Depuis la défaite des « génocidaires » voici vingt-quatre ans et la consolidation du régime de Paul Kagame, des hauts gradés français « anciens du Rwanda » multiplient les procès contre ceux qui osent les critiquer. Le plus souvent ils sont déboutés. Le ministère de la Défense paye tous les frais de cette guerre de l’ombre.
C’est un procès en apparence banal, en réalité un des fils d’Ariane de la responsabilité de Paris dans le génocide des Tutsi du Rwanda en 1994, qui s’ouvrira le 2 février prochain à 9 heures du matin devant le tribunal correctionnel de Nîmes (Gard). Le plaignant est encore une fois le colonel de gendarmerie en retraite Michel Robardey, ancien conseiller au Rwanda, où il a « opéré » de septembre 1990 à septembre 1993. Robardey fêtera ses 70 ans dans quelques semaines mais il est toujours partant pour une salve judiciaire. Seul ou avec ses amis de France Turquoise (l’association des vétérans de l’intervention militaire française au Rwanda), il est champion toutes catégories des prétoires. Au total, une quarantaine de procédures. Leurs cibles préférées : le journaliste Patrick de Saint-Exupéry et son éditeur Laurent Beccaria. Mais pas seulement, comme on le verra vendredi. Pourquoi une telle fureur ?
La méthode est rôdée : plainte avec constitution de partie civile pour « diffamation envers un fonctionnaire, un dépositaire de l’autorité publique. » L’avocat consigne une certaine somme et un juge d’instruction est automatiquement désigné. Il convoque les personnes ciblées, ne tarde pas à les placer sous le statut de témoins assistés, généralement les met en examen « du chef de diffamation », puis les renvoie devant le tribunal correctionnel. C’est ce qui arrive à Emmanuel Cattier, un ingénieur strasbourgeois de 68 ans. Il a publié un commentaire sur un des nombreux blogs hébergés par le site Mediapart. Quelques phrases où il a « éreinté » le travail de Robardey au Rwanda. Il a commis l’erreur de le nommer. Mieux vaut dire, comme l’historien Gérard Prunier (conseiller au ministère de la Défense en 1994), qu’au Rwanda l’intervention militaire française a « atteint des sommets dans la bêtise », sans citer tel ou tel. Cité par Cattier, Robardey a appuyé sur le bouton marqué « judiciaire ».
Emmanuel Cattier a de solides raisons d’être en colère contre la politique menée par Paris au Rwanda – pas forcément contre Michel Robardey en personne. Immaculée Mpinganzima qui deviendra plus tard son épouse a failli perdre la vie en avril 1991 à un barrage routier du côté de Ruhengeri. Selon son témoignage, des militaires français relevaient l’identité des passagers des véhicules et, s’ils étaient tutsi, les livraient à des civils armés qui les tuaient aussitôt.
La déposition de Madame Cattier a été recueillie par la Commission d’enquête citoyenne française sur l’implication de la France dans le génocide des Tutsi du Rwanda, publié sous le titre « L’horreur qui nous prend au visage » Ed. Karthala, Paris, 2005. Elle est consultable en ligne.
Un témoignage capital
Immaculée Mpinganzima-Cattier pose de bonnes questions par l’implication des militaires français dans la guerre civile au Rwanda à partir de 1990. D’autres Rwandais ont rapporté des abus divers et même des crimes dont ils ont été les témoins directs, qui auraient été commis à des barrages contrôlés par nos militaires. Des Français ont aussi exprimé leur indignation de ces barrages, marqueurs de l’engagement direct de Paris dans un conflit « racial ». Ainsi le docteur Jean-Hervé Bradol, envoyé au Rwanda par Médecins sans Frontières. Il dénonce en 1994 devant des journalistes, et ensuite devant la mission d’enquête parlementaire, « les responsabilités écrasantes de la France », alliée du pouvoir hutu, qui « finance, entraîne et arme » l’armée rwandaise. Jean-Hervé Bradol précise : « On était très surpris en juillet 1993 de voir les militaires français participer aux points de contrôle routiers sur les grandes routes qui sortaient au nord de Kigali. »
Le 24 février 1992, Michel Cuignet, chef de la Mission de coopération et d’action culturelle française au Rwanda, a été le protagoniste d’un incident significatif, cette fois à un barrage tenu par les seuls militaires français. Sa voiture, bien que marquée du logo de la mission française, est bloquée près de Kigali et l’un des militaires français crie à son chauffeur : « Sors de là, le Nègre ! » (lire le témoignage intégral de Michel Cuignet dans notre livre « Politiques, militaires et mercenaires français au Rwanda, Ed Karthala, p. 248).
Lorsque nous l’interrogeons en décembre 2017, Michel Robardey reste indigné des barrages instaurés par les militaires français. Nous appuyons sur le bouton de l’enregistreur.
– Colonel Robardey, parlons de l’action du colonel Delors lorsqu’il a été nommé chef du DAMI, qui a notamment institué des barrages filtrants autour de Kigali où l’on faisait descendre les Tutsi des autobus. Vous dites avoir critiqué Delors. Je l’ai lu dans le livre de Pierre Péan.
– Je l’ai dit et je le répète à qui le veut. Je l’avais dit à Delors au moment des faits. il a cassé deux ans de travail de la mission de coopération.
– Pourquoi a-t-il fait ça ?
– Je ne sais pas. il lui fallait afficher des postures. Il ne connaissait pas le pays, il en a manifestement trop fait.
– Il était pourtant très soutenu puisque on a retiré au général Varet le contrôle du DAMI au Rwanda à ce moment là ?
– Ca ne s’est pas passé comme ça. Varret a été déboulonné par Huchon, c’est une vieille histoire. »
Fin de citation
Revenons au colonel Dominique Delort. Placé à la tête des forces d’intervention françaises au Rwanda, il reste l’un des chefs militaires les plus critiqués. Selon Jean-Damacène Bizimana, « en février-mars 1993, des militaires français placés sous son commandement, dans les camps de Bigogwe et Mukamira, formaient l’armée rwandaise et les miliciens. En février 1993, il a mis en place un dispositif de contrôle d’identité aux entrées de Kigali sur les axes Ruhenger/Kigali, Gitarama/Kigali et Rwamagana/Kigali. Des civils y ont été arrêtés sur base ethnique et certains ont disparu. »
Directeur exécutif de la Commission nationale de lutte contre le génocide à Kigali, Jean-Damascène Bizimana ajoute : « Dominique Delort nourrissait une haine si farouche au FPR [les rebelles du Front patriotique rwandais] qu’il lui attribuait tout crime commis par les FAR [les Forces armées rwandaises]. Par exemple en mars 1993, c’est lui qui donne l’ordre au Lt Col. Michel Robardey d’apporter « un soin tout particulier à la collecte d’informations sur les massacres et les exactions du FPR afin de mieux contrecarrer la propagande du FPR. »
Une intervention militaire « modératrice et apaisante » ?
Durant l’intervention des militaires français dans la guerre civile au Rwanda, entre 1990 et 1994, les députés n’ont guère pensé à interroger le gouvernement. Les rares questions un peu pertinentes ont-elles suscité de réponse appropriée ? Jugeons sur pièces : interrogé à l’Assemblée nationale par le député socialiste de Montrouge Philippe Bassinet, le ministre des Affaires étrangères Roland Dumas répondait le 9 mars 1992 que : « Les soldats français n’ont […] a aucun moment été impliqués dans les combats sur le terrain et leur présence sur place a au contraire un effet modérateur et apaisant ».
Le colonel en retraite Michel Robardey n’a pas conservé un bon souvenir du rôle « modérateur et apaisant » de son collègue Dominique Delort (aujourd’hui général en deuxième section). Sur le blog autrefois très interactif des vétérans de France Turquoise dont nous avons heureusement conservé les échanges, l’épisode des barrages filtrants était glissé sous le tapis. Alors pourquoi le colonel Michel Robardey poursuit-il Cattier dont il pourrait comprendre le ressenti ?
En juin 2017, le procureur de Nîmes a requis un non-lieu au bénéfice d’Emmanuel Cattier et d’Edwy Plenel, également convoqué par le juge d’instruction de Nîmes et lui aussi placé sous le statut de « témoin assisté » comme responsable de toutes les publications du site Mediapart, y compris les commentaires sur les blogs qu’il héberge. L’avocat de Michel Robardey ne s’est pas opposé à la mise hors de cause d’Edwy Plenel, mais a obtenu que Emmanuel Cattier soit renvoyé devant le tribunal correctionnel.
Compte tenu du douloureux passé de Mme Cattier, que partage évidemment son mari, est-il raisonnable de faire sanctionner un simple commentaire sur un blog ? Pour le savoir, nous avons posé la question au plaignant :
– Colonel Robardey, dans l’affaire Emmanuel Cattier, vous employez un rouleau compresseur pour écraser une noisette, non ?
– La noisette n’a qu’à faire attention à ce qu’elle dit.
fin de citation.
Accusations, vitupérations et anathème
Le colonel Michel Robardey est un personnage baroque. S’il ne supporte pas les critiques, lui-même flingue à tout va sur les réseaux sociaux. Son propre blog, compte aujourd’hui une vingtaine de textes qui ne brillent guère par leur modération. Michel Robardey veut en finir avec « les accusations mensongères d’un état criminel et terroriste » [le régime de Paul Kagame] (24/6/2017). Aussi, il admoneste Me Alain Jacubowitz, le naïf (?) président de la LICRA (28/6/2017) ; il s’inquiète du courage et de la lucidité des juges français : « Rwanda : la justice française sortira-t-elle du piège tendu par le général-président » (6/02/2017). Robardey pointe « la stratégie d’enfumage déployée depuis le premier octobre 1990 par les spins doctors de Kagame pour attribuer à leurs adversaires les crimes commis par l’APR » [l’Armée patriotique rwandaise] (10/10/2016) Robardey dénonce encore et encore Paul Kagame qui « persiste à se livrer à des manipulations grossières pour tenter désespérément « d’échapper à l’histoire » », (1er mars 2016) ainsi que « ces ONG qui coopèrent avec les terroristes » [« les terroristes », c’est-à-dire Paul Kagame et son équipe], « responsable de crimes contre l’humanité ayant fait des centaines de milliers de victimes dans l’Afrique des Grands Lacs, de l’assassinat d’au moins deux chefs d’état, qui serait forcément absout (sic) par une justice nationale et internationale fort tolérante » (22/02/2016).
Sur son blog comme ailleurs, Robardey vitupère contre les Anglo-Saxons (« Rwanda : la vérité serait-elle anglo-saxonne ? », 2/10/2014). L’emphase ne lui fait pas peur : « RWANDA : Les chacals ne mangent pas que les cadavres. Ils dévorent aussi la mémoire des morts ! » (16/12/2014). Pour un peu, Robardey se verrait dans la peau d’un Zola : « Rwanda : c’est la République qu’on accuse ! » (16/10/2014). Etc.,Mois après mois, année après année, le colonel en retraite Michel Robardey traîne dans la boue un chef d’Etat africain et tous ceux, Français ou étrangers, qui considèrent Paul Kagame comme l’homme qui a mis fin au génocide des Tutsi et redressé son pays de façon spectaculaire.
Le procès en diffamation contre Emmanuel Cattier ce 2 février 2018 constitue à l’évidence un épisode secondaire de la litanie de plaintes engagées par Robardey et les « tontons flingueurs » de France Turquoise. Revenons a eur cible principale le journaliste Patrick de Saint-Exupéry au motif que son livre, L’Inavouable, réédité sous le titre Complices de l’inavouable, les diffamerait. Sans compter une plainte avec huit autres officiers français contre le périodique La Nuit Rwandaise. Les tontons flingueurs ne regardent pas à la dépense : c’est le ministère de la Défense qui prend en charge tous les frais de justice. Normal : la bataille des prétoires est une guerre qui ne dit pas son vrai nom. Le ministère de la Défense est ainsi en conflit ouvert contre le régime rwandais. Pour qualifier la part que les militaires français ont prise dans les desseins au Rwanda d’un Mitterrand en fin de règne, en fin de vie, si Gérard Prunier évoque des « sommets dans la bêtise », Saint-Exupéry, lui, parle d’une politique criminelle. Les hauts gradés français au Rwanda pourraient arguer qu’ils n’ont fait qu’appliquer les directives d’un vieillard qui n’avait pas plus guère de lucidité. Mais non : les militaires « complices de l’inavouable » se sentent seuls concernés au point de poursuivre jusqu’aujourd’hui dans les prétoires ceux qui dénoncent la guerre imbécile, criminelle, inavouable, secrète, menée par Paris au Rwanda à partir de 1990.
La bataille des prétoires est une guerre qui ne dit pas son nom.
Pourquoi le ministère de la Défense prend-il systématiquement en charge cette guerre des prétoires ? Au nom des immortels principes, comme souvent en France. Ca s’appelle le Code de la défense. La spécificité des missions des militaires leur interdit le droit de grève, et plus généralement l’adhésion à des groupements professionnels, les privant ainsi (en théorie) de toute possibilité de défendre leurs intérêts et d’exprimer leurs revendications.
En contrepartie, le Code de la défense garantit aux membres de « la Grande muette » la prise en charge par l’Etat de leurs frais judiciaires s’ils sont lésés ou mis en cause pour leurs activités militaires. Le Code de défense stipule que le militaire « dispose d’une action directe qu’il peut exercer, au besoin par voie de constitution de partie civile, devant la juridiction pénale. »
Si cet appui du ministère de la Défense aux Tontons flingueurs de France Turquoise est automatique, ce n’est pas le cas de militaires moins gradés dans d’autres affaires. En particulier vis-à-vis de femmes militaires qui sont parfois persécutées, harcelées sexuellement, voire violées par des collègues masculins dans des casernes. Prenons le cas de Julie et Jenny (les prénoms ont été changés), violées par un caporal-chef à la caserne de Vincennes qui les avait surprises dans leur sommeil en juin 2011. Comme dans bien d’autres affaires de crimes et délits sexuels commis en caserne, l’état-major s’en lava les mains Jenny s’accrocha, dût prendre une avocate à ses frais, accepter que les faits soient requalifiés en « agression sexuelle » pour ne pas devoir attendre une hypothétique session d’assises. Jusqu’au jugement correctionnel du TGI de Paris, le 13 juin 2013. Les magistrats déclareront que Jenny a été « trahie par l’armée qui ne lui a apporté aucune aide ni soutien ». Le ministère de la Défense se verra obligé de rembourser ses frais d’avocat, après un premier refus (lire Leila Minano & Julia Pascual, La Guerre invisible. Révélations sur les violences sexuelles dans l’armée française, Ed. Les Arènes et Causette, Paris, 2014).
Les femmes militaires pas logées à la même enseigne
En ce qui concerne les hauts gradés français qui s’estiment diffamés pour leur action au Rwanda entre 1990 et 1994 et qui portent plainte avec constitution de partie civile contre tel ou tel journaliste, chercheur, ou même ministre de la Justice d’un Etat étranger, les fonds publics semblent inépuisables. C’est donc que la guerre secrète engagée au Rwanda par Paris en 1990 est approuvée par les autorités jusqu’aujourd’hui, presque trente ans plus tard.
Bien que Patrick de Saint-Exupéry et son éditeur Laurent Beccaria ne communiquent guère sur le marathon judiciaire qu’ils subissent, on sait qu’en 2014 ils avaient déjà été confrontés à plus de trente procédures judiciaires engagées par cinq officiers généraux français et deux colonels. Les plaignants furent initialement déboutés en première instance, en appel et en cassation. Dans l’arrêt rendu le 4 avril 2013 par le pôle 2, ch.7 des appels correctionnels, la Cour d’appel de Paris releva que l’ouvrage litigieux Complices de l’inavouable « dénonce les choix politiques faits au plus haut niveau de l’Etat par la France [à savoir] soutenir politiquement et militairement, en dépit des menaces pesant sur les Tutsis, le pouvoir du président hutu […] avoir continuer à former la garde présidentielle, […], avoir persisté à livrer ou faire livrer des armes aux forces gouvernementales, juste avant et pendant la période du génocide. »
Ces échecs judiciaires ne découragèrent pas les plaignants . Puisque l’Etat français payait, les anciens officiers ont multiplié les recours. Le score au 11 juillet 2017 était de deux condamnations de Laurent Beccaria, de Patrick de Saint-Exupéry et de la société Editions Les Arènes, et une relaxe. A notre connaissance, plusieurs affaires sont toujours pendantes. Sur son site, le politiste Jacques Morel en tient un décompte.
La guerre secrète engagée au Rwanda par Paris en 1990 se poursuit jusqu’aujourd’hui
L’acharnement judiciaire des mêmes contre la revue La Nuit rwandaise s’inscrit dans le même registre. Dans ce cas, le déclencheur des poursuites n’est pas l’analyse de Patrick de Saint-Exupéry, mais un compte-rendu publié par la revue du rapport de la Commission nationale indépendante rwandaise dite Commission Mucyo.
Le 5 août 2008, le ministre rwandais de la Justice Tharcisse Karugarama rendit public, le rapport de la commission, chargée de faire la lumière sur le rôle de la France dans le génocide des Tutsi de 1994. Dans un communiqué de treize pages, Karugarama résumait les charges contre Paris. Il expliquait que l’Elysée était au courant du risque de génocide des Tutsi, que Paris avqait participé aux principales étapes de sa préparation puis à sa mise en exécution. Il ajoutait que l’Elysée était responsable de la continuation de l’extermination pendant l’opération Turquoise.
Le communiqué lu par le ministre se terminait par une liste de personnalités françaises – treize politiques et vingt militaires – « les plus impliquées dans le génocide ». Il concluait : « Vu la gravité des faits allégués, le gouvernement rwandais enjoint les instances habilitées à entreprendre les actions requises afin d’amener les responsables politiques et militaires français incriminés à répondre de leurs actes devant la justice. » A cette époque, les relations diplomatiques étaient rompues entre Kigali et Paris. La guerre des mots n’était pas l’apanage des Français.
Des plaintes comme s’il en pleuvait
Plusieurs des officiers français cités ont porté plainte contre les deux sites web qui ont publié le communiqué du ministre rwandais de la Justice : le Nouvel Observateur (L’Obs) et La Nuit Rwandaise. Ils visaient en fait le Rapport Mucyo lui-même, qu’ils voudraient voir qualifier de mensonger par la justice française. Les plaignants étaient la brochette habituelle de « tontons flingueurs » : le général Christian Quesnot, chef d’état-major particulier du président Mitterrand, le général Jean-Claude Lafourcade, commandant de Turquoise, le colonel Jacques Rosier (aujourd’hui général), commandant de l’opération Noroît en 1992 et du COS durant Turquoise, le colonel René Galinié, attaché militaire jusqu’en 1991, le colonel Bernard Cussac, attaché militaire de 1991 à 1994, le colonel Jean-Jacques Maurin, attaché militaire adjoint de 1992 à 1994, le colonel Jacques Hogard, commandant du groupement sud Cyangugu, le colonel Etienne Joubert, Chef du DAMI Panda, officier de renseignement puis chef des opérations du détachement du 1er RPIMa dans l’opération Turquoise, et le colonel Michel Robardey assistant militaire technique, conseiller en police judiciaire de 1990 à 1993.
Acharnement…à perdre
Il fut relativement facile d’établir la bonne foi des éditeurs des deux sites web. En effet, comme nous le confirme l’avocat de La Nuit rwandaise, Me Heinich-Luijer, « des officiers français présents au Rwanda avant et pendant le génocide des Tutsi ont eux-même publié ce communiqué. Par ailleurs, l’association créée par les officiers pour leur défense, France-Turquoise, l’a mis en ligne pendant un moment. Et l’un des officiers, Didier Tauzin, l’a publié en annexe de son livre ! »
Le dossier d’accusation était donc particulièrement faible. Le 5 avril 2013, la 17ème chambre correctionnelle de Paris a ainsi déclaré nulles les neuf plaintes avec constitution de partie civile des haut-gradés français.
Pourtant, sept des neufs officiers plaignants (Hogard et Rosier s’étant désistés) firent appel de la décision d’annulation de leurs plaintes
La cour d’appel débouta à son tour les plaignants. Qu’importe : Me Véronique Truong, l’avocate du général Quesnot, engagea un pourvoi en cassation. L’’ancien chef d’état-major particulier de François Mitterrand fut encore retoqué par la cour de Cassation. Le ministère de la Défense remboursa le recours infructueux.
L’argent des plaintes n’est jamais un problème
A défaut de pouvoir interroger tous ces anciens officiers supérieurs, nous avons questionné le plus locace des membres du groupe France Turquoise, le colonel Robardey :
– Colonel, Avez-vous une idée du coût de ces procédures pour le ministère de la Défense contre La Nuit rwandaise, contre Patrick de Saint-Exupéry, contre Emmanuel Cattier… ?
– Ce n’est pas mon problème. Avez-vous une idée du coût des procédures engagées contre nous par le ministère rwandais ? Du coût des contrats de communication que Kagame passe avec les journaux français ? Pour en revenir à votre question, ce coût m’importe peu, ce n’est pas mon problème. Il est temps que dans ce pays les militaires français se fassent respecter. On a le droit de critiquer le rôle des militaires français, mais il y a beaucoup trop d’injures et de diffamation. Il est temps que ça change.
– J’ai lu le script de vos déclarations à Radio Courtoisie en 2014. Vous parliez d’une procédure contre Saint-Exupéry. Vous dites que vous aviez perdu en appel, que vous vous étiez pourvu en cassation, vous ajoutiez que si la cour d’appel vous donnait tort une nouvelle fois, vous retourneriez en cassation…Vous savez qu’un pourvoi en cassation coûte entre 10 000 et 25 000 euros ?
– Vous exagérez !
– Pas du tout. 10 000 euros, c’est pratiquement le montant de base des honoraires d’un avocat agréé auprès de la cour de Cassation.
– Je reçois les factures, alors je sais de quoi je parle. Mais peu importe car ce n’est pas le sujet. Ce n’est pas parce qu’il faut aller en cassation pour défendre mon droit, que je m’an abstiendrais parce que c’est cher. Savez-vous où on en est avec Patrick de Saint-Exupéry ? J’ai gagné trois cassations et il a fait opposition à la cassation. Alors, l’argument “laissez-vous insulter parce que c’est cher…” »
Fin de citation
Alors, l’argument “laissez-vous insulter parce que c’est cher”… ?
C’est cher en effet… mais seulement pour l’Etat. Les officiers supérieurs qui doivent valider les notes d’honoraires de leurs avocats avant de les envoyer pour paiement au ministère de la Défense ont-ils un peu de considération pour les contribuables ? Au ministère, fait-on le tri entre les plaintes qui mériteraient peut-être considération et les procédures à l’évidence futiles ? Le ministère s’est-il demandé si ces procédures à répétition avaient vraiment un rapport avec le Code de la défense ?
On comprend mieux la stratégie des plaignants dans l’émission Le Libre journal de Radio Courtoisie le 10 mars 2014. Michel Robardey est invité avec l’historien négationniste Bernard Lugan et le colonel en retraite Jacques Hoggard. Les procédures judiciaires sont avant tout un moyen de combattre idéologiquement ce que Hogart appelle « l’anti-France ». Pour décourager toute critique précise, en France, du rôle de Paris au Rwanda – Voir la vidéo.
« L’anti-France » dans le collimateur
Jacques Hogard : Ce sont les idiots utiles, hein. Il faut… forcément des relais, dans l’opinion, dans les médias, tout ce qui est… relais d’influence. Donc, moi je m’interroge par exemple sur la position personnelle de Patrick de Saint-Exupéry, de son éditeur Laurent Beccaria. Je vois d’ailleurs que leur position… anti-France et anti-militariste persiste. Il… n’y a qu’à prendre connaissance de la ligne éditoriale des éditions Les Arènes, l’édition de Laurent Beccaria, pour voir que, mis à part son grand-oncle Hélie de Saint-Marc et l’ange de Dien Bien Phu, Geneviève de Galard, qui servent un petit peu de caution à décharge, les… autres titres sont tous des titres finalement d’inspiration… fortement anti-française, anti-patriotique, anti-militariste. Je dirais même jusqu’au dernier livre qui vient de paraître. Donc…
Bernard Lugan : Lequel ?
Jacques Hogard : Euh… Le sort des femmes dans l’armée française. [NDLR : Leila Minano & Julia Pascual, La Guerre invisible. Révélations sur les violences sexuelles dans l’armée française, déjà cité]
Bernard Lugan : Ah oui. Ah d’accord, oui, oui. »
[…]:
« Jacques Hogard : Moi, je suis navré de devoir dire à titre de citoyen… – je n’engage que moi en disant ça -, …que moi je n’ai pas confiance en la justice de mon pays. On… a… un exemple… qui nous tient à cœur, mais je laisserai la parole à Michel Robardey après pour qu’il puisse nous dire son point de vue. Mais, moi, je sais que j’ai en travers de la gorge le fait que n’ait pas été condamné… pour diffamation… le journaliste Patrick de Saint-Exupéry et son éditeur Laurent Beccaria, éditions Les Arènes […] Et donc, voir que ces gens-là…, sur des arguties, n’ont pas été condamnés en diffamation, alors qu’il s’agit bien d’un acte de diffamation, moi, m’a fait perdre totalement confiance en la justice de mon pays. Je regrette de le dire.
Michel Robardey : Mais la messe n’est pas totalement dite, Jacques. Moi, j’étais devant la Cour d’appel de Paris, retour après cassation, pour cette même affaire, il n’y a pas très longtemps. J’attends le délibéré, qui devrait tomber le 7 mai. Et je ne suis pas totalement désespéré, quitte à devoir retourner en cassation encore une fois, etc. »
Fin de citation.
Cassation, vous avez encore dit cassation ?
Avons-nous mal entendu ? Retour à notre récente conversation téléphonique avec le colonel Robardey :
– Colonel, j’en reviens aux procédures judiciaires. Un interlocuteur dans ce ministère me dit que toutes les procédure judiciaires prises en charge par le ministère liées au Rwanda, notamment contre Patrick de Saint-Exupéry – celles qui coûtent le plus cher – représentent plus de 300 000 euros. Est-ce que ça vous parait crédible ?
– Je n’en sais rien parce que je n’ai pas une vision globale des procédure. Et je vous dirai franchement que je ne vois pas l’intérêt de la question, parce que ce n’est pas une question de coût. Parce que Saint-Exupéry a dit n’importe quoi, il faudrait qu’on l’épargne parce que ça coûte cher à l’Etat ? »
Fin de citation.
Ne pas « épargner » sa cible judiciaire. Ce vocabulaire guerrier fait penser à un adversaire que l’on tient à sa merci sur un champ de bataille. Ca nous rappelle quelque chose. Au Rwanda, l’attaché de défense Bernard Cussac était friand des termes les plus forts. Jean-Michel Marlaud, nous a raconté que, tout juste nommé ambassadeur de France à Kigali, en 1993, il avait été choqué de constater que le FPR était qualifié l’« ennemi » sur les notes proposées par l’attaché militaire. Il avait exigé qu’on mette fin à cette pratique.
Une cible judiciaire un peu trop grosse…
Dans le cadre de la guerre des prétoires contre Kigali, quelle plus belle cible qu’un ministre en exercice ? Une plainte pour diffamation avec constitution de partie civile fut donc engagée par le général Quesnot contre le ministre de la Justice du Rwanda, Tharcisse Karugarama. En cause, les déclarations du ministre à Kigali le 5 août 2008, à l’occasion de la conférence de presse de présentation du « Rapport Mucyo ». Le nom de Christian Quesnot figurait sur la liste des « trente-trois personnalités politiques et militaires les plus impliquées ». Mais pour une fois, seul Quesnot, général de réserve, a osé s’attaquer à un ministre africain. Une procédure, une fois encore prise en charge par le ministère de la Défense et pourtant vouée à l’échec. Malgré la tchatche de Me Véronique Truong, avocate de l’ancien chef d’état-major particulier de François Mitterrand, le Parquet se réveille. Il invoque l’immunité de juridiction d’un ministre et invite le juge d’instruction à clore le dossier. Le ministère français de la Défense et le ministère français de la Justice qui se chamaillent dans le bureau d’un juge d’instruction, ce n’est pas banal. « Le baroud d’honneur du général », comme le titre alors l’Express, aurait pu définitivement calciner les relations entre Paris et Kigali – déjà exécrables. On n’est plus dans « les larmes de l’honneur », mais dans une opération politique. Sauf que cette fois, l’obus judiciaire a ricoché sur un principe de droit blindé.
En toile de fond de l’acharnement judiciaire, la subversion directe contre Kagame
L’acharnement des anciens du Rwanda contre « l’anti France » a vu sortir des tranchées la brochette des vétérans de France Turquoise, qui rêvent d’en découdre avec Paul Kagame. A force de procès à tout-va et de fulminations anti-Kagame, ces galonnés se sont radicalisés.
Les gènes de cette radicalisation apparaissent dans le séquençage d’une autre procédure judiciaire, beaucoup plus lourde et coûteuse que celles précédemment évoquées : l’enquête initialement confiée au juge Jean-Louis Bruguière en 1998 sur les auteurs de l’attentat du 6 avril 1994 contre l’avion du président Habyarimana, attentat qui a servi de détonateur au génocide des Tutsi du Rwanda. Nous en avons déjà suffisamment parlé sur AFRIKARABIA pour ne pas revenir en détail sur les foisonnantes anomalies de cette instruction suscitée par l’ex-numéro 2 du GIGN Paul Barril, camarade de promotion du colonel Bernard Cussac, attaché militaire au Rwanda jusqu’au génocide.
L’objectif de Paul Barril était – et reste – de faire accuser Paul Kagame d’avoir organisé l’attentat contre l’avion de Juvénal Habyarimana le soir du 6 avril 1994. Les explications du capitaine de gendarmerie honoraires sur une piste belgo-américano-rwandaise furent d’abord embrouillées, mais ensuite le Storytelling prit forme [Storytelling : art de raconter une histoire crédible, même – et surtout – si elle est fausse].
Innocenter à priori les extrémistes hutu de l’attentat
Depuis 24 ans, leur thèse est simple, on l’a entendue ad nauseam : Kagame a ordonné l’attentat contre l’avion du président Habyarimana, pour provoquer cyniquement le génocide des Tutsi, ce qui devait discréditer les Forces armées rwandaises, les isoler et leur faire perdre la guerre. Un commando du FPR aurait abattu l’avion depuis « la ferme de Masaka », une colline stratégique à quelques kilomètres de l’aéroport de Kigali.
L’ennui, c’est que les choses ne se sont pas passées comme ça. Le soir du 6 avril, le commandant Grégoire de Saint-Quentin (aujourd’hui général de division, sous-chef d’état-major « opérations » de l’état-major des armées) a clairement entendu le départ des missiles depuis le camp Kanombe où il résidait et où stationnaient des éléments de la Garde présidentielle. Il semble que d’autres officiers français résidant également dans le camp avec leur famille aient entendu le souffle du départ. En l’absence du colonel Cussac, ils en ont rendu compte à son adjoint, le lieutenant-colonel Maurin. Qui a informé l’ambassadeur de France, Jean-Michel Marlaud. Le colonel Cussac, dès son retour, a reçu les mêmes informations. Les officiers belges domiciliés dans le camp Kanombe ont également attesté de ces faits devant l’auditorat militaire belge un mois après les faits.
Dans une note datée du 25 avril 1994 – dix-neuf jours après l’attentat – l’ambassadeur de France Jean-Michel Marlaud l’indiquait : « Aucun élément matériel ne permet à l’heure actuelle de déterminer la responsabilité de cet attentat. Le FPR nie en être l’auteur et l’attribue à des éléments hostiles aux accords d’Arusha, notamment la garde présidentielle. […] La thèse d’une responsabilité des proches du président Habyarimana est cependant d’une très grande fragilité. Elle repose sur le fait que les tirs provenaient de Kanombe, où se trouve un camp de la garde présidentielle. »
Une thèse « d’une très grande fragilité » ? La désinformation a déjà commencé à opérer.
Ecoutons Bernard Cussac interrogé le 14 juin 2000.
Jean-Louis Bruguière : – Selon votre connaissance du terrain et votre expérience du Rwanda, avez-vous le sentiment que cet attentat ait pu être le fait des FAR ou des proches du président Habyarimana ?
Bernard Cussac : – Non, je récuse totalement que cet attentat ait pu être l’oeuvre des FAR ou de l’entourage du président ou des extrémistes hutus. »
Et pourquoi cette « récusation totale » ?
Le colonel Jean-Jacques Maurin était le militaire français le mieux informé au soir du 6 avril 1994. Il bénéficiait d’un statut spécial au Rwanda, comme il le raconte au juge Bruguière le 22 juin 2001 : « J’ai été chargé d’une mission particulière par l’amiral Jack Lanxade, chef d’état-major des armées, en tant qu’adjoint à l’Attaché défense et adjoint opérationnel conseiller du chef d’état-major de l’armée rwandaise.
Mes fonctions ont pris effet le 24 avril 1992, date de mon arrivée au Rwanda jusqu’au 14 avril 1994. Mon supérieur direct était le colonel de gendarmerie Bernard Cussac. […] Ma conviction personnelle est que le FPR avait très bien préparé son coup. Une infiltration, même de jour, à partir du CND dans la plaine de Masaka était tout à fait réalisable par une équipe aguerrie. »
Pourquoi Masaka ? Le colonel Jean-Jacques Maurin a-t-il déjà oublié que les tirs sont partis du camp de la garde présidentielle ? Qu’il en a été le premier informé ? Quel est le nom de ce trouble cognitif ? Dans son livre « Rwanda : je demande justice pour la France et ses soldats » (Ed. Jacob-Duvernet, Paris, 2011), le général Didier Tauzin campait Jean-Jacques Maurin comme un inquiétant jusqu’auboutiste. Et pourtant le crédule Bruguière buvait jusqu »’à la dernière goutte le Storytelling
Paul Barril ajoute son grain de sel fin1999 dans le cabinet du juge : « Je dois vous déclarer qu’il y a environ trois ou quatre mois alors que je me trouvais à l’aéroport de Zurich, j’ai été contacté par un certain Karigahiga qui réside à Bruxelles, membre d’une famille très riche qui soutient le FPR et très proche de Paul Kagame, qui m’a conseillé de « lever le pied » sur l’histoire de l’avion et qu’en tout cas Kagamé et son entourage étaient très fiers de l’avoir descendu. »
Invérifiable. Comme si souvent avec Barril…
Les gradés et amis rwandais des militaires français défilent dans le cabinet du juge pour fournir la même version et les mêmes aversions. Les tirs sont partis de la colline de Masaka, à 3 km de l’aéroport, où le FPR avait infiltré un « commando renforcé ». Ils fournissent au juge français ce qu’ils croient être la preuve absolue : la revendication de l’attentat par « les interceptions radio » du FPR. Sauf que ces interceptions, quoique confirmées par les Français, sont des faux grossiers, comme il sera démontré par la suite (lire L’Agenda du génocide, le témoignage de Richard Mugenzi, Ed. Karthala, Paris, 2010).
Et pourtant les missiles ont été tirés depuis le site de la Garde Présidentielle
Pas de chance pour l’histoire que répètent à l’unisson les hauts gradés français et rwandais ainsi que des universitaires de service Les missiles ont été tirés du camp de la garde présidentielle de Kanombe ou de ses abords. L’histoire de Masaka ne tenait pas debout, dès le début : trop de gens ont vu le départ des missiles. Si les hauts gradés français, qui accusaient sans aucune preuve le FPR d’avoir abattu l’avion depuis la colline de Masaka, se sont trompés de bonne foi, comment peuvent-ils maintenir leur version à partir du moment où leur thèse a été démentie par l’expertise balistique en 2012 ? Parce qu’ils s’estiment en guerre contre Paul Kagame. Et comme l’écrivit Rudyard Kipling, « la première victime d’une guerre, c’est la vérité ».
Nous avons rencontré à plusieurs reprises Paul Barril, initiatieur de l’enquête Bruguière, dans l’espoir d’en obtenir quelques parcelles de vérité sur l’attentat. Durant toute sa carrière, l’homme a développé un véritable génie de l’embrouille. En la matière, nous avons pu constater que l’âge ne l’a en rien affecté.
Un florilège d’erreurs et de manipulations
Tous ces officiers ont réussi avec aplomb à convaincre le juge de leur thèse destinée à accabler le leader de la rébellion. Jean-Louis Bruguière fut le fondateur de la section d’instruction « lutte anti-terroriste » du tribunal de grande instance de Paris. Personne ne s’avisait de contredire cet homme qui estimait que le service de l’Etat était au-dessus du service de la vérité. Jusqu’en 2007, date de son départ de la Galerie Saint-Eloi, il s’est accroché à la thèse avancée par des hauts gradés français et leurs collègues rwandais. Faux témoins, faux experts, universitaires louches, interprète parjure, faux documents, manipulations en tous genres, juge d’instruction farci de préjugés, l’histoire de la justice française n’a pas connu un tel florilège depuis l’affaire Dreyfus. Comme le montra l’Ordonnance de soit communiqué finalement révélée en 2006, l’obsession de Jean-Louis Bruguière était de démontrer que l’attentat constituait une manœuvre de Paul Kagame pour déclencher délibérésment le génocide des Tutsi. Une thèse que continuent à avancer, malgré les preuves du contraire, un certain nombre de militaires de « France Turquoise ». Le Storytelling de Bruguière a été ruiné par Marc Trévidic qui, prenant sa suite en 2007, a apporté la démonstration que les missiles ayant abattu le Falcon de Juvénal Habyarimana ont été tirés depuis le camp de la Garde présidentielle ou ses abords immédiats. Une démonstration balistique qui balaiera quatorze années « d’enfumage ».
Paul Barril, génie de l’indéchiffrable
Le déni de réalité n’inquiète pas les tontons flingueurs et leurs supporters. Quels sont les buts poursuivis par les hauts gradés français qui ont « truffé » l’enquête Bruguière de témoignages inexacts, pour ne pas dire tendancieux ? En 2011, lorsque Paul Kagame fit une visite d’Etat à Paris à l’invitation de Nicoals Sarkozy, le général Tauzin sortit de ses gonds dans les colonnes de Sud-Ouest : « Profondément choquant », « un vrai salopard », « une forfaiture », selon l’officier qui a commandé au Rwanda les paras du 1er RPIma (Régiment d’infanterie de marine) de Bayonne Le général enfonce le clou : « Je suis sali. Comme j’ai la conscience tranquille, je ne l’admets pas. Mes paras sont salis, y compris ceux qui se sont fait tuer. Toute l’armée française est salie. La France est salie. »- voir l’article.
Quelle est la légitimité de ce général à parler au nom de « la France » ? Selon le Code de défense, Didier Tauzin, alors général en 2e section, était soumis à l’obligation de réserve. Qualifier un chef d’Etat de « salopard » relève de l’injure. Nicolas Sarkozy laissa dire. A notre connaissance, Tauzin ne fut pas radié de la 2e section ni même rappelé à l’ordre.
Chez les militaires aussi, l’impunité pousse aux excès
Une telle magnanimité encouragea le groupe « France Turquoise ». Leur coup de maître fut le documentaire « Rwanda untold story », diffusé le 2 octobre 2014 dans la célèbre émission de la BBC, « Panorama ».
Cette histoire soi-disant « jamais racontée » du Rwanda, ne fait que reprendre, comme le relève le journaliste François Soudan, « sans aucune distance les thèses et arguments révisionnistes répétés depuis vingt ans, notamment en France où ils se confondent allègrement avec la défense et illustration du rôle « humanitaire » de l’armée pendant l’opération Turquoise. En résumé : Paul Kagamé aurait donné l’ordre d’abattre l’avion du président Habyarimana en sachant pertinemment que cet assassinat allait déclencher le génocide des Tutsis – lequel doit d’ailleurs être fortement relativisé puisque quatre fois plus de Hutus ont en définitive perdu la vie [selon le documentaire]. Son but : s’emparer du pouvoir en marchant sur les cadavres de ses compatriotes. »
« Rwanda’s untold story », une bruguièrerie !
Comme un copié-collé de l’enquête Bruguière, ce documentaire uniquement à charge est un « collector » dans le registre de la désinformation. Kigali, qui se focalise sur la mauvaise foi sinon la volonté de nuire de la journaliste britannique Jane Corbin, n’a pas vu le rôle de la bande noire qui, en France, tirait les ficelles. On y trouve des membres de « think tank » peu médiatisés, notamment de l’association « Démocraties » du général Henri Paris. Ce « groupe de réflexion » avait organisé le 20 octobre 2007 au Sénat une conférence intitulée « La France et le drame rwandais » qui a rassemblé la fine fleur du négationnisme du génocide des Tutsi. Une brillante distribution. Dans l’assistance s’étaient même glissés des Rwandais visés par mandats d’arrêt internationaux pour leur rôle présumé dans le génocide, tel le Dr Eugène Rwamucyo.
L’un des administrateurs de « Démocraties », ancien diplomate, par ailleurs très actif dans « l’accompagnement judiciaire » des génocidaires en France, a joué un rôle clef comme facilitateur de la BBC auprès de certains interviewés. Peut-on qualifier Démocraties d’officine (« une organisation poursuivant un but politique de manière secrète »). En l’occurrence, oui. De même que la Fondation Jean-Jaurès, qui tout en étant estimée pour ses travaux érudits, se comporte en officine par ses efforts pour crédibiliser un faux « expert du Rwanda » aux thèses proches de celles de France Turquoise.
2014, l’année d’une nouvelle étape de la subversion
L’année 2014 a constitué une période charnière dans les manœuvres pour empêcher la clôture de l’instruction judiciaire ouverte seize ans auparavant par Jean-Louis Bruguière. Le groupe France Turquoise trouva soudainement sympathique la tentative de renversement de Paul Kagame par le général Kayumba Nyamwasa, un Tutsi transfuge du FPR réfugié à Johannesbourg. Son parti le Rwanda National Congress (RNC) prône la lutte armée contre Kagame. Depuis la diffusion d’une directive sur les réseaux sociaux en 2014, les génocidaires et leurs familles réfugiés en Europe ont lancé une campagne d’adhésion au RNC. Ce mouvement est à l’origine de spectaculaires attaques à la grenade à Kigali. Kayumba Nyamwasa, le seul des accusés de l’enquête Bruguière à rester visé par un mandat d’arrêt international, a payé le « ticket d’entrée » habituel auprès de la diaspora anti-Kagame en accusant ce dernier d’avoir organisé l’attentat du 6 avril 1994.
Ecoutons les colonels retraités Jacques Hogard et Michel Robardey gloser sur Faustin Kayumba Nyamwasa dans l’émission de Radio Courtoisie du 10 mars 2014,:
Jacques Hogard : Ce qu’on peut simplement souhaiter, c’est que les témoins… les témoins tutsi issus du FPR, issus de l’entourage proche de Kagame, ne soient pas tous les uns après les autres assassinés par le service de Kagame, en exil, là où ils se trouvent, en République Centrafricaine et aux Etats-Unis. Comme l’a été le colonel Karegeya il y a quelques semaines, ou comme vient de risquer… de manquer de l’être le… général Nyamwasa à… en Afrique du Sud. Et que ces témoins capitaux puissent être entendus par le juge. Parce que ça, ça me paraît essentiel.
Michel Robardey : Oui, c’est la question que je me posais tout à l’heure : comment se fait-il que ce témoin capital n’a pas encore été entendu par ce magistrat qui, me dit-on, aurait déposé une demande d’entraide mais qui n’avait pas encore été acceptée par l’Afrique du Sud ? Tout cela est un petit peu curieux.
Bernard Lugan : D’autant plus que le général Nyamwasa a déclaré à plusieurs reprises qu’il avait demandé à être entendu.
Michel Robardey : Oui. Par ailleurs, je… voulais rassurer Jacques et nos auditeurs. Il y a un certain nombre d’officiers tutsi, qui étaient très proches de l’opération, qui ont témoigné devant le juge Trévidic. Et, donc… il eut mieux valu qu’ils témoignent tous, que Karegeya témoigne et que Nyamwasa témoigne. Mais de toute façon, il y a d’ores et déjà dans le dossier des témoignages extrêmement importants. »
Fin de citation.
Kayumba Nyamwasa remis en selle par les Français
Voici quelques années, le groupe France Turquoise considérait Kayumba Nyamwasa comme un des « diables » de Kagame. Ses volubiles représentants auraient-ils depuis lors changé d’avis ? En décembre 2017 nous posons la question à Michel Robardey :
– Colonel, aujourd’hui les militaires de France Turquoise soutiennent Kayumba Nyamwasa alors qu’on l’accuse d’être impliqué dans l’attentant du 6 avril 1994. Ca paraît bizarre…?
– Je ne soutiens pas Kayumba Nyamwasa. Effectivement je ne vois pas pourquoi je le soutiendrais. On souhaite simplement que la procédure se déroule normalement. Voilà un type, qui a été mis en examen et qui n’a jamais été entendu…
– Par la faute de qui ?
– Par la faute des Sud-africains et par la faute des services rwandais qui intriguent auprès de la République sud-africaine pour qu’il ne soit pas entendu.
– Franchement, colonel, chacun sait que les relations entre la république rwandaise et la république sud africaine sont exécrables. On serait étonné qu’ils disposent d’un tel entregent … ?
– Ne vous inquiétez pas, on a des billes. On sait ce qu’on dit dans cette affaire. Si vous voulez, je peux vous faire passer les noms des agents de la DMI [Division of Military Intelligence, les services secrets rwandais] qui sont transportés en Afrique du Sud et qui ont réussi à renverser la vapeur, avec des alliances inattendues, d’ailleurs…
– C’est à mon tour de vous demander comment vous êtes aussi bien renseigné, colonel ?
– Vous savez, la Gendarmerie, c’est l’arme du Renseignement. »
fin de citation.
Dommage que « l’arme du Renseignement » ait moins bien fonctionné alors que le régime Habyarimana, placé sous la protection du corps expéditionnaire français, préparait le génocide des Tutsi.
L’ « arme du Renseignement »
Jusqu’en 2006, bien des « témoins » et « experts » entendus par Jean-Louis Bruguière attendaient impatiemment la fin de l’enquête pour voir traduits en justice les proches de Paul Kagame accusés de l’attentat. Depuis l’expertise balistique qui a pratiquement innocenté le FPR, les mêmes, font des pieds et des mains pour retarder les non-lieu. Avec le témoignage à charge du général Faustin Kayumba Nyamwasa, ils espéraient un pénultième rebondissement dans l’instruction. Or le 8 juillet 2014, les juges Marc Trévidic et Fabienne Poux avaient refermé le dossier. On semblait s’orienter vers un non-lieu général, issue logique d’une instruction qui se s’est jamais relevée du travail bâclé de Bruguière, ou plutôt de l’habileté de ceux qui l’ont manipulé. C’est alors qu’apparaissent de nouveaux témoins providentiels., comme par hasard, tous issus du RNC. Le premier s’appelle Émile Gafirita, Il promet des révélations sensationnelles sur l’attentat. On joue la montre : l’ordonnance de réouverture de l’instruction intervient quelques heures avant la fin du délai de trois mois qui aurait rendue définitive la clôture du dossier.
Le RNC, producteur de témoins de la vingt-cinquième heure?
S’ensuit beaucoup d’agitation autour de la « disparition » de Emile Gafirita. Le 18 janvier 2016, les magistrats prononcent une nouvelle fois la clôture. Une année de plus a été perdue. La fin du marathon judiciaire ? Que nenni. Après de nouvelles péripéties, Faustin Kayumba Nyamwasa demande de nouveau à être entendu. Avocat du gouvernement rwandais, Me Lef Forster ne dissimule pas ses doutes : « Monsieur Kaymba Nyamwasa explique qu’il n’est en rien concerné par l’attentat, dont il a été informé après les événements, le 6 avril 1994, vers 22 heures. Il ne sait rien concernant la préparation de l’attentat, n’ayant été témoin de rien, n’ayant connaissance d’aucun élément factuel, n’étant susceptible de fournir aucune information matérielle. Il se contente de répéter une confidence qu’il aurait reçue le soir du 6 avril 1994 à 22 heures. C’est curieux de la part d’un homme qui a déclaré à RFI : « A l’époque, j’étais responsable des renseignements militaires. C’est impossible que je ne sois pas au courant de qui a mené l’attaque et de ce qui s’est passé ».
En septembre 2015 Marc Trévidic quitte le pôle génocide où il est remplacé par le juge Jean-Marc Herbaut. Une difficulté supplémentaire pour « digérer » un dossier d’instruction devenu à lui seul une bibliothèque.
Nyamwasa, cornaqué mais inaudible
Faustin Kayumba Nyamwasa, le nouvel ennemi n°1 de Paul Kagame, ne parvient pas à obtenir que l’Afrique du Sud réponde à la demande d’entraide judiciaire de Paris, et il se refuse à venir témoigner en France où il risquerait d’être arrêté. Il a choisi une bonne avocate, Me Véronique Truong, conseil habituel du général Christian Quesnot (sûrement une coïncidence). Il adresse donc aux magistrats par l’entremise de Me Truong une « déclaration » validée par un huissier sud-africain. Malgré les efforts de l’avocate pour mettre en cause… l’ambassade de France en Afrique du Sud, qu’elle accuse de saboter l’enquête, le dossier ne semble pas crédible.
Comme la clôture de l’instruction est à présent inévitable, l’année 2017 constitue un feu d’artifice procédural. Vingt-trois ans après l’attentat, entrent en scène nouvelle partie civile et nouveau témoin. Me Fabrice Epstein, l’avocat du génocidaire Pascal Simbikangwa se constitue partie civile en faveur de Mme Ange Benilde Ajeneza, une Burundaise, sœur de Cyriaque Simbizi, un des passagers de l’avion abattu. Et il devient en même temps le conseil d’un certain James Munyandinda, encore un militant du RNC, qui accuse Paul Kagame. De la part de l’avocat, un curieux mélange de genres. Se domiciliant chez Me Epstein, James Munyandinda écrit aux juges d’instruction : « J’étais un des gardes du corps de Paul Kagame, une de mes missions était la garde de deux missiles à l’état-major pour le protéger d’une attaque aérienne. C’et moi qui ai chargé les deux missiles dans le camion qui les a transportés au CND à Kigali. Ce sont ces deux missiles que mes collègues utilisèrent pour abattre l’avion du président Juvénal Habyarimana. »
Retour à l’inusable « piste Masaka »
Revoilà la « thèse Masaka », pourtant usée jusqu’à la corde. Mais James Munyandinda ne cache pas que son objectif est de contribuer à rétablir la monarchie au Rwanda, et que tous les moyens lui semblent bons pour y parvenir. Imperméables à ce contexte, les juges d’instruction ordonnent une confrontation du témoin de la vingt-cinquième heure avec le général James Kabarebe, ministre de la Défense, n°2 du régime rwandais, convoqué à Paris en décembre 2017. Paul Kagame au comble de l’exaspération rappelle son ambassadeur. Le spectre de la rupture des relations diplomatiques se profile de nouveau, comme ce fut le cas entre 2006 et 2010, après les mandats d’arrêt du juge Bruguière. Finalement, le juge Herbaut renonce à la confrontation et annonce une nouvelle clôture de l’instruction. La dernière ? Pas nécessairement : de nombreux indices montrent que le général transfuge est fortement soutenu à Paris dans ses projets de subversion. « Ce qui m’a le plus étonné, dit Me Forster, c’est que dans son témoignage écrit, M. Kayumba Nyamwasa montre une grande connaissance du dossier pénal. Assez curieux pour un homme qui ne parle ni ne lit le français. Il revient en détail sur les témoignages pourtant les plus controversés., et il y répond comme s’il connaissait par cœur leurs dépositions en français couvertes par le secret de l’instruction. »
Me Bernard Maingain n’est pas moins étonné : « M. Kayumba Nyamwasa adapte ses déclarations à mesure qu’il s’aperçoit que l’enquête peut l’incriminer. » Pour Me Forster, « l’instruction judiciaire a révélé une instrumentalisation de la justice qui a atteint un degré malsain rarement atteint. On peut soupçonner de plus en plus que ce dossier a fait l’objet d’instrumentalisation et de manipulations ».
La subversion anti-Kagame, arme de destruction massive
Guerre des prétoires, instrumentalisation de l’enquête Bruguière pour déstabiliser le chef de l’Etat rwandais, reste à chiffrer le coût de la subversion. Les plaintes pour diffamation engagées par France Turquoise n’ont coûté que quelques centaines de milliers d’euros au ministère de la Défense. Une broutille. L’enquête Bruguière, monstrueuse d’un point de vue éthique et juridique, mais arme de guerre qui a démontré sa capacité de nuisance contre Paul Kagame et son régime, aurait coûté au ministère de la Justice quelques millions d’euros. (les évaluations des avocats que nous avons interrogés se situent dans une fourchette de 2 à 5 millions d’euros) Une bagatelle à côté de l’objectif final qui est de détruire le dernier régime politique stable en Afrique centrale. Que coûterait en vies humaines et en interventions humanitaires l’embrasement de toute la région, si Faustin Kayumba Nyamwasa, son parti le Rwanda National Congress et leurs nouveaux alliés des FDLR (la rébellion issue de l’armée génocidaire) parvenaient à leurs fins ?
Dans une rarissime interview, le général Christian Quesnot semble avoir répondu dès 2009 à Vincent Hugeux, journaliste à l’Express :
Vincent Hugeux – Un officier n’a-t-il pas vocation à se plier à la raison d’Etat, dès lors que celle-ci privilégie en l’occurrence un rapprochement avec Kigali?
Christian Quesnot – La raison d’Etat, soit. Mais pas aux dépens de l’honneur des militaires. Et là, il est bien question d’honneur. Une valeur désuète pour certains, mais la seule qui nous anime. Le militaire sert le pays avant de servir un homme, quel qu’il soit – voir l’article.
Fin de citation.
De tout temps les « questions d’honneur » forme de cancer du vivre ensemble, ont futilement provoqué guerres et holocaustes. Général Quesnot, au nom de quoi la subversion anti-Kagame, cette guerre secrète menée depuis 1990, vainement sur le terrain, vainement dans les prétoires, vainement dans le cabinet des juges d’instruction ? En quoi cette obsession de quelques-uns érigée en système, sert-elle notre pays ? En résumé, de quoi toute cette histoire est-elle le nom ? Disons le clairement : d’une forme de folie.
Jean-François DUPAQUIER