opposition a bien d’autres raisons de remettre en cause le scrutin.
Ce report partiel pourrait également avoir une incidence sur les élections législatives, qui constituent un enjeu crucial pour l’ensemble des formations politiques congolaises. En effet, la nouvelle loi électorale fixe désormais un seuil de représentativité de 1% aux législatives, afin d’empêcher trop de « petits partis » d’envoyer des députés à l’Assemblée nationale. Avec 1,2 millions d’électeurs en moins le 30 décembre, les calculs s’en trouvent faussés.
Des bureaux fermés à Kinshasa
Enfin, dernière mauvaise nouvelle pour l’opposition, l’incendie de l’entrepôt de la CENI à Kinshasa ne permettra pas d’ouvrir l’ensemble des bureaux de vote de la capitale. Certains bureaux seront supprimés. L’opposition, très forte à Kinshasa, craint que par ce tour de passe-passe, le pouvoir ne cherche à créer le désordre dans ces bureaux, avec des électeurs désorientés et des files d’attente plus longues, ce qui ne permettraient pas à tous les Kinois de voter dans la journée.
Ce chaos annoncé vient se rajouter à un scrutin déjà fortement contesté. L’utilisation de la machine à voter et ses risques de fraudes – voir notre article -, en passant par les huit millions d’électeurs sans empreintes digitales, et l’absence d’observateurs de l’Union européenne et du Centre Carter… Bref, ce scrutin à huis clos, cousu main pour faire perdurer le pouvoir de Joseph Kabila, risque fort de déclencher une crise post-électorale aigüe.
Christophe RIGAUD – Afrikarabia
L’article intéressant.
A la lecture de cette article, on en vient à se demander si ce n est pas le chaos que vous annoncez depuis mtn 2 ans, que vous souhaitez qu’il se produise réellement. Soyez sur qu’en cas de désordre, de chaos et de violente contestation, ce ne sont les caciques de la kabilie qui en paieront le prix. Si certains devront nécessairement prendre l’exil pour éviter les violences physiques, d’autres continueront toujours à exercer leur influence néfaste sur le nouveau régime. Combien d’ancien mobutistes ont été véritablement victime lors de l’avènement de l afdl? Beaucoup se sont même retrouvé dans le gouvernement du père kabila et du fils kabila lors des gouvernements d’union nationale qu’ils ont du constituer. Les victimes seront encore et toujours le « petit » peuple. Le cycle électoral est très loin d’être parfait (c est le moins que l’on puisse dire) mais dans une région où 3 président (sassou, museveni, kagame) totalisent à eux seuls 84 ans de pouvoir et rajouter à cela un pays qui n’a jamais connu aucune passation civilisée du pouvoir entre un président sortant et un président élu. On peut légitiment considérer qu’un président qui cède sa place, est une avancée pour le pays. Il est aussi légitime de vouloir tout et tout de suite. Vouloir des élections en RDC conforme au standard européen. Exiger du pouvoir davantage de bonne foi et de consensus dans l’organisation cette grande consultation nationale. Mais faut il aussi rappeler que le pays en est à son troisième cycle électoral dans la période récente (2006 conflits et morts post-électoraux mais Kabila au pouvoir, 2011 conflits et morts post-électoraux mais Kabila au pouvoir, 2018 conflits et morts post-électoraux?) et à son sixième depuis son histoire (1957 fini par une indépendance sans préparation, 1960 fini en coup d’état, 1965 fini en coup d’état) et que Rome ne s’est pas construite en un jour. Les impatiences sont nombreuses et juste, j’en conviens, et l’on peut vouloir une confrontation dure avec le régime voir même la guerre civile mais cela serait dans quel intérêt? Qu est ce que le pays va y gagner et le peuple? Que l opposition fasse son travail de contestation est fort légitime, mais à un moment le pays doit avancer et continuer à consolider les acquis institutionnels, certes encore faible et dysfonctionnels, que nous avons obtenu. Faudrait il toujours tout recommencé? Une guerre après une autre? La tabula rasa de Mobutu a t elle aidé le pays? De même que celle de kabila père? Je suis loin d approuver les méthodes du régime mais je crois à l’évolution de ce pays, pas après pas et pierre après pierre.
Un patriote
Le chaos n’est pas souhaité… il est malheureusement déjà là.