L’offensive éclair sur la deuxième ville du Sud-Kivu par les rebelles de l’AFC/M23 quelques jours après la signature de l’accord de paix entre Kinshasa et Kigali, rebat les cartes. Quelle stratégie pour la rébellion ? Quelle réaction de Washington « déçu » par l’offensive rebelle ?

De quoi la prise d’Uvira est-elle le nom ? La prise de contrôle de la ville par la rébellion rappelle d’abord que l’armée congolaise (FARDC), soutenue par les milices locales Wazalendos, n’est toujours pas en mesure de résister à la puissance militaire de l’AFC/M23. Aucun territoire n’a été reconquis par Kinshasa depuis le retour des rebelles début 2022. Cela montre également que l’accord signé à Washington, sans tenir compte des réalités du terrain, ne concerne pas les rebelles, qui n’étaient pas partie prenante de la négociation. Enfin, l’aspect non-contraignant du texte, le rendait extrêmement fragile dans un contexte où les multiples cessez-le-feu négociés depuis plusieurs mois n’ont jamais été respectés. L’accord de paix virtuel de Washington s’est donc brisé sur la complexité d’un conflit à de multiples entrées.
Les Banyamulenge de Minembwe menacés
Du côté de l’AFC/M23, on explique l’offensive sur Uvira par « les provocations récurrentes » des FARDC, de leurs supplétifs Wazalendos et de l’armée burundaise, fortement engagée auprès de Kinshasa. La rébellion explique que « depuis plus de trois mois, elle ne cesse d’alerter sur la propagation inquiétante des discours de haine et sur les attaques visant nos compatriotes en raison de leur faciès (…) et sur les massacres perpétrés par les forces coalisées du régime de Kinshasa et leur allié le Burundi ». L’AFC/M23 dénonce ainsi la situation dans la zone de Minembwe, où réside une forte communauté tutsie Banyamulenge, soumise aux bombarbements aériens et aux attaques de drones. Depuis 2017, la communauté rwandophone estime que 85% des villages Banyamulenge du Sud-Kivu ont été détruits.
Vers la jonction de l’AFC/M23 avec les Twirwaneho
La défense des tutsis congolais fait partie des revendications avancées par l’AFC/M23, tout comme la neutralisation des FDLR, groupe armé héritier des génocidaires hutus, est exigée par le Rwanda pour entamer le retrait de ses troupes du sol congolais. La percée rebelle au Sud-Kivu, en dehors d’élargir sa zone de contrôle et de poursuivre sa pression sur Kinshasa, a donc aussi l’objectif de rallier cette zone de Minembwe, où les Banyamulenge sont menacés. L’AFC/M23 effectuerait alors la jonction avec un groupe allié local, qui défend lui aussi la communauté tutsie, les Twirwaneho. Un ralliement qui renforcerait les rebelles dans cette zone, d’autant qu’ils pourraient rejoindre possiblement les Red Tabara, un groupe armé burundais hostile au régime d’Évariste Ndayishimiye. Pour l’instant, la rébellion temporise avec le Burundi en leur offrant la possibilité d’évacuer leurs soldats du Sud-Kivu. Un pacte de non-agression serait aussi sur la table pour couper court à toutes les rumeurs de risque de régionalisation du conflit.
Le Katanga, zone d’influence de Joseph Kabila
La chute d’Uvira ouvre plusieurs possibilités d’extensions de l’emprise de l’AFC/M23 au Congo. Vers le Sud, où le contrôle de ce noeud stratégique régional permet aux rebelles d’avoir un accès direct au lac Tanganyika et à Kalemie, la porte d’entrée du Grand Katanga. Par la route, l’axe Uvira-Baraka-Kalemie est aussi directement menacé. L’arrivée de l’AFC/M23 dans le très riche Katanga constituerait un point de bascule dans le conflit et déstabiliserait Kinshasa, en le tapant directement au portefeuille. Plus de 95 % des redevances minières nationales proviennent du Grand Katanga. La province reste également une zone d’influence de l’ancien président Joseph Kabila, condamné à mort par Kinshasa pour sa proximité avec l’AFC/M23. Les rebelles dans le Katanga de Kabila… La boucle serait donc bouclée. Si la rébellion ne fait pas mystère de ses intentions de vouloir rejoindre le Katanga, ce scénario reste, pour l’instant, très hypothétique. Car le contrôle du verrou stratégique d’Uvira par l’AFC/M23 leur ouvre aussi l’Ouest du pays, vers le Maniema, via l’axe Mwenga-Kindu, mais aussi vers l’axe Walikale-Kisangani, et enfin vers le Nord sur l’axe Lubero-Beni. Une multitude de fronts qui constitue le risque pour les rebelles, d’un éparpillement de leurs troupes sur des territoires trop vastes.
Quelle sera la réaction des États-Unis ?
Mais le principal risque qui plane au-dessus de l’AFC/M23 pourrait venir de Washington. « Les États-Unis sont profondément préoccupés et incroyablement déçus par la nouvelle flambée de la violence dans l’est de la RDC » s’est indigné Mike Waltz, l’ambassadeur américain auprès des Nations Unie. « Nous utiliserons les outils à notre disposition pour tenir compte des spoilers à la paix ». En ligne de mire, le soutien actif du Rwanda aux rebelles, en matériel et en logistique. 5.000 à 7.000 soldats rwandais combattraient au Congo au début de décembre, selon Mike Waltz. Marco Rubio, le patron de la diplomatie américaine, a été plus clair sur les intentions de Washington, indiquant que « les États-Unis prendront des mesures pour garantir le respect des engagements pris envers le président » Donald Trump. Reste à savoir quelle sera le niveau de réaction des Américains, et si l’AFC/M23 pourrait perdre, plus rapidement que prévu, le soutien de son parrain rwandais ? La balle est maintenant dans les mains de Donald Trump et dans le pouvoir réel ou supposé de son influence sur les acteurs du conflit congolais.
Christophe Rigaud – Afrikarabia


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