Pour l’opposant djiboutien Mahamoud Djama, la réélection du président Ismaïl Omar Guelleh est « jouée d’avance » dans un scrutin qui sera tout sauf transparent. Membre du MRD, il demande aux Djiboutiens de boycotter l’élection présidentielle d’avril et à la communauté internationale de ne pas cautionner « une mascarade électorale ».
Election présidentielle sous haute tension le 8 avril prochain à Djibouti. Alors que le pays s’enfonce dans une violente répression policière, l’état d’urgence instauré par le pouvoir a fini par museler les rares opposants qui ne sont pas en prison ou en exil. En décembre dernier, des affrontements entre forces de sécurité et opposants ont fait entre 9 et 34 morts selon les sources – voir notre article. Dans ce contexte de verrouillage démocratique, il fait peu de doute que le président Ismaïl Omar Guelleh soit reconduit pour un quatrième mandat. L’opposition, réunie dans une coalition de huit partis, l’Union pour le salut national (USN), avance divisée. Certains partis d’opposition ont décidé de participer au scrutin en présentant des candidats à la présidentielle, alors que les partis historiques de l’USN prônent un boycott de l’élection. A l’instar du Mouvement pour le renouveau démocratique et le développement (MRD), qui estime que les conditions d’une élection libre et transparente ne sont pas respectées. Mahamoud Djama, est chargé des relations extérieures du MRD en France.
Afrikarabia : quelle est la position du MRD au sein de la coalition de l’USN pour l’élection présidentielle d’avril ?
Mahamoud Djama : Chacun a sa stratégie et ses principes au sein de l’USN. Le MRD a décidé de rester sur ses positions : « pas de CENI (Commission électorale), pas d’élection ». Ces élections sont pour nous une simple mascarade. Il n’y a eu aucun changement depuis les élections de 2013 qui se sont transformées en hold-up électoral du pouvoir. L’accord-cadre qui a été signé par la suite en 2014, n’a jamais été respecté. Le nouveau statut de l’opposition qui était prévu n’a jamais été mis en place et la Commission électorale (CENI) n’est toujours pas indépendante et paritaire. Dans ce contexte, nous ne voyons pas pourquoi nous participerions à ce simulacre d’élection qui a pour seul but de valider la réélection d’Ismaïl Omar Guelleh.
Certains partis au sein de l’USN comme le Centre des démocrates unifiés (CDU) et le Parti djiboutien pour le développement (PDD) ont décidé de présenter un candidat à la présidentielle, pour quelles raisons ?
J’aurai bien aimé qu’ils vous répondent. Il faut juste savoir que l’USN était au départ composée des trois principaux partis d’opposition : Mouvement pour le renouveau démocratique et le développement (MRD), l’Alliance républicaine pour le développement (ARD) et l’Union pour la démocratie et la justice (UDJ). En 2013, nous avons intégré de nouveaux partis qui n’ont pas notre longue histoire. Ils sont sans doute en train d’apprendre la lutte démocratique. Mais aucun des partis « historiques » ne participeront à ces élections, à part des partis « clonés » et pré-fabriqués par le régime. La vraie opposition ne participera pas au scrutin.
La réélection du président Ismaïl Omar Guelleh est déjà jouée d’avance ?
Ce n’est même plus une élection, c’est une intronisation. Tout est joué d’avance. Mais les choses auraient pu se passer différemment. Il y a deux ans, on avait demandé à l’ensemble de l’opposition d’organiser des primaires pour choisir un candidat unique, mais cela n’a pas été possible.
Qu’attendez-vous de la communauté internationale ?
Nous leur demandons de ne pas valider cette mascarade électorale. En envoyant des observateurs, on redonne une légitimité internationale au président Guelleh. N’envoyez surtout pas des observateurs à Djibouti ! Il ne faut pas cautionner ces élections. Le fichier électoral n’est pas crédible, les cartes d’identité ne sont pas fiables, on ne sait plus qui est Djiboutien et qui ne l’est pas. L’ensemble du processus électoral est complètement faussé.
Vous attendez encore quelque chose de la France ?
Oui, qu’elle ne valide pas cette élection. La France sait très bien ce qui se passe à Djibouti. Elle ne doit pas faire les mêmes erreurs qu’avec d’autres pays africains. Elle doit tenir compte de la réelle volonté du peuple djiboutien qui souhaite amener le régime à organiser de vraies élections.
Quel sera votre mot d’ordre à la population pendant ces élections ?
Nous demandons aux Djiboutiens de faire une journée ville morte. Personne ne doit aller voter. Il faut que la communauté internationale voit la volonté de changement du peuple djiboutien. Mais attention, on a vu ce qui s’est passé en Tunisie, le peuple djiboutien peut se réveiller.
La population peut-elle descendre dans la rue ?
Il y a un paradoxe à Djibouti. Le pays n’a jamais eu autant d’argent et pourtant, tous les indicateurs économiques sont au rouge. La dette a explosé avec 83,3% du PIB en 2016. Le chômage s’est envolé pendant la présidence Guelleh, avec 42,3% de chômeurs en 2015. L’insécurité alimentaire frappe les Djiboutiens à plus de 79%. La situation est catastrophique et donc tout est possible.
La répression continue contre l’opposition ?
Des responsables politiques, dont le secrétaire général de l’USN, sont encore en prison, d’autres ont fui le pays, certains ont été blessés par balle pendant la répression de décembre 2015. Combien de massacres ou d’exécutions extra-judiciaires les Djiboutiens peuvent-ils encore supporter ? Après le massacre d’Arhiba en décembre 1991, et le massacre de Buldhoqo en décembre 2015… c’est quoi la suite ? Le réveil du peuple djiboutien est une nécessité. Le régime poursuit l’humiliation et les atteintes aux droits humains. Mais attention, en refusant l’évolution par les urnes, le régime se condamne à une révolution dans la rue.
Comment est-ce que vous envisagez l’après-élection ?
Nous devrons faire un bilan avec l’ensemble de l’opposition. Après ces élections, il faudra sans doute partir sur une autre base de travail, en tenant compte notamment des militants qui ne doivent plus être spectateurs de la vie politique djiboutienne. Il faudra un véritable changement de stratégie dans l’opposition.
Propos recueillis par Christophe RIGAID – Afrikarabia