Le Haut commissaire aux droits de l’homme de l’ONU a réclamé une nouvelle fois ce mardi l’ouverture d’une enquête internationale sur les exactions dans les Kasaï. Mais Kinshasa refuse toujours l’envoi d’experts onusiens.
L’inquiétante dégradation de la situation sécuritaire dans le centre de la RDC était au menu du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies ce mardi à Genève. Depuis l’été 2016, la mort du chef traditionnel Kamuina Nsapu, opposé au pouvoir central, a enflammé les provinces du Kasaï dans un cycle d’exactions-répressions que Kinshasa n’arrive pas à juguler. Et comme une mauvaise nouvelle n’arrive jamais seule, c’est également ce mardi que l’Eglise catholique a choisi pour publier ses propres chiffres sur les massacres dans les Kasaï. Et il faut trois dans le dos. Depuis octobre 2016, la Nonciature apostolique évoque dans « une note technique » le chiffre de 3.383 décès, alors que les autorités congolaises et l’ONU avançaient prudemment le chiffre de 500 morts. L’Eglise a également relevé 30 fosses communes, 20 villages détruits dont 10 par l’armée régulière. Enfin, les violences qui opposent régulièrement miliciens, soldats et policiers au Kasaï ont provoqué le déplacement de 1,3 million de réfugiés et deux experts missionnés par le secrétaire général de l’ONU pour enquêter sur ces violences, ont été assassinés en mars.
Une milice armée par le gouvernement
Comme si la situation n’était pas assez dramatique, le Haut commissaire de l’ONU aux droits de l’Homme, Zeid Ra’ad Al Hussein, a accusé ce mardi à Genève le gouvernement congolais d’armer une milice qui attaque des civils dans les Kasaï. Une accusation grave qui vient étayer les accusations de l’opposition politique congolaise qui soupçonne les autorités d’entretenir volontairement le chaos dans le centre de la RDC, afin de reporter une nouvelle fois l’élection présidentielle. Zeid Ra’ad Al Hussein s’est dit « consterné par la création et l’armement d’une milice (Bana Mura) qui soutiendrait les autorités dans la lutte contre les miliciens de Kamwina Nsapu ». Le Haut commissaire de l’ONU a expliqué que « les Bana Mura ont, au cours des deux derniers mois, tué, mutilé ou brûlé à mort des centaines de villageois et ont détruit des villages entiers » du territoire de Kamonya.
« Un Etat néant »
Face à ce tableau noir, Zeid Ra’ad Al Hussein a demandé une nouvelle fois au Conseil de déployer une enquête internationale indépendante sur la situation des droits de l’homme dans les Kasaï, en coopération avec les autorités congolaises. Mais Kinshasa traîne les pieds pour ne pas dire plus. « La RDC n’est pas disposée à accepter l’idée du déploiement sur son territoire d’une commission d’enquête internationale qui travaillerait en vase clos et parallèlement aux instances judiciaires nationales comme si la RDC était devenue un Etat néant » a estimé le porte-parole du gouvernement Lambert Mende, excluant l’envoi d’une Commission dans les Kasaï. Il faut dire que si les autorités congolaises sont plutôt frileuses à toute enquête extérieure, c’est que l’armée régulière et la police nationale sont dans le viseur de l’ONU, qui, certes condamne les exactions des miliciens Kamuina Naspu, mais pointe surtout la responsabilité de l’Etat et l’usage « disproportionné » et « inapproprié » de la force. Des accusations que réfute Kinshasa qui a décidé de présenter son propre « livre blanc » à Genève, qui présente sa version des violences au Kasaï. Une version où l’Etat apparaît irréprochable.
Deux lignes s’opposent à Genève
A Genève, l’Union européenne (UE) et les ONG internationales soutiennent l’ouverture d’une enquête internationale pour établir les faits et déterminer les responsabilités. Si les occidentaux plaident pour une commission d’enquête, Kinshasa peut compter sur les délégués africains à Genève pour freiner des quatre fers et soutenir l’idée d’une enquête exclusivement congolaise. Le bras de fer est donc engagé entre Kinshasa et l’UE, qui a déjà sanctionné plusieurs hauts responsables pour leur implication les violences. Comme souvent, les autorités congolaises souffle le chaud et froid : affirmant d’un côté vouloir continuer à collaborer avec l’ONU au Kasaï, comme l’a déclaré la ministre Marie-Ange Mushobekwa ou refusant catégoriquement l’envoi d’experts onusien comme le martelle Lambert Mende. Pour connaître le vainqueur de ce bras de fer, il faudra attendre jeudi ou vendredi, où le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies doit se prononcer sur le projet de résolution.
Christophe RIGAUD – Afrikarabia