Le décès dans des circonstances troubles du chef rebelle « Morgan » pendant son transfert risque de compromettre la reddition des autres groupes armés.
Dans quelles conditions est mort le rebelle Paul Sadala, dit « Morgan », lundi 14 avril 2014 ? Le chef de la milice Maï Maï Simba s’était rendu de son plein gré à l’armée régulière congolaise quelques jours auparavant, samedi 12 avril. Morgan aurait été tué par les FARDC alors qu’il tentait de s’échapper. Une première version officielle est alors délivrée par l’armée congolaise : le chef rebelle aurait ouvert le feu sur les militaires qui l’escortaient pendant son transfert à Bunia. Morgan serait décédé lundi 14 avril dans l’après-midi à Molokaï, le village où aurait eu lieu les échanges de tirs. Toujours selon l’armée, Morgan aurait reçu « des balles dans les deux jambes » et aurait ensuite été amené « sur un brancard par les FARDC aux pieds de l’hélicoptère » des casques bleus de la Monusco. Du côté de l’ONU, la version est guère différente : « le lundi matin, précise le général Abdallah Wafi, Morgan et ses 42 autres rebelles ont pris la destination de Mambasa. En cours de route, pour des raisons non élucidées, il y a eu des combats à Sikagwe. Il y avait 100 hommes chez les FARDC. Le bilan est de 10 tués dont 8 rebelles. Après 4 heures d’affrontement, le corps de Morgan nous a été amené mourant« . L’ONU indique que le milicien « a été pris en charge par un hélico médicalisé de la Monusco, mais sans succès« .
Morgan, un témoin gênant ?
Très rapidement, la nouvelle de la mort de Morgan, alors qu’il s’était rendu, fait polémique à Kinshasa. Certains n’hésitent pas à mettre à mal la version officielle, à l’instar du député provincial Joseph Ndiya. Sur Radio Okapi, le député affirme que Morgan aurait été abattu « à bout portant » par des militaires congolais. Selon cet élu de la Majorité présidentielle, qui a lui-même joué l’intermédiaire dans la reddition de Morgan, la logique de la fusillade « ne tient pas« . « Si Morgan avait l’intention de tirer sur des militaires, il aurait fait cela à Badengaido, le jour où il était sorti« , explique Ndiya. Et de poursuivre : « nous comprenons que la mort de Morgan a été planifiée à un certain niveau pour que Morgan ne puisse pas dire des vérités à la population congolaise et plus particulièrement à la population de Mambasa. Je pense que sa mort cache beaucoup de vérités« . La thèse de l’élimination de Morgan par l’armée congolaise est également partagée par Dismas Kitenge, le vice-président de la FIDH, cité par RFI. Selon Kitenge, « la reddition de Morgan a pu inquiéter pas mal de monde dans la région. Non seulement il avait des soutiens dans les FARDC mais il avait aussi le soutien de beaucoup de réseaux mafieux qui étaient impliqués dans l’exploitation de matières premières, qui ont accès aux ressources et entretiennent les seigneurs de la guerre. Sa mort a contribué à faire taire la vérité que ses révélations devaient faire exploser« . Selon plusieurs sources, « le petit Jésus« , autre surnom de Morgan, était notamment impliqué dans le trafic d’or et aurait également commis de nombreuses exactions contre les populations civiles.
Un mauvais signal pour les redditions volontaires
A ce petit jeu de la rumeur, tous les scénarios sont possibles, d’autant que pour l’instant, aucune autopsie n’a été réalisée sur le corps de Morgan. Et on ne sait toujours pas ce que sont devenus les 42 autres rebelles qui accompagnaient Paul Sadala dans sa « tentative de fuite« . Une enquête indépendante a été exigée par la Monusco, qui mènera de son côté, une mission d’évaluation pour faire la lumière sur le sort des 42 complices de Morgan. Mais plus grave pour les ONG des droits de l’homme congolaises, « l’épisode Morgan » risque de compromettre la démobilisation volontaire d’autres groupes armés. Il y en a encore une cinquantaine dans l’Est de la République démocratique du Congo. La Voix des sans Voix exige des sanctions contre les auteurs de ce qu’elle considère comme « une exécution sommaire et extrajudiciaire planifiée et ciblée » contre ce milicien « qui s’était pourtant rendu« . « Cela risque de porter un coup dur au processus de désarmement, démobilisation et réinsertion« , affirme la FIDH au Congo. « Les autres groupes armés risquent d’avoir peur de se rendre en se disant qu’ils peuvent être tués« . La FIDH, comme les autres ONG, demande elle aussi une enquête indépendante pour élucider toutes les circonstances « à la fois de sa reddition et de son décès« . Certaines organisations de la société civile doutent déjà des résultats de ces enquêtes, à l’image de la LUCHA de Goma qui affirme que « le propre des autorités de RDC est d’annoncer une enquête, puis après… plus rien. A l’image des affaires Denis Mukwege, Mamadou Ndala, Floribert Chebeya, Bakata Katanga ou Bundu dia Kongo« .
Christophe RIGAUD – Afrikarabia
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