Le président de l’UNC, Vital Kamerhe, a présenté le 5 octobre son « plan de sortie de crise » du conflit qui secoue l’Est de la République démocratique du Congo (RDC). L’ancien président de l’Assemblée nationale révèle que Kinshasa et le M23 négocient déjà « sous l’égide du président ougandais Museveni » et appelle au dialogue avec le Rwanda. Kamerhe demande également au président Kabila d’ouvrir un débat national avec l’ensemble des partis politiques, de la société civile et de la diaspora congolaise. Si le « plan Kamerhe » semble avancer des évidences, il a au moins le mérite de briser un tabou : la nécessité de réunir tous les protagonistes autour d’une table.
« La nation est en danger« . Pour Vital Kamerhe, l’ancien bras droit de Joseph Kabila, passé à l’opposition depuis 2010, « le péril, ce sont ces guerres récurrentes qui déstabilisent notre pays depuis bientôt deux décennies« . Depuis avril 2012, un nouveau conflit agite le Nord-Kivu et oppose la rébellion du M23 aux forces gouvernementales. Le M23, n’est que le « copier-coller » d’un autre mouvement rebelle, le CNDP, qui avait lui aussi affronté Kinshasa dans la même région, en 2008.
Comment « arrêter la guerre » ?
Selon Kamerhe, le président de l’Union pour la nation congolaise (UNC), ce conflit a de sérieux risques de s’étendre « vers le Sud (Sud-Kivu et Nord-Katanga) et vers le Nord (Ituri), au vu de la multiplicité des acteurs impliqués et des groupes armés« . Le « plan Kamerhe » propose « d’arrêter la guerre« . Pour cela, « Kigali et Kinshasa doivent se parler sincèrement et conclure une vraie paix des braves autour de (…) la sécurité commune des frontières, des groupes armés, du trafic illicite des minerais du Congo« . Dans son « plan de sortie de crise« , Kamerhe révèle un « secret de polichinelle » en affirmant que « le gouvernement de la RDC est déjà en discussion avec le M23, sous l’égide du Président Yoweri Museveni qui préside la Conférence Internationale sur la Région des Grands-Lacs« .
Pour l’ancien président de l’Assemblée nationale congolaise, Joseph Kabila doit ouvrir un grand débat avec les acteurs de la société congolaise et « associer tous les leaders politiques et de la Société civile de tous bords, ainsi que la diaspora congolaise, à la recherche d’une solution durable à ce problème« . Le président de l’UNC, veut récréer « la cohésion nationale » indispensable au retour de la sécurité en RDC. Selon lui, « aucune opération militaire, y compris les opérations conjointes avec l’Ouganda et le Rwanda sur le territoire congolais, n’a apporté la solution escomptée, à savoir l’anéantissement des rebellions et des groupes armés« . A son « humble avis« , toutes ces solutions « se sont plus attaquées aux effets qu’aux causes réelles de l’insécurité dans la sous-région des grands lacs« .
Un geste vers Tshisekedi et Bemba
Sur le plan national, Vital Kamerhe demande à Joseph Kabila de tendre la main à l’opposition et recommande « une visite surprise à Monsieur Etienne Tshisekedi, l’écouter le rassurer et lever le cordon sécuritaire qui entoure sa résidence. Il ne mérite pas le traitement humiliant qu’il subit actuellement« . Le président de l’UNC souhaite également que la Cour pénale internationale (CPI) clôture officiellement le dossier concernant Jean-Pierre Bemba (en prison depuis 5 ans, après sa défaite face à Joseph Kabila, lors de l’élection présidentielle de 2007). Kamerhe demande aussi un geste d’apaisement concernant les « détenus d’opinions » comme Chalupa, Kuthino ou Mokia, mais veut aussi rassurer d’autres opposants comme Mbusa Nyamuisi, Diomi Ndongala (dont la famille dénonce sa détention par le régime) et Roger Lumbala.
Crédible ?
Si le « plan Kamerhe » énonce un certain nombre d’évidences pas vraiment originales, il recèle quelques qualités. La première : briser le tabou autour du terme de « négociation« , que Kinshasa ne veut prononcer sous aucun prétexte. Il semble en effet évident qu’à un moment ou un autre, les autorités congolaises et le M23 se mettront autour d’un table… alors pourquoi attendre ? (surtout que d’après Kamerhe, c’est déjà fait). Deuxième qualité : « le plan Kamerhe » est la seule sortie de crise proposée par l’opposition qui ne met pas comme préalable le départ du pouvoir du président Joseph Kabila. Pour la grande majorité des autres partis d’opposition (comme l’UDPS) : le principale problème étant Joseph Kabila lui-même, rien ne doit être fait, avant son départ, et surtout pas de négocier avec le M23. Cette position se discute, mais elle possède un important désavantage : le temps file et rien ne se passe (et déjà plus de 6 mois de crise).
Comme pour la campagne présidentielle de 2011, pendant laquelle Vital Kamerhe avait publié un livre programme : « Les fondements de la politique transatlantique de la RDC« , son « plan de sortie de crise » a le mérite de coucher sur le papier son projet « noir sur blanc« . Il est vrai que l’on attend toujours le programme électoral d’Etienne Tshisekedi ou de Joseph Kabila pendant la dernière présidentielle… et encore plus leurs stratégies pour ramener la paix à l’Est. Mais pour être crédible, le « plan Kamerhe » devra franchir de nombreux obstacles et tout d’abord celui de la légitimité. L’ancien directeur de campagne de Joseph Kabila en 2006 a toujours du mal à se faire accepter dans « le camp de l’opposition« . Avant, pendant et après les élections de 2011, nombreux sont ceux qui doutaient de sa franchise. Beaucoup pensent encore que Vital Kamerhe doit faire ses preuves d’opposant au régime, lui qui a servi pendant si longtemps l’actuel président Kabila. Pendant la campagne électoral, certains l’on accusé de « taupe » du régime chargé de faire perdre Thsisekedi (Kamerhe est arrivé en troisième place à la dernière présidentielle). Un câble diplomatique secret, révélé par Wikileaks, donnait un portrait « nuancé » du patron de l’UNC : « Kamerhe recourt fréquemment au mensonge pour s’assurer un gain politique. (…) Nos informateurs nous rapportent que son ambition aveugle de devenir un jour président a compromis son jugement« … des propos qui ne rassurent personne à Kinshasa sur les intentions réelles de l’ancien président de l’Assemblée nationale. Dernier obstacle : Vital Kamerhe vient de l’Est, de Bukavu au Sud-Kivu. Ce qui pourrait apparaître comme un atout, car il connaît bien la région et les causes du conflit, devient un handicap pour convaincre, conquérir et s’imposer politiquement dans le reste des provinces congolaises. Une chose est sûre : avec son « plan de sortie de crise« , Vital Kamerhe entend s’imposer sur l’échiquier politique congolais et rester un interlocuteur de premier ordre dans le conflit du Kivu, aux yeux de la communauté internationale. Pour cela au moins, le « plan Kamerhe » a déjà réussi.
Christophe RIGAUD – Afrikarabia