Le rapport annuel d’Amnesty International dresse un premier bilan contrasté de l’état des droits de l’homme un an après l’arrivée de Félix Tshisekedi à la tête de la République démocratique du Congo (RDC).
Le président Tshisekedi avait promis de « déboulonner le système dictatorial qui était en place ». Pour voir la promesse se réaliser, il faudra encore un peu de patience. Car en guise d’alternance, le nouveau président s’est vu dans l’obligation de composer avec la plateforme politique de Joseph Kabila. Le Front Commun pour le Congo (FCC) de l’ancien président s’est en effet emparé d’une majorité écrasante à l’Assemblée nationale, au Sénat et dans les Assemblées provinciales. Un étrange partage du pouvoir, issu d’une élection contestée, où des fuites du serveur de la Commission électorale (CENI) n’avait pas donné Félix Tshisekedi gagnant, mais plutôt son autre concurrent de l’opposition, Martin Fayulu. Les chefs d’Etat et de gouvernement de la région avaient conclu à « des doutes sérieux » quant à la crédibilité des résultats provisoires de la CENI. Depuis un an, Félix Tshisekedi tente de s’émanciper de l’emprise du FCC et de la mainmise de Joseph Kabila sur la justice, les entreprises d’Etat, les services de sécurité et l’armée. Un défi titanesque que le nouveau président peine à mettre en oeuvre.
Des violences armées toujours meurtrières
Dans son rapport annuel sur l’état des droits de l’homme dans le monde, Amnesty International revient sur la situation en République démocratique du Congo (RDC) depuis l’accession à la présidence de la République de Félix Tshisekedi. La première source d’inquiétude pour Amnesty vient des multiples conflits armés qui sévissent encore au Congo. Fin décembre 2019, 1.500 civils ont été tués, plusieurs milliers blessés et 1 million de personnes ont été déplacées dans les provinces du Maï-Ndombe, à l’Ouest, mais aussi à l’Est, en Ituri, et au Nord et Sud-Kivu. Le report note que les atteintes aux droits de l’homme ont mis en évidence « l’incapacité des forces de sécurité – elles-mêmes responsables de très graves violations des droits humains – et des forces de maintien de la paix de l’ONU, à garantir de façon effective la protection de la population civile et à rétablir la paix ».
L’impunité… toujours
Dans cette lutte contre les violences armées, les autorités ont certes « déférer à la justice des auteurs d’atteintes aux droits humains », mais Amnesty relève encore une certaine impunité des hauts responsables congolais. Dans le cas des massacres dans la région des Kasaï, où plus de 3.000 personnes sont mortes, « plusieurs personnalités politiques et hauts responsables soupçonnés de graves atteintes aux droits humains occupaient toujours, ou se sont vu octroyer, des postes haut placés dans des institutions publiques, y compris au sein de l’armée et de la police ». Dans la province du Maï-Ndombe, où 600 civils ont été tués fin 2018 dans des violences interethniques, « aucune avancée n’a été notée en ce qui concerne les poursuites judiciaires ».
Une justice atone
Au Nord-Kivu, un mandat d’arrêt a été émis par la justice militaire congolaise contre Guidon Shimiray Mwisa, le chef de la milice Nduma Defence of Congo-Rénové (NDC-R) pour « crimes de droit international, notamment pour des meurtres, des viols massifs et le recrutement d’enfants perpétrés par cet individu ou sa milice ». Depuis, ces miliciens sévissent toujours au Nord-Kivu, et les autorités n’ont visiblement « pas pris les mesures nécessaires pour faire exécuter le mandat d’arrêt et déférer Guidon Shimiray Mwisa ». Le procès de Ntabo Ntaberi Sheka, chef d’une faction de la milice NDC, est sans cesse repoussé « sans raison valable ». Son groupe armé est « présumé responsable de crimes, tels que le viol d’au moins 387 femmes, hommes et enfants durant l’année 2010 ».
Gédéon court toujours
Dans la riche province minière de l’ex-Katanga, un autre chef de guerre nargue régulièrement les autorités congolaises. Il s’agit de Gédéon Kyungu Mutamba. Entre 2002 et 2006, Gédéon opérait dans le « triangle de la mort ». Des centaines de civils ont été tués et quelque 150.000 autres ont été contraints de fuir. Inculpé de crimes contre l’humanité à Lubumbashi en 2009, Gédéon s’était évadé en 2011 « et continuait de jouir de la liberté dans une villa financée par l’État » dénonce Amnesty. Le rebelle se rend en 2016, et le gouvernement de Joseph Kabila le place en résidence surveillée, échappant ainsi à la case prison. Le 28 mars 2020, les miliciens de Gédéon marchent sur Lubumbashi et Likasi. 2 policiers sont blessés et 31 miliciens sont abattus et Gédéon s’échappe de sa résidence surveillée. Félix Tshisekedi a donné l’ordre d’interpeller Gédéon, qui reste pour le moment introuvable.
Ntaganda condamné
L’armée congolaise, qui peine toujours à ramener la sécurité dans la région de Beni, a annoncé avoir tué Sylvestre Mudacumura, le chef militaire des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR). Ce milicien était recherché par la Cour pénale internationale (CPI), qui avait délivré contre lui un mandat d’arrêt en 2012 pour des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité. Il ne pourra donc pas être jugé, à la différence d’un autre chef de guerre, Bosco Ntaganda, que la CPI a condamné à 30 ans d’emprisonnement pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité perpétrés dans l’Est de la province de l’Ituri en 2002 et 2003.
Décrispation politique
Le bilan 2019 d’Amnesty International est nettement plus positif concernant la liberté d’expression au Congo. « En mars, les autorités ont annoncé que plus de 700 personnes avaient été libérées de prison et que tous les lieux de détention illégaux gérés par l’Agence nationale de renseignements (ANR) avaient été fermés sur ordre du président ». Parmi ces prisonniers, beaucoup avaient été enfermés pour « délit d’opinion » ou « détention arbitraire ». De nombreux militants, opposants politiques, journalistes, « indésirables » dans la RDC de Joseph Kabila, ont été autorisés à rentrer au pays. La décrispation politique a sans doute été la principale mesure en faveur de la liberté d’expression du début du mandat Tshisekedi. L’accès aux médias d’Etat a été facilité et la liberté de réunion, la plupart du temps respectée.
Répression encore, et toujours
« Cependant, les autorités civiles et la police ont continué d’interdire et de réprimer violemment, en toute impunité, des manifestations et des rassemblements pacifiques, s’inquiète Amnesty. Les pouvoirs publics ont instauré l’obligation d’obtenir une autorisation préalable pour la tenue de manifestations, en violation des dispositions de la Constitution ». 35 manifestations ont été interdites en 2019 et 90 manifestants ont été blessés. « En juin, au moins un manifestant est mort à Goma, dans l’est de la RDC ; touché par une balle ». En juillet, le gouverneur de Kinshasa a interdit une manifestation contre Alexis Thambwe la nomination à la présidence du Sénat. Idem en août, ou les forces de sécurité ont réprimé violemment un rassemblement de l’UDPS pour dénoncer la corruption.
Santé, prison, peuples autochtones…
Plusieurs droits fondamentaux sont restreints en RDC. Le droits à la santé reste largement insuffisant. « Selon l’Organisation mondiale de la santé, les épidémies d’Ebola, de rougeole et de choléra ont fait respectivement au moins 1 680, 5 000 et 260 morts. Quelque 310 000 personnes ont été infectées par la rougeole et 12 000 par le choléra ». Les droits des peuples autochtones continuent d’être bafoués. C’est notamment le cas du peuple twa dans l’Est du pays. Les conditions de détention des prisonniers est « exécrable » s’indigne Amnesty, que affirme « qu’au moins 120 personnes détenues sont mortes de faim ou parce qu’elles n’avaient pas accès à l’eau potable ou à des soins médicaux adéquats ». Les prisons sont « fortement surpeuplés et insuffisamment financées ». Plus de 300 détenus se sont évadés en 2019.
Gratuité de l’enseignement
Une note optimiste pour terminer : le droit à l’éducation. A la rentrée, le gouvernement a instauré la gratuité de l’enseignement primaire. La mesure était l’une des promesses phares du président Tshisekedi et était particulièrement attendue par l’ensemble des Congolais. Amnesty relève toutefois que cette avancée a été « a été freinée par une mauvaise planification et un manque d’infrastructures, ainsi que par le financement insuffisant des écoles primaires ». Des millions d’enfants se sont précipités dans les classes, qui se sont rapidement retrouvées débordées. Les enseignants se sont mis en grève pendant plusieurs semaines.
En attente de changement
Les droits de l’homme restent donc largement malmenés en RDC, même si on note quelques améliorations, notamment dans les discours très offensifs du nouveau président Tshisekedi. Mais le passage de la parole aux actes restent insuffisant. Par manque de leviers dans le secteur sécuritaire, mais aussi par manque criant de moyens financiers. Prisonnier de son allié de circonstance, Joseph Kabila, le président Tshisekedi manoeuvre à petits pas… et le changement se fait toujours attendre.
Christophe RIGAUD – Afrikarabia