Tshisekedi, Fayulu, Katumbi, Kamerhe… Le retour impromptu de Joseph Kabila rebat les cartes alors que le président congolais tente de conclure un accord de paix avec le Rwanda et l’aide de Washington.

Diatribes anti-Tshisekedi dans la presse, discours fleuve promettant de « mettre fin de la dictature » de Kinshasa et enfin présence à Goma pour y rencontrer les rebelles du M23, Joseph Kabila a clairement choisi son camp. Celui d’une opposition frontale au président Félix Tshisekedi, et se replace au coeur de la crise congolaise. Si l’ancien président justifie sa venue à Goma, occupée par la rébellion, pour y ramener la paix, c’est bien sur la scène politique intérieure qu’il compte s’imposer. Selon Joseph Kabila, la paix passe par un changement de gouvernance à la tête du pays, et prône un dialogue inter-congolais, dans la droite ligne de ce que proposent les Eglises catholique et protestantes de la Cenco et de l’Ecc. L’ex-chef d’Etat a choisi de s’afficher aux côtés des rebelles du M23 alors que les perspectives d’accord de paix sont de plus en plus incertaines. La rébellion a quitté momentanément les négociations de Doha et les discussions avec Washington s’éternisent. Kigali fait mine de jouer les bons élèves, et le M23 estime aujourd’hui qu’il n’a plus aucune raison de se retirer des territoires qu’il contrôle.
Kabila en stand-by
En prenant ses quartiers dans sa résidence de Goma, Joseph Kabila attend donc de voir comment vont évoluer les différentes initiatives de paix pour « jouer sa partition » et provoquer un dialogue inclusif avec Kinshasa. En attendant, le Raïs consulte tous azimuts. Le camp présidentiel a tout de suite pris la mesure du risque de voir Joseph Kabila ramener le conflit avec le M23 sur la scène intérieure, ce que redoute Félix Tshisekedi. Les autorités ont rapidement pris une batterie de mesures pour placer Joseph Kabila et ses proches hors-jeu. Son immunité parlementaire a été levée, ouvrant la voie à des poursuites judiciaires, son parti, le PPRD, a été suspendu, ses cadres convoqués par la justice, des officiers supérieurs de l’armée suspectés d’être pro-Kabila emprisonnés, et les médias sommés de ne pas relayer les activités de l’ex-chef de l’Etat.
Fayulu et le « camp de la patrie »
Paria aux yeux de Kinshasa, l’ancien président a surtout forcé l’opposition politique à se repositionner. Si la majorité des opposants ont dénoncé l’acharnement du pouvoir contre Joseph Kabila, certains ont saisi l’opportunité pour tenter un pas de côté. C’est le cas de Marti Fayulu, qui, après avoir tancé Joseph Kabila, en lui expliquant que « l’Histoire ne pardonne pas les trahisons et encore moins celles faites à la patrie », a pris l’initiative de rencontrer Félix Tshisekedi. Une attitude qui en a étonné plus d’un après les élections de 2018 qui ont privé Martin Fayulu de la magistrature suprême. « Je suis venu pour lui dire que nous n’avons pas 36 solutions : nous devons créer un camp de la patrie » a-t-il déclaré après sa rencontre. Un appel visiblement reçu cinq sur cinq par le chef de l’Etat, qui devrait rencontrer les représentants de la Conférence épiscopale nationale du Congo (Cenco) et de l’Église du Christ au Congo (ECC) avant la fin du mois. Une aubaine pour le président Tshisekedi, qui pourrait ainsi relancer son idée de « gouvernement d’union nationale » mort-né, faute de représentants de l’opposition disponibles.
Fayulu en troisième homme ?
La stratégie de Martin Fayulu est de pouvoir se démarquer politiquement, notamment de Moïse Katumbi, extrêmement silencieux, et que Kinshasa accuse de rouler pour le M23 et Kabila. Fayulu pourrait se positionner dans le cadre d’une transition politique sous l’égide des Eglises, qu’elle soit avec Tshisekedi, comme le souhaite l’actuel chef de l’Etat ; ou sans Tshisekedi, comme le souhaite l’ancien président Kabila. Un positionnement possiblement gagnant-gagnant. Mais l’équation est plus complexe que cela. Depuis l’arrivée de Joseph Kabila aux côtés des rebelles à Goma, Martin Fayulu a changé de braquet, et estime que l’ancien président se trouve désormais dans le camp du M23 et du Rwanda. Se rapprocher de Tshiekedi, sous la possible médiation des évêques, constitue le moindre mal pour le patron de l’Ecidé, qui espère ainsi jouer le troisième homme, entre Tshisekedi et Kabila. Pourtant ce rapprochement contre-nature perturbe une partie de ses soutiens et écorne son image d’opposant intransigeant et radical qu’il s’était forgé depuis les élections de 2018. Certains le suspectent de vouloir briguer la Primature, ce que dément l’intéressé.
Katumbi coincé entre Kabila et Tshisekedi
Un autre opposant semble désorienté par le retour de Joseph Kabila en territoire rebelle : Moïse Katumbi. Après s’être rapproché de Félix Tshisekedi à la suite des élections contestées de 2018, et avoir adhéré à l’Union sacrée présidentielle, l’ancien gouverneur a rapidement coupé les ponts avec le chef de l’Etat pour basculer dans une opposition plus frontale. Bien avant le retour de Joseph Kabila sur la scène politique, Moïse Katumbi s’était rabiboché avec le Raïs, formant ainsi le front des Katangais contre Kinshasa. La collusion affichée de Joseph Kabila avec le M23 et le Rwanda, embarrasse désormais Moïse Katumbi. Les Congolais ne gardent pas un bon souvenir des 18 ans de pouvoir sans partage du Raïs et pensent que, désormais, Joseph Kabila est bien l’un des parrains du M23, comme le dénonce depuis des mois Félix Tshisekedi. Moïse Katumbi peut difficilement rejoindre le « camp de la patrie » de Fayulu et Tshisekedi après avoir adhéré, puis quitté l’Union sacrée. Seule solution pour l’instant : tenter de rester neutre. Coincé entre Kabila et Tshisekedi, Katumbi se trouve dans une position délicate qui le marginalise sur l’échiquier politique.
Kamerhe condamné à choisir son camp
Un autre gros poisson de la scène politique congolaise doit jouer l’équilibriste. Il s’agit de Vital Kamerhe, le président de l’Assemblée nationale, officiellement allié à Félix Tshisekedi, mais qui lorgne sur la présidentielle de 2028. Le patron de l’UNC doit composer avec tout le monde et jouer sur tous les tableaux. D’abord avec la majorité présidentielle pour conserver son perchoir qui ne tient qu’à un fil, mais aussi avec les acteurs de l’opposition, ainsi qu’avec Joseph Kabila. En grand sage, Vital Kamerhe sait qu’il ne faut jamais insulter l’avenir. Convaincu que Félix Tshisekedi ne modifiera pas la Constitution pour briguer un troisième mandat, le président de la chambre basse doit déjà rassembler (ou au moins ne pas fâcher) dans l’optique de préparer la présidentielle de 2028. Seul hic. Cette situation ne sera pas tenable très longtemps, et Vital Kamerhe devra bien un jour clarifier sa position et choisir son camp. En attendant, tous ces acteurs ont le regard tourné vers les initiatives de paix de Doha et de Washington, qui pourraient, de nouveau, changer la donne à l’Est et faire sortir du bois Joseph Kabila qui devra choisir la voie du dialogue… ou des armes.
Christophe Rigaud – Afrikarabia