Franck Appietto, un ancien mercenaire qui avait accompagné Paul Barril en 1994 au Rwanda a été entendu durant 48 heures en garde à vue, sans résultat concret.
Que faisaient l’ancien patron par intérim du GIGN Paul Barril et ses mercenaires au Rwanda en 1994, en plein génocide ? De quel « feu vert » ou « feu orange » de la Direction du Renseignement Militaire (DRM) bénéficiait-il ? La question est posée avec insistance depuis vingt-deux ans. L’ancien ministre français de la Défense Paul Quilès avait évité de creuser cette question lors des travaux de la Mission d’information parlementaire sur le Rwanda qu’il présidait en 1998. La raison invoquée était l’impossibilité d’interférer avec l’enquête menée par le juge Jean-Louis Bruguière sur l’attentat qui avait servi de signal au génocide. Mais on sait aujourd’hui que cette enquête avait été engagée à l’initiative du capitaine Barril et de ses ami haut placés dans l’appareil d’Etat français.
Une enquête biaisée dès le départ
Depuis, il est apparu que tous les dés étaient pipés. Selon plusieurs témoins, Paul Barril était au Rwanda peu avant l’attentat, sinon le jour même. Le 4 avril 1994, Jacky Héraud, le pilote du Falcon 50 de la présidence rwandaise, reconnut Paul Barril près des pistes de l’aéroport de Kigali. A cette époque, l’ancien commandant du GIGN était encore la vedette des médias français et traînait la réputation de quelqu’un qui se trouve toujours là où il y a de gros problèmes passés, présents ou à venir. Jacky Héraud ne l’avait jamais vu auparavant au Rwanda. Troublé, il en parla dans la soirée à son épouse. « Il s’est demandé ce que Barril fabriquait là, sur le tarmac, dans une zone en principe d’accès limité. Et nous partageons la même interrogation », commente Laurent Curt, l’avocat de la veuve du pilote du Falcon 50. Jacky Héraud aurait-il pu se tromper ? Barril fut également aperçu à l’aéroport par Maggy Cuingnet, épouse du chef de la mission civile française de coopération. Elle se rappelle avoir vu Paul Barril « entouré de hauts gradés rwandais. »[i]
Les confidences à géométrie variable de Paul Barril
Lui-même l’a reconnu à mots couverts dans son livre « Guerres secrètes à l’Elysée ». Alors chef mercenaire, il s’est rendu plusieurs fois au « Pays des mille collines » durant le génocide. Il s’est engagé par contrat auprès du gouvernement génocidaire à fournir des instructeurs et des munitions aux Forces armées rwandaises (FAR) alors que le pays était sous embargo de l’ONU ainsi que « 20 hommes spécialisés » [des mercenaires][ii]. Un exemplaire de ce contrat a été retrouvé sur place par des enquêteurs du Tribunal pénal international pour le Rwanda, un autre exemplaire lors d’une perquisition ordonnée par le juge antiterroriste Marc Trévidic chez Paul Barril en France.
En juin 2013, ce document et quelques autres ont amené la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (FIDH), la Ligue des Droits de l’homme (LDH) et l’association Survie à déposer plainte contre Paul Barril pour complicité de génocide au Rwanda auprès du Tribunal de grande instance de Paris du chef de complicité de génocide. En la matière, il n’y a pas de prescription…
Un embargo de l’ONU sur les armes
La FIDH, la LDH et Survie dénoncent la conclusion et l’exécution partielle par Paul Barril de ce contrat de fourniture d’armes et de munitions et de formation et d’encadrement, alors même que le Rwanda était en plein génocide et que la communauté internationale dénonçait ouvertement les multiples violations des droits de l’homme commises dans le pays. C’est dans ce contexte que le Conseil de sécurité des Nations Unies, par une résolution n°918 du 17 mai 1994, avait notamment adopté un embargo sur les armes interdisant la vente et la livraison « d’armements et de matériels connexes de tous types, y compris les armes et les munitions ».
A la suite de la plainte de la FIDH, de la LDH et de Survie, une information judiciaire a été ouverte à l’encontre de Paul Barril pour complicité de génocide sur le territoire du Rwanda.
Paul Barril parle de « matériel de chasse »
Entre l’attentat et le génocide, la présence de Paul Barril au Rwanda a suscité bien des interrogations. Lui-même prétend s’y être rendu très brièvement, à deux reprises. Les perquisitions de ses domiciles et du siège de sa société SECRETS, ordonnées en 2012 par les juges d’instruction Marc Trévidic et Fabienne Poux ont levé une partie du voile[iii].
D’importantes notes de frais figuraient dans un ordinateur de la société sous la rubrique « Mission Kigali » concernant les 20 mai, 24 mai, 2 juin et 21 juin 1994, pour près de 7 millions de francs. Apparemment, des allers et retours en avion Falcon 50. Ainsi que le salaire de quatre hommes « plus vingt hommes à venir », le 20 mai 1994. Exactement l’effectif de mercenaires prévu dans le « Contrat d’assistance » signé avec le gouvernement intérimaire. Enfin 1 500 000 francs HT de « munitions et armements » (environ 300 000 dollars). Paul Barril explique aux deux juges : « La société était habilitée à vendre du matériel de défense et de chasse. Avec l’optique, ça va vite ». Sauf que, en 1994 au Rwanda, le gibier, c’étaient les Tutsi.
Le mystérieux voyage du 6 mai 1994
Le 6 mai 1994, Paul Barril s’est envolé pour Bangui avec ses collaborateurs Marc Poussard, Luc Dupriez, Christophe Meynard, Jean-Marc Souren et Franck Appietto. Léon et Jean-Pierre Habyarimana les accompagnaient. Paul Barril affirme que ce voyage était lié à la sécurité du président centrafricain Patasse, dont il était conseiller en sécurité. Les juges consignent toutes ces explications peu crédibles. Réinterrogé Paul Barril se décrit comme amnésique.
L’entourage direct de l’ancien officier de gendarmerie intéresse le juge. Notamment Franck Appietto, l’un des principaux collaborateurs de l’ex-numéro deux du GIGN suspecté d’avoir apporté son concours aux milices Interahamwe durant le génocide rwandais. Franck Appietto a été interpellé par la gendarmerie mi-avril 2016 à son domicile, dans les Pyrénées.
Plus connu sous le nom de code « Victor », cet ancien membre du 11e Régiment parachutiste de choc (« 11e Choc », bras armé de la DGSE) a été entendu durant quarante-huit heures le mois dernier. « Les gendarmes ont notamment cherché à comprendre les raisons de sa présence à bord d’un Falcon 50 ayant décollé du Bourget à destination du Rwanda le 6 mai 1994, aux côtés de Paul Barril et d’une dizaine d’autres acolytes », écrit La Lettre du Continent[iv].
Selon ce média confidentiel, Franck Appietto est resté très évasif durant son audition. Comme Paul Barril lorsqu’il consentait à livrer quelques explications sur son rôle au Rwanda durant le génocide, Appietto parlerait d’une « mission commerciale ». concernant toujours « la sécurité du président centrafricain Patasse ». Après quarante huit heures de garde à vue, Appietto a regagné son domicile. L’enquête n’a guère avancé.
Jean-François DUPAQUIER
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[i] Christophe Boltansky « Génocide rwandais : les lourds secrets du capitaine Barril », Le Nouvel Observateur, le 08/03/2012.
[ii] Contrat daté du 28 mai 1994 portant sur la fourniture d’armes et de munitions ainsi que d’une vingtaine d’hommes pour la formation et l’encadrement. Il porte la signature de Paul Barril et celle du Premier ministre du Gouvernement intermédiaire rwandais (GIR), Jean Kambanda
[iii] Cabinet de Marc Trévidic et Nathalie Poux , PV d’audition de Paul Barril, 20/12/2012.
[iv] La Lettre du Continent N°728 du 03/05/2016